Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Périandre


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PÉRIANDRE, tyran de Corinthe. On la mis au nombre des sept sages de la Grèce ; mais on aurait eu plus de raison de le ranger parmi les plus méchans hommes qui aient jamais été : car il changea le gouvernement de sa patrie (A), il en opprima la liberté, il y établit pour lui la puissance monarchique[a] ; et afin de se maintenir dans l’usurpation il fit mourir les principaux de la ville, les croyants capables de remettre les affaires au premier état [b]. Le jour d’une fête solennelle il ôta aux femmes tous leurs ornemens, et les employa à faire faire la statue d’or qu’il avait vouée [c] (B). Il commit inceste avec sa mère (C) ; il tua sa femme à coups de pied pendant qu’elle était enceinte ; il fit brûler ses concubines dont les calomnies l’avaient irrité contre son épouse ; il se fâcha tellement de ce que son second fils [d] pleura la mort de sa mère, qu’il le chassa, et qu’il le déshérita. Il forma un vilain plan de vengeance contre les habitans de Corcyre : ce fut d’envoyer leurs jeunes garçons [e] au roi Alyattes pour être châtrés : et quand il eut su que le vaisseau qui portait ces innocentes victimes avait relâché à Samos, et que cette jeunesse avait été préservée du malheur à quoi il la destinait, il en conçut un si grand chagrin, qu’il en mourut. Il était alors âgé d’environ quatre-vingts ans [f]. Il y en a qui disent qu’il eut affaire avec sa femme depuis qu’elle fut morte (D) ; brutalité qui n’est guère moins horrible que celle de ce monarque Lydien qui mangea sa femme (E). Quelques auteurs [g] sont assez simples, pour mettre cette action de Périandre au nombre des grands exemples de l’amitié conjugale. Il régna quarante-quatre ans selon Aristote [h], ou quarante selon Diogène Laërce [i]. Il florissait environ la 38e. olympiade [j]. M. Moréri a fait quelques fautes (F).

On trouve dans un ouvrage d’Héraclide, certaines choses qui ne sont pas désavantageuses à Périandre. S’il défendit aux habitans de Corinthe d’avoir des valets, il leur défendit aussi de vivre voluptueusement. Ce n’est pas une mauvaise loi. Il n’imposa aucune taxe à personne, et se contenta de certains péages provenant de la vente, et de l’entrée et de la sortie des marchandises. Il haïssait les méchans, et il faisait noyer toutes les personnes qui s’appliquaient au maquerellage [k]. Enfin, il établit un sénat, et il régla la dépense de ceux qui le composaient [l].

  1. Diog. Laërtius, lib. I, num. 98.
  2. Herodotus, lib. V, cap. XCII, pag. m. 324.
  3. Diog. Laërtius, lib. I, num. 96.
  4. Il se nommait Lycophron. Voyez son article, tom. IX, pag. 209, où je raconte ce qu’en dit Hérodote.
  5. Diogène Laërce ne limite point le nombre. Hérodote, liv. III, chap. XLVIII, le fixe à trois cents, des meilleures familles de l’île.
  6. Tiré de Diogène Laërce, in Vitâ Periandri, lib. I.
  7. Ravisius Textor, in Officinâ, lib. V, cap. III, au titre de Amore conjugali, pag. m. 553, et plusieurs autres après lui.
  8. Aristot. Polit., lib. V, cap. XII.
  9. Lib. I, num. 98.
  10. Ibid.
  11. C’est ainsi que je traduis τὰς προαγωγοὺς πάσας κατεπόντισε. Cragius entend par-là les prostituées.
  12. Tiré d’Héraclide, de Politiis, pag. 17, editionis Cragii, 1593, in-4o.

(A) Il changea le gouvernement de sa patrie. ] Diogène Laërce l’assure formellement. Οὖτος πρῶτος, dit-il [1], δορυϕόρους ἔσχε, καὶ τὴν ἀρχὴν ἐις τυραννίδα μετέςησε. PRIMUS hic armatis circumseptus incessit, magistratumque ad tyrannidem transtulit. Aldobrandin remarque, sur ces paroles, que, si l’on en croit Aristote, il faut donner à Périandre l’invention de la plupart des moyens qui établissent et qui maintiennent la tyrannie [2]. Omnium autem earum rerum quæ ad tyrannidem faciunt constituendam et conservandam, auctorem fuisse Periandrum Cypseli filium, tùm aliis locis, tùm præcipuè eodem lib. 5. polit. ait, cap. 11. Τούτων, inquit, τὰ [3] πολλὰ ϕάσι καταςῆσαι Περίανδρον. M. Ménage, sur ces mêmes paroles de Laërce, cite Suidas, qui assure que Périandre eut trois cents gardes, et qu’il défendit aux Corinthiens d’avoir des valets, et de vivre sans rien faire. Il inventait toujours quelque chose pour les occuper, et il mettait à l’amende ceux qu’il trouvait assis aux places publiques : il craignait qu’ils ne machinassent quelque chose contre lui. Disons néanmoins qu’Hérodote ne lui attribue point la première institution de la tyrannie, mais à Cypsèle, qui, ayant régné trente années dans Corinthe fort durement, laissa son autorité à Périandre son fils. Τυραννεύσας δὲ ὁ Κύψελος τοιοῦτος δή τις ἀνὴρ ἐγένετο· πολλοὺς μὲν Κορινθίων ἐδίωξε, πολλοὺς δὲ χρηματων ἀπεςέρησε, πολλῷ δ᾽ἔτι πλείςους τῆς ψυχῆς. Cypselus verò tyrannide potitus, talis extitit ut Corinthiorum multos insequutus sit, multos pecuniâ, longè plurimos animâ privaverit [4]. Celui-ci d’abord fut moins rude que son père, et puis beaucoup plus cruel.

(B) La statue d’or qu’il avait vouée. ] Remarquez ici une preuve fort sensible du désordre où les fausses religions laissent le cœur et l’esprit. Elles ne corrigent point l’inclination au péché. Voici Périandre qui fait des vœux, et qui n’ose se dispenser de les accomplir, lors même qu’il n’a point d’argent [5]. Il croit donc qu’il y a des dieux ; il croit une providence : cependant il se souille dans l’inceste et dans le sang innocent ; il tue sa femme, etc. Passons aux désordres de l’esprit. Ce même tyran ne craint le châtiment de ses incestes et de ses meurtres, mais il craint que, s’il n’offrait pas aux dieux une masse d’or qu’il leur a promise, ils l’accableraient de maux, ils le puniraient sévèrement. Rien plus, il se persuade qu’encore qu’il n’accomplisse son vœu que par un vol très-injuste, et qui met au désespoir toutes les femmes de Corinthe, la statue d’or qu’il consacre ne laissera pas de plaire aux dieux, et de le sauver des malheurs qu’ils eussent versés sur sa tête, s’il n’eût pas offert le simulacre qu’il avait voué. Excepté la violence faite à l’honneur et à la foi, il n’y en a point de plus rude aux honnêtes femmes, que de les dépouiller de leurs ornemens. La passion d’être bien mise et bien parée a toujours eu une grande force dans le sexe. Φιλόκοσμον genus femineum est : multasque etiam insignis pudicitiae, quamvis nulli virorum, tamen sibi scimus libenter ornari. [6]....... Ut taceam de inaurium pretiis, candore margaritarum, rubri maris profunda testantium, smaragdorum virore, cerauniorum flammis, hiacynthorum pelago, ad quæ ardent et insaniunt studia matronarum [7]. Je ne remarque cela que pour rendre plus odieux l’esprit tyrannique du prétendu sage de la Grèce. Voyez la remarque (D).

(C) Il commit inceste avec sa mère. ] Elle s’appelait Cratéa. [8] : quelques-uns, disent [9] que, ne pouvant réprimer les mouvemens impétueux de sa passion, elle proposa à son fils de coucher secrètement avec une femme très-amoureuse de lui, et qui ne voulait pas être reconnue. Il y acquiesça, et ainsi il eut affaire avec sa mère sans le savoir ; car Cratéa s’était mise au lit où la prétendue amante dont elle avait parlé à son fils se devait trouver. Ce commerce dura long-temps sur le même pied ; mais enfin Périandre voulut voir qui était cette personne dont il avait si souvent joui. Il fit cacher quelqu’un dans la chambre, et lorsque sa mère s’allait coucher, il vint à elle avec un flambeau. Il l’aurait tuée sur-le-champ si un génie qui lui apparut ne l’en avait empêché. Depuis ce temps-là il vécut comme un furieux ; il fut cruel, et il fit mourir plusieurs personnes. Pour ce qui est de Cratéa, elle fit bien des complaintes sur sa destinée, et se tua. D’autres ne content pas ainsi l’aventure : ils veulent bien [10] que le commerce de Périandre avec sa mère ait été couvert sous les voiles d’un profond secret ; mais non pas qu’il ait ignoré qu’il couchait avec sa mère. Ils soutiennent que le jeu lui plut beaucoup, et qu’il ne fut en colère que parce que son inceste fut découvert. Il déchargea son chagrin sur ses sujets, et se comporta depuis tyranniquement.

Après que sa mère se fut tuée, il discontinua d’honorer la déesse Vénus, et de lui offrir des sacrifices ; mais enfin, à cause de quelques songes de Mélisse sa femme, il recommença la pratique de ce culte. C’est ce que Plutarque observe au commencement de son Banquet des sept Sages ; et il suppose que le jour du festin fut celui où Périandre recommença de sacrifier à cette déesse.

(D) Il y en a qui disent qu’il eut affaire avec sa femme depuis qu’elle fut morte. ] Voici un des contes d’Hérodote : il le fait en rapportant l’injustice que les femmes de Corinthe souffrirent sous Périandre. Ce tyran envoya consulter l’oracle des morts, pour apprendre des nouvelles d’un certain dépôt. Sa femme Mélissa apparut, et déclara qu’elle se garderait bien de révéler ce secret ; car j’ai froid, dit-elle, je suis toute nue, les habits avec lesquels on m’a enterrée ne me servent de rien, parce qu’ils n’ont pas été brûlés. Pour prouver, continua-t-elle, que ce que je dis est véritable, il me suffit d’observer que Périandre a mis son pain dans un four froid. Ce discours rapporté à Périandre lui parut très-vrai ; parce qu’il se ressouvint d’avoir eu affaire avec Mélisse après même qu’elle eut rendu l’âme [11]. Ταῦτα δὲ ὡς ὀπίσω ἀπηγγέλθη τῷ Περιάνδρῳ, πιςὸν γάρ οἱ ἦν τὸ συμϐόλαιον, ὃς νεκρᾷ ἐούσῃ Μελίσσῃ ἐμίγη. Hæc Periandro renunciata, ob illud argumentum fidem fecêre, quòd ipse cum Melissâ quamvis defunctâ coierat [12]. Il fit donc publier que toutes les femmes de Corinthe eussent à se rendre au temple de Junon. Elles obéirent, et se parèrent de tout ce qu’elles avaient de plus beau, comme pour un jour de fête ; mais les gardes que l’on fit cacher dans le temple les dépouillèrent toutes sans exception : les maîtresses et les servantes furent traitées de la même sorte. Tous leurs habits furent brûlés sur le tombeau de Mélisse. Cette femme était fille de Proclès, tyran d’Épidaure, et du côté de sa mère elle appartenait à de grands seigneurs qui régnèrent dans presque toute l’Arcadie [13]. Un auteur, dans Athénée, ne parle pas si avantageusement de la qualité de Mélisse : il assure que Périandre en devint fort amoureux [14], la voyant verser à boire à des ouvriers [15]

(E) Ce monarque lydien qui mangea sa femme. ] Le sieur de Rampalle, voulant prouver que notre siècle ne surpasse point en vices le temps passé, rapporte entre autres exemples d’intempérance, la voracité de Maximin, celle d’Albinus, celle de Phagon, et celle d’Astidamas ; et puis il dit que Cambyse, roi de Lydie, soupa une nuit de sa femme [16]. Il se trompe à l’égard du nom : je ne pense pas que l’on trouve qu’aucun roi de Lydie se soit appelé Cambyse ; et en tout cas il n’est pas vrai que celui qui dévora sa femme s’appelât ainsi. Il s’appelait Cambles. C’était un grand mangeur et un grand buveur. L’historien qui en parle insinue qu’il commit ce crime sans savoir ce qu’il faisait, et qu’il ne connut sa barbarie, que parce qu’il sentit dans sa bouche la main de sa femme en s’éveillant. Il se tua quand il sut que son action était connue. Ξάνθος δὲ ἐν τοῖς Λυδιακοῖς, Κάμϐλητα. ϕησὶ τὸν βασιλεύσαντα Λυδῶν πολυϕάγον γενέσθαι καὶ πολυπότην, ἔτι δὲ γαςρίμαργον. τοῦτον οὖν ποτε νυκτὸς τὴν ἑαυτοῦ γυναῖκα κατακρεουργήσαντα καταϕαγεῖν. ἔπειτα πρωὶ εὑρόντα τὴν χεῖρα τῆς γυναικὸς ἐνοῦσαν ἐν τῷ ςτόματι, ἑαυτὸν ἀποσϕάξαι, περιϐοήτου τῆς πράξεως γενομένης. Xanthus in Lydiacis narrat Cambleta Lydorum olim regem, edacem, bibacem, gulosum fuisse, noctuque uxorem suam in frusta dissectam vorâsse : deindè crastino manè repertâ conjugis manu, quæ ad ejus os hæserat, re cognitâ, et in vulgus sparsâ, seipsum jugulâsse [17]. J’ai bien de la peine à croire que cela ne soit pas semblable aux contes de vieille, où les géans mangeurs d’hommes sont si mêlés.

(F) Moréri a fait quelques fautes. ] Je ne touche pas à ses péchés d’omission : chacun les pourra connaître en comparant son Périandre avec le mien. I. Il suppute mal, lorsqu’il dit que Périandre commença son règne en la 38e. Olympiade, et mourut en la 48e., après avoir régné quarante-quatre ans. Il aurait pu dire cela, si Périandre, ayant succédé à son père au commencement de l’Olympiade 38, était mort sur la fin de l’Olympiade 48. Mais en ce cas-là il aurait fallu marquer cette précision. II. Il ne fallait pas citer Eusèbe ; car il ne donne point la durée de quarante-quatre ans au règne de Périandre. Il en met le commencement au premier an de l’Olympiade 38, et la fin [18] au premier an de l’Olympiade 48. Je trouve une grosse faute dans ces paroles de Scaliger : Obiit (Periander) anno ultimo Olympiadis xlviii. Tyrannidem obtinuit anno xl ; auctore Laërtio. Ergò ejus initium anno primo Olympiadi xxxviii ut hic rectè assignatum [19]. Il est faux, selon Eusèbe, que Périandre soit mort la dernière année de l’Olympiade 48. Mais si Eusèbe avait mis la mort de ce prince sous cette année-là, il ne s’accorderait pas avec Diogène Laërce, qui ne l’a fait régner que quarante ans. Scaliger s’exprime mieux cinq pages après [20]. III. Périandre ne répondit point à ceux qui demandaient pourquoi il retenait la domination, qu’il était aussi dangereux de la quitter, que de la perdre. Cette réponse est équivoque et embarrassée : elle est fausse dans tous les cas où l’on perd la domination avec la vie ; car ceux qui la perdent de cette façon ne courent plus aucun risque. Il fallait dire qu’il répondît, il y a autant de danger à se défaire volontairement de la tyrannie, qu’à s’en laisser dépouiller par ses ennemis. En français nous n’avons pas le privilége de parler obscurément. Il faut se précautionner contre la critique, beaucoup mieux que les anciens ne le devaient faire. Je dis cela parce que je mets ici les termes de l’original. Πότε ἐρωτηθεὶς διὰ τί τυραννεῖ, ἔϕη, ὅτι καὶ τὸ ἑκουσίως ἀποςῆναι, τὸ καὶ ἀϕαιρηθῆναι, κίνδυνον ϕέρει. Rogatus aliquandò cur in tyrannide persisteret : quia, inquit, et spontè et invitum cedere æquè periculosum est [21]. IV. À quoi bon citer Sosicrate [22] qui ne dit rien de ce que l’on met dans l’article de Périandre, et qui est même d’un sentiment opposé à celui que l’on adopte touchant l’âge de ce tyran ? Il le fait mourir quarante et un ans avant la 49e. Olympiade [23]. Je sais bien qu’en changeant la ponctuation, on approcherait son sentiment de celui d’Eusèbe [24]. Mais Monsieur Moréri savait-il cela ? Et faut-il citer les gens sur des leçons disputées ? Cela n’est permis qu’à ceux qui ont averti qu’ils adoptent la correction d’un tel ou d’un tel critique.

Voici les paroles de Balzac qui se rapportent à la réponse de Périandre. Le danger n’est pas moindre de se défaire de la tyrannie, que de s’en saisir. Phalaris [* 1] était tout prêt de la quitter ; mais il demandait un dieu pour caution qui lui répondît de sa vie, s’il se dépouillait de son autorité ; et ça toujours été une commune opinion, que ceux qui ont pris les armes contre leur pays, ou contre leur prince, sont en quelque façon réduits à la nécessité de mal faire, pour le peu de sûreté qu’ils trouvent à faire bien. Ils n’osent devenir innocens, de peur de se mettre à la merci des lois qu’ils ont offensées, et continuent leurs fautes, à cause qu’ils ne pensent pas qu’on se contentât de leur repentance [25]. Ce fut l’une des maximes dont Mécène se servit, lorsqu’Auguste délibérait avec lui et avec Agrippa, s’il rendrait au peuple romain la liberté. Agrippa lui conseilla de le faire, et Mécénas de ne le point faire. Rapportons ici les recueils du savant Méibomius. Tangit Xiphilinus, dit-il [26], ex parte causam, quâ motus Mæcenas, Augusto suaserit ; ut imperium retineret. Regnum nempé justum et legitimè comparatum imprimis conducere rerum magnitudini gubernandæ : nec aliud discordantis patriæ remedium esse, quàm ut ab uno, ut loquitur Tacitus Ann. lib. iv., cap. ix ; unumque Reip. corpus unius præsidis nutu, quasi animâ et mente regatur, ut monet Florus, lib. iv., cap. iii. Potior tamen, et altera causa fuit, quàm Suetonius adducit loco quem dixi [27], quod Augustum, si privatus viveret, non sinè periculo fore censeret. Eam etiam inculcat Zonaras ; quòd qui semel imperitârint ; tutò privatam vitam agere nullo modo possint. Quo sensu jam olim Periander interrogatus, cur non deponeret imperium, respondit : Quoniam per vim imperanti, etiam ultrò imperio abire periculosum, ut ex Xenophontis lib. de Memorabil. Socrat. refert Stobæus, serm. xli. Quin et Mæcenas ipse, in orat. apud Dionem, non aliâ ratione depositionem imperii Augusto dissuadet, quàm quod ostendat neminem senatui populoque redditâ rep. ipsi parciturum, qui multos offenderit. Hos enim rerum summam ad se trahendo, id acturos, ut se vel ulciscantur, vel ipsum sibi adversantem è medio tollant. Docet id exemplis Pompeii, Julii Cæsaris, Marii, ac Sullæ : quos abdicata potestas vel pessumdederit, vel pessumdatura fuisset, si diutiùs vixissent. On peut ajouter à cela une réponse de Solon. Ses amis trouvaient fort étrange que le nom de monarchie lui fît peur, et qu’il n’osât se servir des conjonctures pour acquérir l’autorité souveraine. Il leur répondit [28], La principauté et la tyrannie sont bien un beau lieu ; mais il n’y a point d’issue pour en sortir quand on y est une fois entré. Personne, ce me semble, n’a mieux réussi sur cette pensée que Xénophon. Il introduit un tyran qui fait une description fort vive des malheurs de sa condition ; ensuite de quoi Simonide lui demande pourquoi y demeurez-vous ? Pourquoi ne la quittez-vous ? Écoutez bien la réponse : C’est là le plus grand malheur de da tyrannie, qu’il n’y a point de moyen d’y renoncer. Comment voulez-vous qu’un tyran qui a abdiqué, rende les sommes qu’il a pillées ; dédommage ceux qu’il a mis en prison ; fasse revivre tant de gens qu’il a tués ? Si l’on a jamais un juste sujet de se pendre, c’est lorsqu’on exerce la tyrannie. Le passage Grec charmera ceux qui le pourront entendre. Faisons-leur donc le plaisir de Îe rapporter. Καὶ πῶς (ἔϕη) ὦ Ἱέρων, εἰ οὕτω πονηρόν ἐςι τὸ τυραννεῖν, καὶ τοῦτο σὺ ἔγνωκας, οὐκ ἀπαλλάττη οὕτω μεγάλου κακοῦ ; οὔτε σὺ οὔτε ἄλλος μὲν δὴ οὐδεὶς πώποτε ἑκὼν εἶναι τυραννίδος ἀϕεῖτο, ὅσπερ ἀν ἅπαξ κτήσαιτο ; Ὅτι (ἔϕη) ὦ Σιμωνίδη, ταύτη ἀθλιώτατόν ἐςιν ἡ τυραννίς· οὐδὲ γὰρ ἀπαλλαγῆναι δυνατὸν αὐτῆς ἐςί. πῶς γὰρ ἄν τίς ποτὲ ἐξαρκέσειε τύραννος ἢ χρήματα ἐκ τίνων ὅσους ἀϕείλετο, ἢ δεσμοὺς ἀντιπαράσχοι ὅσους δὴ ἐδέσμευσεν, ἢ ὅσους κατέκτανε, πῶς ἂν ἱκανὰς ψυχὰς ἀντιπαράσχοιτο ἀποθανουμένας ; ἀλλ᾽ εἴ περὶ τῳ ἄλλῳ, ὦ Σιμωνίδη, λυσιτελεῖ ἀπάγξασθαι, ἴσθι (ἔϕη) ὅτι τυράννῳ ἔγωγε εὑρίσκω μάλιςα τοῦτο λυσιτελοῦν ποιῆσαι. μόνῳ γὰρ αὐτῷ οὔτε ἔχειν οὔτε καταθέσθαι τὰ κακὰ λυσιτελεῖ. Et quî fit, inquit Hieron, ut si adeò misera res est tyrannidem gerere, idque te non fugit, non abjicias tam ingens malum ? Neque tu, neque alius quisquam unquàm lubens tyrannidem deposuit, ubi semel nactus est. Quoniam, inquit, ô Simonides, isto nomine miserrima est tyrannis, quòd ab eâ non licet discedere. Quomodò enim quisquam tyrannus unquàm suffecerit ad pecuniam rependendam iis quos spoliavit ? Aut quomodò vincula repenset iis quos detrusit in vincula ? Aut quomodò restituet tot animas extinctas iis quos occidit ? Sed si cuiquam alteri, ô Simonides, expedit laqueo finire vitam, scito, inquit, me compertum habere, ut id faciat nulli is expedire quàm tyranno, quandòquidem huic uni mala nec retindre nec deponere expedit [29]. Denys le tyran disait qu’au lieu de retourner à cheval à la condition privée, il fallait s’y laisser traîner par les pieds. Tite Live rapporte cela ; mais il y joint une autre pensée qui énerve la première, ultima primis obstant, et qui détruit le lieu commun que je traite ici. On en va juger, car je rapporte tout le passage. Sed evocatum eum [30] ab legatis Demarata uxor, filia Hieronis, inflata adhuc regiis animis, ac muliebri spiritu, admonet sæpè usurpatæ Dionysii tyranni vocis : quâ pedibus tractum, non insidentem equo relinquere tyrannidem dixerit debere. Facilè esse momento quo quis velit, cedere possessione magnæ fortunæ : facere et parare eam, difficilè atque arduum esse. Paululùm sumeret spatii ad consultandum ab legatis : eo uteretur ad accersendos ex Leontinis milites, quibus si pecuniam regiam, pollicitus esset, omnia in potestate ejus futura. Hæc muliebria consilia Andronodorus neque tota aspernatus est, neque extemplò accepit [31]. Il n’est pas nécessaire de supposer que la seconde maxime est de Denys ; car selon toutes les apparences elle est de cette femme ambitieuse que Tite Live fait parler. Cicéron remarque que ce tyran n’eût pu renoncer à sa condition, et à sa mauvaise vie, sans se perdre [32].

  1. (*) Phalar. in Epist.
  1. Diog. Laërt., in Periandro, n. 98, lib. I.
  2. Aldobrandinus in Diogen. Laërt., ibid.
  3. Il ne fallait donc pas qu’Aldobrandin employât le mot omnium. Ce qu’il cite d’Aristote le réfute.
  4. Herodot., lib. V, cap. XCII, pag. 324.
  5. Ἔϕορος ἱςορεῖ ὡς εὔξαιτο, εἰ νικήσειεν Ὀλύμπια τεθρίππῳ, χρυσοῦν ἀνδριάντα ἀναθεῖναι, etc. Ephorus in historiâ, vovisse illum tradit, si Olympia quadriga vicisset, auream statuam deo sacraturum, victoriâ verò potitum, et auro egentem, etc. Diog. Laërt., lib. I, num. 96, pag. 60.
  6. Hieron., epist. ad Gaudentium de Pacatulæ Institut., pag. m. 268.
  7. Idem, Epist. ad Demetriadem de servandâ Virginitate, pag. 291.
  8. Diog. Laërt., lib. I, num. 96.
  9. Parthenius, in Eroticis, cap. XVII.
  10. Aristipus, apud Diog. Laërtium, lib. I, num. 60.
  11. Herodot. lib. V, cap. XCII.
  12. Idem, ibidem, pag. m. 325.
  13. Diog. Laërt., lib. I, num. 94.
  14. Pyrhænetus. lib. III de Æginâ, apud Athen., lib. XIII.
  15. Ὠνοχόει τοῖς ἐργαζομένοις. Operariis vinum ministrantem. Ibidem.
  16. Rampalle, Que le monde ne va pas en empirant, pag. 94.
  17. Athen., lib. X, cap. III, pag. 415.
  18. Il ne remarque que la fin du gouvernement monarchique de Corinthe : mais c’est la même chose que la mort de Périandre.
  19. Scaliger., Animadv. in Euseb., num. 889, pag. m. 84, col. 1.
  20. Ibidem, num. 929, pag. 89.
  21. Diog. Laërt., lib. I, num. 97.
  22. Dans la seconde édition de Hollande on a mis Socrate.
  23. Apud Diog. Laërtium, lib. I, num. 95.
  24. Voyez Ménage, in Laërtium, lib. I, num. 95, pag. 55.
  25. Balzac., au chap. XLV du Prince, pag. m. 33, 34.
  26. Johannes Henricus Meibomus, in Vitâ Mæcenatis, pag. 87, 88.
  27. C’est-à-dire in Octavio, cap. XXVIII. Meibomius cite le chap. XXIX.
  28. Καλὸν μὲν εἶναι τὴν τυραννίδα χωρίον, οὐκ ἔχειν δὲ ἀπόϐασιν. Præclarum fundum tyrannidem esse, sed non habere exitum. Plutarchus, in Solone, pag. 85.
  29. Xenophon, in Hierone, sive Tyrannico, pag. 533, edit. Henr. Stephani, 1581.
  30. C’est-à-dire Andronodore, que l’on exhortait dans Syracuse à se défaire du trop grand pouvoir dont il s’était emparé.
  31. T. Livius, lib. XXIV, cap. XXII.
  32. Atque ei ne integrum quidem erat ut ad justitiam remigraret civibusque libertatem et jura redderet. His enim se adolescens improvidâ ætate irreticerat erratis, eaque commiserat ut salvus esse non posset si sanus esse cœpisset. Cicero, Tuscul. V, cap. XXI.

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