Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Nannius


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NANNIUS [a] (Jean), fameux jacobin, qu’on appelle ordinairement Annius de Viterbe, fut élevé à la charge de maître du sacré palais, l’an 1499. Il mourut le 13 de novembre 1502, à l’âge de soixante et dix ans [b]. La ville de Viterbe se fait tant d’honneur d’être sa patrie, qu’elle fit réparer son épitaphe l’an 1618 [c]. C’était un homme qui ne manquait pas d’érudition pour ce temps-là : il savait même les langues orientales [d], et il composa des Commentaires sur l’Écriture [e]. Il fut long-temps professeur en théologie ; mais rien n’a contribué autant à faire parler de lui, que l’édition de quelques auteurs fort anciens dont les ouvrages passaient pour perdus (A). Il est vrai que presque tous les savans firent peu de cas de cette publication (B), parce qu’ils connurent que ce n’étaient que des pièces supposées. On en est plus persuadé présentement que jamais ; et quoiqu’il s’élève de temps en temps certains auteurs qui le protégent (C), il n’est pas jusques aux dominicains, qui pour la plupart ne tombent d’accord que ces ouvrages sont illégitimes. Ils se contentent d’allèguer que leur Annius y procéda de bonne foi, et qu’il ne fut pas un imposteur (D), comme on l’en accuse ordinairement. Un homme qui l’avait vu disait que c’était un fou [f] [* 1].

  1. * Leclerc et Joly doutent de cette assertion du Scaligérana. Ils remarquent que la personne qui a dit à Scaliger avoir été témoin de la folie d’Annius devait être fort âgée quand elle fit ce récit à Scaliger, qui n’était plus sans doute dans l’enfance.
  1. C’est ainsi qu’il est nommé dans son épitaphe, Altamura, in Biblioth. Dominican. pag. 223.
  2. Il n’était donc pas né l’an 1437, comme Moréri l’assure après Vossius, de Hist. lat., pag. 609.
  3. Altamura, Biblioth, Dominican., pag. 223.
  4. Leandr. Albert., in Descript. Italiæ, pag. m. 115.
  5. Voyez-en la liste dans l’Épitome de la Bibliothéque de Gesner.
  6. Scaligerana, voce Annius.

(A) L’édition de quelques auteurs fort anciens dont les ouvrages passaient pour perdus. ] Voici la liste des pièces qui sont contenues dans cette compilation d’Annius [* 1]. Archilochi de temporibus Epitome lib. I ; Xenophontis de Æquivocis, lib. I ; Berosi Babylonici de Antiquitatibus Italiæ ac totius orbis, lib. V ; Manethonis Ægyptii supplementa ad Berosum, lib. I ; Metasthenis Persæ, de Judicio temporum, et Annalibus Persarum, lib. I ; Philonis Hebræi de Temporibus, lib. II ; Johannis Annii de primis Temporibus, et quatuor ac viginti regibus Hispaniæ, et ejus Antiquitate, lib. I ; Ejusdem de Antiquitate et Rebus Ethruriæ, lib. I ; Ejusdem Commentariorum in Propertium de Vertumno sive Jano, lib. I ; Q. Fabii Pictoris de aureo Sæculo, et Origine urbis Romæ, lib. II ; Myrsili Lesbii de Origine Italiæ, ac Turrheniæ, lib. I ; M. Catonis Fragmenta de Originibus, lib. I ; Antonini Pii Cæsaris Augusti Itinerarium, lib. I ; C. Sempronii de Chorographiâ sive Descriptione Italiæ, lib. I ; Joannis Annii de Ethruscâ simul et Italicâ chronographiâ, lib. I ; Ejusdem quæstiones de Thusciâ, lib. I ; Cl. Marii Aretii, patricii Syracusani, de Situ insulæ Siciliæ, lib. I ; Ejusdem Dialogus in quo Hispania describitur. La première édition de cet ouvrage est celle de Rome, chez Eucharius Silber, 1498. La seconde se fit à Venise la même année, chez Bernardin Vénéto : mais on n’y mit pas les commentaires de Jean Annius. Il s’en est fait depuis ce temps-là d’autres en divers lieux : je me sers de celle d’Anvers, 1552, in-8°. L’auteur dédia ces livres à Ferdinand et à Isabelle. Il leur dit qu’il les leur dédie, parce qu’ils furent découverts au temps que leurs majestés subjuguèrent le royaume de Grenade. Il prétend les avoir trouvés à Mantoue [* 2], lorsqu’il y était avec son patron Paul de Campo Fulgose, cardinal de saint Sixte [1]. L’ouvrage, au reste, n’est pas divisé en XXVII livres, comme l’assure Moréri, mais en XVII. Cette faute n’est pas peut-être de Moréri, mais de ses imprimeurs.

(B) Presque tous les savans firent peu de cas de cette publication. ] L’article d’Annius de Viterbe, dans Vossius, est fort bien rempli, et M. Moréri n’en a pas mal profité. De là vient qu’on trouve dans son Dictionnaire un récit assez curieux et assez ample touchant ce dominicain. On y voit le nom de plusieurs savans qui l’ont réfuté : mais on fera bien d’aller à sa source, c’est-à-dire à Vossius même, qui nomme encore d’autres censeurs, et qui cite leurs paroles. Pinéda en nomme plusieurs autres [2]. André Schott a inséré dans l’un de ses livres [3] deux savantes digressions. La première est un morceau des origines d’Anvers publiées par Goropius Bécanus ; la seconde est la traduction de la censure que Gaspar Barreiros publia contre Annius. Il la publia d’abord à Rome, en latin [4] ; et puis en sa langue maternelle qui était le portugais. On a inséré cette censure selon l’édition latine, dans la compilation d’Annius, imprimée en Allemagne, par les Commelins ; mais André Schott nous la donne selon l’édition portugaise qu’il a traduite en latin. Don Nicolas Antonio n’a point su que Gaspar Barreiros eût publié en latin cette critique : il ne parle que de l’édition portugaise [5]. Barreiros et Goropius Décanus font voir clairement la supposition. La Popelinière écrivit aussi contre Annius [6] ; je ne sais point si son écrit a vu le jour. Le savant Onuphre Panvini se déclara contre ces mêmes écrits [7] ; et l’on vit paraître à Boulogne, l’an 1638, une lettre de Jean-Baptiste Agucchi, où ces prétendus anciens auteurs sont réfutés d’importance. Le père Noris a cité [8] un homme [9] qui avait écrit depuis peu contre cet ouvrage d’Annius. Je pense que Volaterran et Sabellie furent les premiers qui témoignèrent que ces auteurs leur paraissaient supposés.

(C) Il s’élève de temps en temps certains auteurs qui le protégent. ] Quand j’ai dit que la plupart des savans considèrent comme supposées les pièces qu’Annius donna au public, je n’ai pas prétendu nier que des auteurs bien célèbres ne les aient prises pour légitimes. Vossius [10] nomme entre ceux-là Léandre Alberti, Nauclérus, Driedo, Valère Anselme, Jean Lucidius, Médina, et Sixte de Sienne. Si nous en croyons Altamura [11], il leur faut associer Pinéda ; mais Théophile Rainaud [12] le compte entre ceux qui ont rejeté les écrivains d’Annius. Je trouve qu’Albert Krantz, et Sigonius qui plus est, ont tenu pour légitimes ces écrivains. Voici un passage de Sigonius : Quibus epitomis (Catonis) meritò tantam ego tribuo auctoritatem, quantam incorruptis veteribus monumentis meritò tribuenda est [13]. Un dominicain d’Italie, nommé Tomasio Mazza, publia un in-folio [14] à Vérone, l’an 1673. En voici le titre : Apologia pro Frate Giovanni Annio Viterbese. Son principal but est de prouver que s’il y a eu là quelque fraude, il ne la faut point imputer à Annius : mais il passe plus avant ; il soutient que ces ouvrages sont légitimes, et il tâche de répondre à toutes les objections. Cette apologie ayant été critiquée, le père Macédo s’éleva contre le critique, non pas à dessein de soutenir que le Bérose, etc. publié par Annius, soit le vrai Bérose, mais pour faire voir qu’Annius n’a pas forgé ces manuscrits [15]. Un apologiste plus moderne prétend l’un et l’autre : il se nomme Didimus Rapaligérus Livianus. Il publia à Vérone, l’an 1678, un ouvrage in-folio, intitulé I Gothi illustrati, overo Istoria de i Gothi antichi [16], dans lequel il ramasse toutes les raisons qu’il peut, pour faire voir que les écrivains qu’Annius a publiés sont légitimes ; et qu’en tout cas ce dominicain ne les a point fabriqués. On sait, dit-il, que le Bérose lui fut donné à Gênes par le père George d’Arménie, dominicain, et qu’il avait trouvé tous les autres, hormis Manéthon, chez un certain maître Guillaume de Mantoue. Ainsi, quoique nous ne sachions pas d’où il a tiré Manéthon, nous devons croire qu’il ne l’a pas supposé : sa candeur à l’égard des autres lui doit servir de garant par rapport à celui-ci. Or comme on l’accuse d’avoir produit des tables de marbre sur le pied d’antiques, quoiqu’il les eût lui-même forgées, ce même auteur prend son parti là-dessus, et fait voir que cette accusation est calomnieuse, puisque ces tables furent découvertes, les unes avant la naissance d’Annius, et les autres par des gens qui les présentèrent au pape Alexandre VI. E tacciato per impostore d’alcune tavole di marmo dalle quali diede in luce la spiegazione. Se pero si deve ponderare la verità, con sodi argomenti quest’ autore libera dall imposture de suoi avversarii Annio, con provar evidentemente esser le due tavole da lui chiamate Libiscille, dal luogo ove furono trovate, state dissepellite molto tempo avanti che Annio nascesse.... E in quanto alle due Cibelarie, e la Longobarica, furono da altri trovate e presentate ad Alessandro VI per tacere dell’ Osiriana che avanti che nascesse Annio, fu resa alla luce [17].

(D) Les dominicains... se contentent d’alléguer qu’Annius ne fut pas un imposteur. ] Je viens de citer des gens qui ont travaillé à le défendre, et je renvoie mon lecteur à l’Appendix d’Altamura [18], où l’on trouve le nom de plusieurs autres apologistes. J’ai été surpris d’y voir qu’Altamura ne connaît aucun auteur qui, avant Petrus à Valleclausâ ait accusé d’imposture Annius de Viterbe. Souvenons-nous que ce Petrus à Valleclausâ, auteur du livre de Immunitate Cyriacorùm à censuris, n’est autre que Théophile Rainaud. Or il est certain qu’avant lui une infinité d’auteurs avaient accusé Annius d’être un imposteur. Voyez dans Moréri le passage d’Antonius Augustinus [* 3]. Ce qu’il y a d’admirable est que dans un livre où Théophile Rainaud n’était pas de mauvaise humeur contre les dominicains, comme quand il se déguisa sous le nom de Petrus à Valleclausâ, il déclare que, vu la qualité de dominicain que Jean Annius a portée, il aime mieux le croire innocent [19]. Finissons par les paroles d’un luthérien, qui a cru que les auteurs qu’Annius a publiés sont légitimes, et que si l’on y trouve des fautes, il ne faut point les imputer à ce moine, mais à l’ignorance ou à la mauvaise foi des copistes et des traducteurs. Quod enim, dit-il [20], per Deum immortalem, prodigium fuerit claustralem illum et minimè tam profundè doctum monachum talia comminisci posse ? Ais multa inesse ficta, minimè pro iis actoribus. Nec nos negamus interpolatos universos illos auctores, ruptos, fractos, minimè bonâ aut fide aut intelligentiâ translatos ; tamen antiquitùs ex legitimis verisque auctoribus excerptos, talia argumenta sunt, ut quæ contrà afferuntur omnia evanescant. Vel unum Catonem mihi vide. Cense, recense, damna etiam ut libet, videbis tamen veri illius Catonis, et fateberis etiam, ingenium stilumque hic superesse, quos mentiri aut fingere non fuit talium hominum.

  1. * Leclerc donne un titre différent, d’après l’édition de Venise, 1498.
  2. * Leclerc observe qu’Annius dit avoir trouvé à Mantoue, deux seulement des ouvrages contenus dans son Recueil : savoir, le Traité de M. P. Caton, et les fragmens de l’Itinerarium Antonini.
  3. * Le passage d’Antonius Augustinus ne renferme qu’un conte, et est réfuté dans les dernières éditions de Moréri, dit Leclerc. Il a cependant été adopté par Niceron, dans son tome XI.
  1. Voyez l’épître dédicatoire de ses Questions : elle est à la page 594 de son livre, à l’édition d’Anvers, 1552, in-8° :
  2. Lib. VII de Salomone, cap. XXVII, num. 4, apud Theophil. Raynaud., de malis et bonis Libris, num. 269, pag. m. 164.
  3. Intitulé : Hispaniæ Bibliothecâ. Voyez-y la page 354 et suiv.
  4. Schottus, in Hispaniæ Bibliothecâ, p. 355.
  5. Imprimée l’an 1557. Voyez la Biblioth. Hispaniæ Script. de Nicolas Antonio, tom. I, pag. 398.
  6. Histoire des Histoires, pag. 209.
  7. In Antiquitatibus Veronensibus.
  8. In Cenotaph. Pisanis, p. 5. Cet ouvrage fut imprimé l’an 1681.
  9. Il s’appelle François Sparaverius, et est de Vérone.
  10. De Hist. Latinis, pag. 609.
  11. In Bibiliothecâ Dominican.
  12. De malis et bonis Libris, pag. 164.
  13. Sigonius, de antiquo Jure Italiæ, lib. I, cap. XXV, folio m. 54 verso.
  14. Le Journal d’Italie, du 28 février 1674, en parle.
  15. Voyez le Journal d’Italie, du 26 de janvier 1675.
  16. Voyez le VIIIe. Journal d’Italie, de l’an 1678, pag. 120.
  17. Giornale VIII de Letterati, 1678, p. 122.
  18. Appendix Bibliothecæ Dominican., p. 527.
  19. Fortassis tamen ab alio quopiam impositum est ipsi Annio, quem doli expertem fuisse malo existimare, cùm religiosum institutum prædicatorum sit professus. Th. Raynaudus, de malis ac bonis Libris, num. 269, pag. m. 164.
  20. Barthius, in Animad versionibus ad Gallum, pag. 62.

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