Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Montaigu


◄  Monstrelet (Enguerrand de)
Index alphabétique — M
Montauban  ►
Index par tome


MONTAIGU (Jean de), grand-maître de France sous Charles VI, eut le malheur de déplaire au duc de Bourgogne, qui abusa si violemment de l’autorité qu’il s’était acquise dans le royaume, qu’il le fit décapiter le 17 d’octobre 1409 [a]. Quelques-uns disent que la mémoire de ce grand-maître fut justifiée trois ans après (A), lorsque le crédit de son oppresseur fut passé ; et qu’on ordonna que ses os seraient enterrés honorablement. François Ier. fit là-dessus une réflexion qui donna lieu à une réponse fort sensée. On la verra ci-dessous (B). Consultez la suite du Ménagiana [b].

  1. Et non pas le 7 d’octobre 1408, comme l’assure Moréri. Selon lui, dans un même jour on eût arrêté cet homme ; on lui eût donné des commissaires ; on l’eût mis à la question ; on l’eût condamné à perdre la tête, et on l’eût décapité.
  2. Pag. 87, 88, édit. de Hollande.

(A) Quelques-uns disent que sa mémoire.…. fut justifiée trois ans après. ] M. Ménage le nie ; voici ses paroles : elles sont pleines de faits curieux. « [1] Jacques du Breuil, dans ses Antiquités de Paris, au chapitre de la Fondation des Célestins de Marcoucy, a écrit que le corps de Jean de Montaigu avait été porté à Montfaucon, dans un sac rempli d’épices, et que, pendant tout le temps qu’il fut à Montfaucon, les célestins de Marcoucy donnaient tous les jours une certaine somme au bourreau de Paris pour le garder ; et que 4 ans après son exécution sa mémoire ayant été justifiée à la sollicitation du vidame de Laonnois, son fils, gendre du connétable d’Albret, ses biens furent rendus à ses héritiers. Il est vrai que le corps de Jean de Montaigu fut dépendu le 25 de septembre 1412, quelques années aprés qu’il eut été mis à Montfaucon. Mais ce que dit du Breuil de ce sac rempli d’épices et de la garde faite du corps de Jean de Montaigu par le bourreau, est une fable. Il n’est point vrai non plus que sa mémoire ait été justifiée. Pour ses biens, quoiqu’il eût été condamné sans la participation de Charles VI, Charles VI en donna la confiscation à Louis, duc de Guienne, dauphin. Mais il est vrai (ce que l’ai appris de M. Perron [2], qui a fait une étude particulière de la vie de Jean de Montaigu), que les biens de Jean de Montaigu furent enfin rendus à ses héritiers [* 1]. »

(B) François Ier... donna lieu à une réponse fort sensée. On la verra ci-dessous. ] Je me servirai des termes d’Étienne Pasquier. Le mesme roi, dit-il en parlant de François Ier. [3], passant par les célestins de Marcoucy, s’informant de quelques moines de leans, qui avoit fondé ce monastere, luy fut par aucuns respondu que c’estoit messire Jean de Montaigu grand maistre de France, sous le regne de Charles VI. Ce seigneur avoit esté autresfois pendu au gibet de Paris, à la sollicitation du duc de Bourgogne, qui lors gourmandoit toute la France. Le roy François comme bon coustumier qu’il estoit de tenir tousjours quelque propos de merite, dit à la compagnie qu’il s’esmerveilloit grandement comme cettuy, qui avoit longuement gouverné le roy son maistre, avoit esté condamné à mort, veu qu’après quelque suite d’années ses os furent ensevelis avec honneur en ce lieu, par ordonnance de justice : et qu’il falloit bien conclure par cela que les juges avoient mal jugé. A quoy il y eut un moine qui respondit au roy d’une parole assez brusque, qu’il s’abusoit aucunement, parce que le procés du sieur de Montaigu n’avoit esté fait par juges, ains seulement par commissaires, comme s’il eust voulu inferer en son lourdois que tels commissaires deleguez à l’appetit d’un seigneur qui pouvoit lors toutes choses, n’apportoient en leurs jugemens la conscience des bons juges. Soit que cette parole fust proferée par un moine en son gros lourdois, ou par un artifice affeté, elle appresta à rire, combien qu’elle se deust tourner à edification : car à bien dire les commissions, encore qu’elles ne soient pratiquées, si sont elles tousjours suspectes envers toutes personnes graves, et semble à plusieurs que tels juges soient choisis à la poste de ceux qui les y font commettre, pour en rapporter tel profit, ou telle vengeance qu’ils se sont projettez dessus le masque de justice. Ce que mesmement reconnu par le parlement, pour obvier aux scandales et foule du peuple qui ordinairement en adviennent, en une mercuriale qui fut faite de nostre temps, il fut par serment solemnel arresté qu’aucun conseiller de la cour n’entreroit en commission, si tous les commissaires et deputez n’estoient tirez du mesme corps, et non mandiez d’unes et d’autres cours souveraines. En quoy neanmoins ce n’est du tout apporter medecine à la maladie, ains quelque temperament seulement [4]. On ne se conforme guère à ces bonnes considérations.

  1. * Leclerc dit que ce Perron était de Langres, et mourut en 1696, dans sa quatre-vingt onzième année.
  1. Ménage, Histoire de Sablé, livr. X, chap. V, pag. 271.
  2. Il a publié un livre intitulé, l’Anastase de Marcoucy, ou Recherches curieuses de son Origine, Progrès et Agrandissement. Le Journal des Savans du 13 juin 1695 en parle.
  3. Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, chap. VIII, pag. m. 471.
  4. Voyez l’article Grandier, rem. (F), tom. VII, pag. 200.

◄  Monstrelet (Enguerrand de)
Montauban  ►