Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Zanchius 2


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ZANCHIUS (Jérôme), l’un des plus célèbres théologiens du parti des protestans, naquit à Alzano dans l’Italie (A), le 2 de février 1516. Il entra dans la congrégation des chanoines réguliers de Latran à l’âge de quinze ans, et y demeura dix-neuf années à peu près. Il s’y appliqua d’abord à l’étude de la philosophie et de la théologie scolastique ; mais après avoir ouï les leçons que Pierre Martyr faisait dans Lucques, sur l’épître de saint Paul aux Romains, et sur les Psaumes, il s’attacha à une étude plus profitable ; ce fut à celle de l’Écriture et des pères. Chacun sait que Pierre Martyr, qui était chanoine de la même congrégation, communiqua les sentimens des protestans à plusieurs de ses confrères avant qu’il jetât le froc. Les impressions qu’il leur donna furent si fortes, que dans l’espace d’un an dix-huit d’entre eux imitèrent son abjuration du papisme. Notre Zanchius fut un de ceux-là. Il sortit d’Italie l’an 1550, et s’arrêta quelque temps chez les Grisons, et puis à Genève, d’où il eut dessein d’aller à Londres, attiré par Pierre Martyr qui lui destinait en ce pays-là une chaire de professeur en théologie. Mais se voyant prié, par les scolarques de Strasbourg, de remplir la place de feu Gaspar Hédion, professeur aux saintes lettres, il accepta cet emploi l’an 1553, et l’exerça près d’onze années, faisant d’ailleurs quelquefois des leçons sur Aristote. On exigea de lui la signature de la Confession d’Augsbourg, et on ne l’obtint qu’au moyen de quelques limitations qu’il se réserva, et que les scolarques lui accordèrent. Il fut agrégé au chapitre des chanoines de Saint-Thomas, l’an 1555. Il aimait la paix (B), et il haïssait les guerres civiles théologiques : néanmoins il ne put les éviter. On l’accusa d’erreur, il se défendit : et cette affaire fut poussée si chaudement, qu’on la réduisit aux termes, ou qu’il se retirât de bon gré, ou que les scolarques le congédiassent. Il ne trouvait point son compte dans cette alternative, c’est pourquoi il se remua beaucoup afin de se maintenir. On chercha mille expédiens, et l’on prit enfin celui de faire signer un formulaire. Il le signa avec quelques restrictions (C), mais qui n’empêchèrent pas que ses adversaires ne triomphassent, et ne répandissent partout les nouvelles de leur victoire. Il voulut se relever, et l’on commençait à faire d’autres propositions d’accommodement lorsqu’une occasion favorable lui vint fournir un prétexte honnête de se tirer de ce labyrinthe. L’église de Chiavenne dans le pays des Grisons le demanda pour son ministre ; et il accepta cette vocation. Il rendit son canonicat, il demanda son congé, et se retira de Strasbourg au mois de novembre 1563. Il servit utilement l’église de Chiavenne depuis ce temps-là jusques en l’année 1568, et y trouva aussi la croix à porter [a]. On lui offrit à Heidelberg une profession en théologie qu’il accepta, et dont il commença les fonctions au mois de février 1568. Il fut promu au doctorat la même année, en présence de l’électeur palatin Frideric III. Il écrivit à la sollicitation de ce prince un gros ouvrage contre les antitrinitaires, et après la mort de cet électeur il refusa les vocations de l’académie de Leyde, et de l’église d’Anvers, et aima mieux s’arrêter au collége de Neustad où Jean Casimir, comte palatin, avait recueilli les professeurs que le nouvel électeur, grand partisan du luthéranisme, avait fait sortir d’Heidelberg. Cet électeur étant mort, l’administration du palatinat fut entre les mains du même Jean Casimir, qui remit dans leur ancien poste les professeurs ; mais Zanchius, à cause de sa vieillesse, fut déclaré émérite. Il mourut à Heidelberg le 19 de novembre 1590. Il perdit la vue quelque temps avant sa mort [b]. On ne voit point dans son histoire, composée par Melchior Adam, qu’il ait été marié ; mais selon M. de Thou il laissa bien des enfans (D). Il composa plusieurs ouvrages qui sont sans doute aussi bons que ceux des théologiens plus modernes, et néanmoins il n’y a personne qui les lise : on les donne presque pour rien dans les ventes des bibliothèques ; les épiciers ont plus de soin de se prévaloir du vil prix que les proposans et que les ministres. La destinée des ouvrages des autres théologiens, qui ont tant brillé au XVIe. siècle, est assez semblable à celle-là. On peut censurer M. de Thou en quelque chose (E), et M. Moréri aussi (F) ; car les preuves qu’ils apportent de la modération de Zanchius ne sont point bonnes. Il est très-certain au fond que peu de ministres ont été aussi modérés que lui. Il ne croyait point que le pape fût l’antéchrist, et il condamnait hautement la prévention qu’il croyait avoir remarquée dans les écrits de plusieurs auteurs protestans [c]. La conférence qu’il eut avec le nonce du pape, l’an 1561, est assez curieuse. Le Pallavicini en parle amplement dans le chapitre X du XVe. livre de son Histoire du concile de Trente. Au reste, il y a plusieurs auteurs nommés Zanchius, comme il paraît par la scène des écrivains du Bergamasque, publiée l’an 1664 [d]. Il y a entre autres un Jérôme Zanchius qui a publié des livres de jurisprudence. Il était cousin second de notre théologien [e]. On ne sera pas fâché, je m’assure, que je dise ici que notre Jérôme eut un valet nommé Frideric Sylburgius, qui devint un fort savant personnage. Il le garda quatre ans [f], et puis il le recommanda à Lélius Zanchius, afin qu’on lui procurât une condition à Padoue [g]. La lettre de recommandation est datée du 2 d’avril 1565.

  1. Fructus se quidem sed non absque cruce. Melchior Adam, in Vit. Théol. exter., pag. 131.
  2. Tiré de Melch. Adam, in Vit. Theol. exter., pag. 148 et seq.
  3. Voyez la citation du père Labbe dans remarque (F).
  4. Donatus Calvus en est l’auteur : elle a pour titre Scena letteraria de’ Scrittori Bergamaschi.
  5. Zanch., Epistolar. lib. II, pag. 444.
  6. Idem, ibidem.
  7. Idem, ibidem, pag. 448.

(A) Il naquit à Alzano dans l’Italie. ] La différence que M. Teissier [1] a trouvée entre Melchior Adam et M. de Thou est nulle. Celui-là, dit-il, a écrit que Zanchius était natif d’Alzano, M. de Thou et Verheiden le font de Bergame. J’avoue que ces deux derniers auteurs lui ont donné l’épithète de Bergomas ; mais, puisqu’elle ne convient pas moins à ceux qui sont nés dans le Bergamasque qu’à ceux qui sont nés dans la ville de Bergame, on n’a point de droit d’imputer à M. de Thou ni à Verheiden le sens limité qu’on leur attribue. Il est permis de supposer qu’ils ont voulu dire en général que Zanchius était né dans le pays de Bergame ; et sur ce pied-là Melchior Adam ne diffère d’eux qu’en ce qu’il désigne plus particulièrement la patrie de ce grand théologien. Il la nomme Alzanum [2], et il dit qu’elle est située dans le val de Séri [3]. Or il est certain qu’Alzanum et cette vallée appartiennent au Bergamasque [4]. M. Teissier tombe dans une autre erreur quand il assure qu’Alzane est une petite ville distante de quatre lieues de Venise. Si au lieu de quatre lieues il en eût mis quarante, il n’eût dû craindre d’en dire trop. Melchior Adam l’a trompé : il avait lu quelque part que le père de notre Jérôme ayant appris la mort de son père quitta les études de jurisprudence, et se maria. Le soin qu’il lui fallut prendre de ses sœurs lui fit connaître qu’il ferait mieux de s’attacher aux affaires domestiques que de suivre le barreau : il quitta même la ville, et se transporta à Alzane qui en était éloignée de quatre milles [5], et il fit cela en bon économe [6], c’est-à-dire, ce me semble, pour dépenser moins. Voilà ce que Melchior Adam avait trouvé dans quelque livre [7]. Il se mêla de conjecturer, et ne le fit pas heureusement ; il mit [8] dans une note marginale qu’à son avis la ville que le père de Zanchius avait quittée est Venise. S’il avait été bon géographe, il n’aurait pas eu cette pensée ; il aurait su que la distance d’Alzane à Venise est de plus de quarante lieues. Sa conjecture a été convertie en affirmation pure et simple par M. Teissier, qui d’ailleurs a interprété quartum lapidem par quatre lieues, quoique dans le style des latins cela comprenne seulement quatre mille pas. Je crois que Bergame est la ville d’où le père de Zanchius sortit par des raisons d’économie. Quenstedt a commis deux grosses fautes : il a dit dans la page 276 [9] que Jérôme Zanchius est né à Alzane dans la vallée de Séri, à quatre milles de Venise ; mais dans la page 302 il le fait naître dans la ville de Bergame.

(B) Zanchius aimait la paix. ] Il était, selon Melchior Adam [10], litium fugitans, concordiæ amans..…. modestiæ singularis, pacis ecclesiarum studiosissimus [11]. D’autres assurent [12] que peu de gens le surpassent en érudition, en piété, en modestie. Voyez les remarques où j’examine le récit de M. de Thou et celui de M. Moréri.

(C) Faire signer un formulaire. Il le signa avec quelques restrictions. ] Il faut savoir qu’il y eut bientôt quelques brouilleries entre lui et Jean Marbachius, pasteur et professeur en théologie à Strasbourg. Ils ne s’accordèrent point sur la doctrine de la prédestination ni sur les annexes de ce grand dogme ; mais ce feu demeura caché sous les cendres jusques à ce qu’en 1561 Zanchius fit supprimer par l’autorité des magistrats un livre de Tilemannus Héshusius qu’on avait réimprimé à Strasbourg, en mettant au titre pour lieu d’impression Magdebourg. Ce livre traitait de la présence réelle in, cum, sub pane, et contenait une préface injurieuse à Frédéric III, électeur palatin, à Mélanchthon, et à plusieurs autres excellens théologiens. L’auteur de cette préface accusait et d’hérésie et d’athéisme tous ceux qui n’approuvaient son opinion touchant, la réalité et la manducation orale. Zanchius fit supprimer cet ouvrage, non pas à cause du dogme, dont il laissait le jugement à l’église, mais à cause des injures de la préface. Cela déplut à Marbachius, et aux autres zélateurs du luthéranisme, et les obligea à chercher tous les moyens de débusquer Zanchius. Ils épluchèrent ses leçons et les cahiers qu’il avait dictés ; et quand ils en eurent tiré tout ce qu’ils purent, ils l’accusèrent d’hétérodoxie sur la prédestination et sur la persévérance, etc. L’affaire fut agitée vigoureusement : Zanchius fit consulter en divers lieux les théologiens d’Allemagne, offrit de conférer verbalement avec ses parties. Cette proposition fut rejetée, et cependant on déclamait contre lui devant le peuple avec beaucoup d’animosité [13]. Enfin l’on en vint à l’arbitrage : l’on fit venir de Tubinge Jacques André ; de Deux-Ponts, Cuman Flinsbach ; et de Bâle, Simon Sulcérus, et Ulric Coccius : les arbitres prononcèrent qu’il n’y avait point d’hérésie dans les sentimens de Zanchius ; mais ils dressèrent des articles qu’il signa en cette manière le 28 mars 1563. Hanc doctrinæ formulam ut piam agnosco, ita etiam recipio [14] ; c’est-à-dire, comme ou en tant que je reconnais que ce formulaire de doctrine est pieux, ainsi le reçois-je ; ou bien, je reconnais que ce formulaire de doctrine est pieux, et je le reçois aussi. Les paroles latines peuvent souffrir ces deux sens, et je ne voudrais pas répondre que Zanchius ne s’aperçut point de l’équivoque, et qu’il ne prétendit pas en tirer jamais quelque utilité. Quoi qu’il en soit, ses adversaires furent encore plus fins ; ils firent glisser des ambages et des ambiguïtés dans les articles du formulaire si adroitement, qu’ils pouvaient tout expliquer à leur avantage : aussi ne manquèrent-ils pas d’interpréter tout à son préjudice, ce qui réveille la querelle ; mais il leur quitta la partie en s’en allant chez les Grisons [15]. Voilà comment Henri Alting rapporte ces choses. Nous pouvons joindre à sa narration quelques circonstances qu’il a omises, et que Melchior Adam fournit. Les accusations intentées à Zanchius roulaient non-seulement sur le dogme de la prédestination et de la persévérance des saints ; mais aussi sur l’eucharistie, sur l’ubiquité, sur les images, sur l’antechrist, sur la fin du monde. Le chapitre de Saint-Thomas, dont il était membre, tenta plusieurs voies d’accommodement : l’affaire fut portée ensuite au conseil des treize. Il fut consulter en personne les églises et les universités d’Allemagne, et il publia les jugemens qu’il en obtint. Il balança quelque temps sur la signature du formulaire dressé par les quatre arbitres, et il s’en excusait sur la crainte de scandaliser les âmes pieuses, et de confirmer dans leurs sentimens ceux qui erraient. Enfin, s’étant résolu à la signature pour le bien de la paix, et dans la pensée que cela ne ferait aucun préjudice à son sentiment, il se munit d’une précaution par la manière dont il souscrivit, et il mesura par sa candeur l’artifice de ses adversaires [16]. C’est Melchior Adam qui parle ainsi ; mais, pour moi, j’avoue que je ne découvre point cette candeur ; car la souscription de Zanchius est si équivoque, et si ouverte aux chicaneries et aux subterfuges, qu’il ne paraît pas qu’il l’ait couchée de la sorte sans songer à l’avenir. N’avoue-t-on pas qu’il choisit par précaution cette phrase-là plutôt qu’une autre [17] ? S’il eut là quelque ruse, elle ne servit de rien à son auteur ni à l’ouvrage de la paix. Sed ne sic quidem benè coiit gratia : cùm statim pòst adversarii victoriâ jactitare, triumphare, et laureatas in Saxoniam, atque alias regiones litteras missitare [18].

J’avais écrit tout ce que dessus avant que je m’avisasse de consulter l’Histoire sacramentaire d’Hospinien. Je l’ai enfin consultée, et j’y ai trouvé une longue narration de cette dispute. J’y ai vu [19] qu’un des bons amis de Zanchius rompit avec lui, et se prévalut d’une lettre qu’il lui avait communiquée. J’y ai vu [20] que Marbachius et ses adhérens cessèrent de lui parler, et de lui tirer le chapeau, depuis la disgrâce du livre d’Héshusius. Mais ce qui m’importe le plus pour la sûreté de mes conjectures, j’y ai vu que Zanchius donna dans son âme un sens tout particulier aux termes de sa souscription. Voici quelle était sa réservation mentale : Manc doctrinæ formulam recipio quatenùs illam piam esse judico [21]. Ses adversaires, envoyant partout des copies de ce qu’il avait signé, ne faisaient aucune mention des termes de sa signature [22] : c’est qu’ils craignirent que leur triomphe ne parût pas assez grand à ceux qui pourraient peser les mots équivoques de Zanchius.

Si l’on s’en rapporte à une lettre qu’il écrivit à David Chaillet, le 1er. de novembre 1563 [23], ils se servirent de beaucoup de fraudes. C’est une lettre qui mérite d’être lue ; il y fait son apologie, et s’efforce de prouver qu’il n’a rien fait contre sa conscience.

(D) Selon M. de Thou, il laissa bien des enfans. ] Voici ses paroles : Scripsit multa..... quorum partem, filii vixit, in lucem dedit, partem filii, quos plureis reliquit, post mortem ejus publicârunt [24]. Il y a là un peu d’hyperbole, car l’épître dédicatoire des lettres de Zanchius, signée par ses héritiers, ne contient que le nom de ses deux fils, avec celui de son gendre. Rapportons ce que l’on trouve concernant ses mariages. Il épousa en premières noces une fille de Cœlius Sécundus Curien, de laquelle il eut une fille qui ne vécut pas long-temps. Il se maria ensuite avec la sœur d’un gentilhomme nommé Laurent Lumage. Les deux jumeaux dont elle accoucha l’année des noces moururent bientôt après. La fille qui vint au monde l’année suivante mourut à trois ans. Voilà ce que Jérôme Zanchius écrivit à Lélius Zanchius, le 2 d’avril 1565 [25]. Il lui marque qu’il avait alors deux filles.

(E) On peut censurer M. de Thou en quelque chose. ] I. Martyr quitta l’Italie l’an 1542. Zanchius fit la même chose l’an 1550. Ainsi ces paroles de M. de Thou ne sont point exactes : Hieronymus Zanchius….. paulò post Petri Martyris..... discessum ob eandem causam Argentinam concessit [26]. II. Elles sont fautives d’un autre côté ; car Zanchius n’alla à Strasbourg qu’après avoir séjourné environ neuf mois dans le pays des Grisons, et autant de temps à Genève [27]. III. Vermilio in Angliam evocato anno 54 in munere successit. Ce latin peut signifier que Pierre Martyr s’en alla en Angleterre l’an 1554 ; mais cela est faux : il y alla en 1547. Ne prenons point les choses à la rigueur : accordons à M. de Thou que l’année dont il parle ne concerne que l’installation de Zanchius, nous ne laisserons pas de le critiquer justement, puisqu’il est sûr que Zanchius fut installé l’an 1553, non en la place de Martyr, mais en celle d’Hédion. Successit ei (Caspari Hedioni) in professione Hieronymus Zanchius Italus [28]. Cùm anno quinquagesimo tertio, in demortui Casparis Hedionis locum theologus, qui in scholâ sacras litteras doceret, esset sufficiendus : ab amplissimo illius reipubl. magistratu et scholarchis decretum est Italum quendam, Martyri non absimilem vocandum. Itum ergò primùm est à Cœlio Secundo Curione, cui ea cura ab Argentoratensibus demandata ad comitem illum Martinengum : et, cùm hic ecclesiam Genevæ plantatam destituere nollet ad istum Zanchium : quem deindè Argentoratum ipsi etiam scholarchæ, missis benevolentiæ plenis litteris, invitârunt [29]. Il est vrai que la lettre [30] qui lui fut écrite par Jacques Sturmius, au nom des scholarques de Strasbourg, lui offrait les mêmes emplois et les mêmes gages que Pierre Martyr avait eus : mais cela n’emporte point qu’il lui succéda proprement parlant. IV. Il ne sortit de Chiavenne que pour aller professer la théologie à Heidelberg : on a donc tort de lui assigner un poste dans Bâle entre sa sortie de Chiavenne et sa vocation au Palatinat [31]. V. On se trompe encore davantage lorsqu’on assure qu’il n’alla au Palatinat qu’en 1578. Il y alla dix années auparavant. VI. On ne devait pas omettre qu’il y alla pour enseigner la théologie dans Heidelberg, et qu’il l’enseigna dans cette université jusques aux troubles qui s’élevèrent contre les docteurs calvinistes, après la mort de l’électeur Frideric IIIe. : on ne devait pas, dis-je, l’envoyer tout droit de Bâle à Neustad, puisqu’il n’enseigna dans cette dernière ville qu’après avoir professé huit ans à Heidelberg. Ajoutons une erreur de droit à ces six fautes de fait. VII. « On remarque une grande modération en ses écrits, et il a toujours fait connaître le sincère désir qu’il avait de terminer tous les différens que la religion a causés : car étant âgé de soixante-dix ans il adressa sa confession de foi à Ulisse Martinengue, noble Vénitien, comte de Barco, et il la donna au public tant en son nom qu’au nom de sa famille, car c’est le titre qu’elle porte. Or dans cette confession il proteste qu’il n’a pas renoncé simplement et en toutes choses à l’église romaine et à tous ses dogmes, mais seulement à ceux qui ne sont pas conformes aux écrits des apôtres et à la doctrine qu’elle-même enseignait autrefois, et qui était crue par l’ancienne et par la pure église ; et que quand il avait abandonné la communion romaine, c’avait été dans le dessein d’y retourner, en cas que, corrigeant ses erreurs, elle reprît sa première forme : qu’il souhaitait de tout son cœur que cet heureux changement arrivât un jour ; car qu’est-ce qu’une bonne âme peut souhaiter avec plus d’ardeur, que de vivre jusqu’à la fin de ses jours dans l’église où l’on a eu l’avantage de renaître par le baptême, pourvu que la communion que l’on entretient avec elle n’offense pas le Seigneur [32] ? » Luther, Calvin, Jacques André, dont M. de Thou fait mention tout aussitôt comme d’un théologien beaucoup plus envenimé contre l’église romaine et contre le pape [33], auraient signé très-sincèrement cette confession de foi de Zanchius : elle n’est donc point une bonne preuve que Zanchius différât des autres ministres.

(F) ......... Et M. Moréri aussi. ] I. Ce n’est point sa faute, mais celle de son Dictionnaire, que de dire que Zanchius était un moine apostat de Londres, Les imprimeurs ont mis de Londres au lieu de l’ordre : et je remarque cela afin qu’on voie à quelles erreurs ils exposent ; car combien y a-t-il eu de lecteurs qui ont cru fort bonnement que Zanchius s’évada d’un cloître de Londres, quand il se fit protestant. II. Il n’était point des hermites de Saint-Augustin, comme l’assure M. Moréri ; ceux que l’on appelle ainsi sont différens des chanoines réguliers. Je veux qu’ils aient les uns et les autres saint Augustin pour chef de règle : on ne laisse pas d’employer un style de distinction quand on parle d’eux. III. On a copié de M. Teissier [34] la prétendue différence entre Melchior Adam et M. de Thou, touchant la patrie de Zanchius, IV. et la prétendue distance de quatre lieues entre Venise et ce lieu-là, V. qu’on eût du nommer Alzane, et non pas Azane. VI. On a copié de M. Thou, que Zanchius alla tout droit à Strasbourg. VII. Et l’on a grossi la faute de sa prétendue succession à Martyr ; car on peut bien dire sans commettre un mensonge que Zanchius fut appelé à Strasbourg pour y occuper la place que Pierre Martyr y avait laissée vide ; mais on ne peut pas assurer sans des fautes redoublées qu’il alla faire profession publique de l’hérésie dans Strasbourg, à la place de Vermigli, La profession publique d’une doctrine se fait-elle à la place d’un autre ? VIII. Il ne fallait pas copier M. de Thou quant au prétendu séjour de Zanchius dans Bâle. IX. Et moins encore lui imputer d’avoir dit que ce ministre enseigna dans Spire. Il ne dit point cela ; son Neapolis Nemetum est Neustad, ville dont les gazettes font mention incessamment depuis sept ou huit années [35]. C’est à tort que le traducteur de M. de Thou la nomme Spire. M. Teissier nous permettra donc, s’il lui plaît, de désapprouver cette période de ses Additions : Zanchius n’a jamais enseigné ni à Bâle ni à Spire, comme l’a cru M. de Thou [36]. X. Heidelberg n’est pas la dernière ville où Zanchius ait enseigné, comme Moréri l’assure. On le déclara emeritus quand les professeurs de Neustad, ses collègues, furent rétablis dans Heidelberg. S’il mourut dans cette dernière ville, ce fut par accident ; il y avait fait un voyage afin de voir ses anciens amis [37]. XI. Prouver que Zanchius a plus de modération que tous les autres protestans ; le prouver, dis-je, par les paroles que M. de Thou a citées, est une illusion. XII. Conjecturer que le père Labbe se fonde sur les mêmes paroles, quand il dit que Zanchius est le plus subtil de ceux de sa communion, est une pensée qui ne fait guère d’honneur à ce jésuite, et qui paraît mal fondée quand on consulte l’original. Ce n’est pas être raisonnable, c’est être aveuglé par ses préjugés, que de ne donner de l’esprit et de la subtilité à ses adversaires, qu’à proportion des égards qu’ils ont pour nous, ou de la modération avec quoi ils parlent de notre cause. En tout cas, l’endroit où le père Labbe donne cet éloge à ce ministre, fournit une conjecture plus vraisemblable que ne l’est celle de Moréri. Ce jésuite rapporte là un passage où Zanchius dit beaucoup de mal des écrivains protestans. On prétendrait donc avec plus de vraisemblance que l’emportement de ce ministre contre ses confrères lui aurait valu les éloges du père Labbe, qu’on ne prétendrait que sa modestie envers l’église romaine les lui a valus. Peut-être vaut-il mieux dire que le père Labbe n’a eu égard qu’à l’esprit même de Zanchius, qui sans doute était fort subtil. Afin que l’on juge mieux de ceci, je rapporterai tout le passage. On y verra clairement l’esprit d’un auteur dont la colère n’était pas intermittente, mais continue : Quid de cæteris Lutheri et Calvini ministris dicam, qui dum conciliorum, patrum, scriptorum antiquorum opuscula interdùm volunt apertissimam hæreseon suarum damnationem legunt, numquid non dissimulant, numquid non tergiversantur, numquid non argutantur ? Audi domesticum testem Hieronymum Zanchium omnium sacramentariorum subtilissimum : Legi librum (Pseudo-Evangelici nescio cujus) sed non sine stomacho perlegi ; cùm nimirùm viderem qualisnam sit scribendi ratio, quâ in ecclesiis ex Evangelio reformatis (eo nomine Lutheri, Calvini, similiumque sectas appellat) permulti, ne dicam plerique omnes, utuntur : qui tamen pastores, qui doctores, qui columnæ ecclesiæ videri volunt. Statum causæ ne intelligant, de industriâ sæpénumerò tenebris involvimus, quæ sunt manifesta, impudenter negamus : quæ falsa, sine fronte asseveramus : quæ apertè impia, tamquam prima fidei principia obtrudimus : quæ orthodoxa, hæreseos damnamus : scripturas ad nostra somnia pro libidine torquemus : patres jactamus cùm nihilminùs quàm illorum doctrinam sequi velimus, sophisticari, calumniari, conviciari, nobis est familiare ; modò causam nostram, sive bonam sive malam, quo jure, quâque injuriâ tueamur ; reliqua omnia susque deque facimus. Hæc ille τὶς ἐξ αὐτῶν ἴδιος αὐτῶν προϕήτης, ut de Epimenide Crotensi dixit apostolus Paulus, cap. I Epistolæ ad Titum, ἡ μαρτυρία αὐτη ἐςὶν ἀληθής [38].

  1. Teissier, Addit. aux Éloges, t. II, p. 160.
  2. Melch. Adam., in Vit. Theol, exter., p. 148.
  3. In valle Serianâ, idem, ibidem.
  4. Voyez Léandre Alberti, Descript. Ital., p. m. 638.
  5. Ad quartum indè distant lapidem. Melch. Adam., in Vitis Theolog. exter., pag. 638.
  6. Quod rebus suis consultiùs fore judicaret. Idem, ibid.
  7. Il avait pu trouver cela dans IIe. livre des lettres de Zanchius, pag. 444.
  8. Idem, ibid.
  9. Du livre de Patriis illustrium Virorum.
  10. In Vitis Theolog. exter., pag. 149.
  11. Idem, pag. 152.
  12. Sanderson, de Obligat. conscient., prælect. II, apud Pope Blount, Cens. Author., pag. 541.
  13. Clamosis ad populum concionibus doctrina ipsius traduceretur. Henricus Alting., Theol. Histor., pag. 298, 299.
  14. Tiré de Henri Alting ; Theolog. Historic., pag. 299.
  15. Quoniam in articulis involuta doctrina, adversariis, omnia pro se interpretantibus denuò erupit controversia : quæ priusquàm componeretur Zanchius discessit Clavennam ad ecclesiæ ministerium evocatus., Idem, ibid., pag. 299.
  16. Persuasus tamen concordiæ causâ cùm sine præjudicio doctrinæ suæ id factum iri intelligeret, his verbis, ut sibi caveret, subscripsit : Hanc doctrinæ formulam, ut piam agnosco, ita etiam recipio ; et subscripsit quidem aliorum calliditatem suâ simplicitate mensus. Melchior Adam., in Vit. Theol. exter., p. 150.
  17. Voyez la citation précédente.
  18. Voyez la citation précédente.
  19. Hospin., Historiæ Sacrament. parte II, pag. 536.
  20. Idem, ibid.
  21. Idem, ibidem, pag. 543,
  22. Idem, ibid.
  23. Elle est au IIe. livre des Lettres de Zanchius, p. 81 et seq.
  24. Thuan., lib. XCIX, pag. 379.
  25. Cette lettre est au IIe. livre de celles de Zanchius, pag. 444 et suiv.
  26. Thuanus, Hist., lib. XCIX, pag. 379, ad ann. 1590.
  27. Meîch. Adam., in Vit. Theol. exter., pag. 149.
  28. Melch. Adam., in Vit, Theol. german., pag. 242.
  29. Melch. Adam, in Vitis Theol. exter., pag. 149.
  30. Elle est la première du IIe. livre des Lettres de Zanchius.
  31. Posteà Clavennæ in Rætiâ, dein Basileæ usque ad annum 78, ac postremò Neapoli Nemetum docuit. Thuan., lib. XCIX, pag. 379, ad ann. 1590.
  32. M. de Thou, livre XCIX ; je me sers de la traduction rapportée par M. Teissier.
  33. Amarior eo romanæ Ecclesiæ et pontificii nominis oppugnator Jacobus Andreanus. Thuanus, lib. XCIX, pag. 379.
  34. Voyez la remarque (A).
  35. On écrit ceci au mois de juillet 1697.
  36. Teissier, Additions aux Éloges, tom. I, pag. 161.
  37. Melch. Adam., in Vit. Theol. ext., p. 152.
  38. Philippus Labbe, Dissert. de Script. ecclesiast., tom. I, pag. 807, 808. Notez qu’il ne cite aucun traité de Zanchius, ce qui témoigne qu’il n’a point été à la source, et qu’il s’en est rapporté à la citation d’autrui.

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