Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mestrezat


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MESTREZAT (Jean), ministre de l’église de Paris[* 1], et issu d’une très-bonne famille (A), naquit à Genève, l’an 1592. Il fut envoyé fort jeune à l’académie de Saumur, et il y donna des preuves fort singulières de la force de son génie dans une dispute publique (B). Il n’avait que dix-huit ans lorsqu’on lui offrit une chaire de professeur en philosophie, et il fut donné pour ministre à l’église de Paris en sortant de l’état de proposant (C), chose tout-à-fait extraordinaire. On n’eut pas sujet de se repentir d’une vocation si prématurée ; car ses conférences avec les catholiques romains (D), ses députations (E), ses sermons, ses livres (F), le firent paraître l’un des plus habiles hommes que les réformés eussent en France. On conte une circonstance bien particulière d’un procès qu’il eut au parlement de Paris (G). Il mourut le 2 mai 1657, la quarante-troisième année de son ministère. Il ne laissa qu’une[a] fille[b].

(A) Il était d’une très-bonne famille.] Ami Mestrezat, son père, fut premier syndic de Genève, et eut un autre fils qui fut syndic de la même ville. Cette charge est des premières de l’état[* 2]. Philippe Mestrezat, neveu du ministre de Charenton, a été un célèbre professeur en théologie à Genève[1]. Son fils aîné, qui est mort depuis quelques années[2], avait exercé glorieusement la charge de syndic de la république. N. Mestrezat, autre fils de Philippe, est aujourd’hui un habile médecin dans sa patrie[3].

(B) Il donna des preuves de la force de son génie dans une dispute publique.] Il prit garde que le professeur en philosophie qui présidait à cette dispute répondît à un argument : Transeat major, nego minorem, et il se leva pour argumenter dès que celui qui opposait eut fini. Son sujet fut que l’on n’avait pu nier la mineure, après avoir laissé passer la majeure, et il soutint cela avec tant de force, qu’il obligea le professeur à convenir de la faute. M. du Plessis Mornai était présent à cet acte[4].

(C) Il fut donné pour ministre à l’église de Paris en sortant de l’état de proposant.] Il se présenta à un synode de Charenton pour être reçu au ministère. M. du Moulin, qui était chargé de trouver un pasteur à l’église d’Orléans, avait jeté les yeux sur lui pour cette charge, mais le jeune Mestrezat, examiné dans le consistoire de Charenton, fit paraître tant de savoir, que cette église trouva bon de l’arrêter à son service[5].

(D) Ses conférences avec les catholiques romains.] On m’a dit que sa conférence avec le père Véron fut imprimée, et qu’il triompha hautement de ce fameux controversiste. Celle qu’il eut avec le jésuite Regourd, en présence de la reine Anne d’Autriche, n’a point vu le jour ; et c’est une tradition générale parmi les réformés de France, que cette princesse, bien étonnée que ce jésuite, qui s’était vanté de confondre facilement tous les ministres, eût été réduit à la dernière confusion par Mestrezat, exigea que les actes de cette dispute ne fussent point imprimés, à quoi ceux de la religion obéirent très-fidèlement [6].

(E) Ses députations. ] On dit qu’ayant été député par un synode national à Louis-le-Juste, il répondit admirablement à trois questions que le cardinal de Richelieu suggéra à ce monarque de lui faire. 1°. Pourquoi vous servez-vous de la liturgie de Genève ? 2°. Pourquoi joignez-vous dans vos prières les papistes avec les tures et les païens ? 3°. Pourquoi souffrez-vous les ministres non français ? Il répondit, 1°. que faisant profession d’une même religion avec Genève, il n’était pas surprenant qu’ils se servissent de la même liturgie ; 2°. qu’on ne devait pas être étonné que dans le temps que la communion de Rome traitait les protestans comme les turcs et les païens les eussent traités, on eût joint les papistes avec ces infidèles ; mais qu’on avait ôté le mot de papistes dans les nouvelles éditions, même sous le règne d’Henri IV ; et que si cela était demeuré dans quelques-unes, elles n’avaient pas été faites en France ; 3°. qu’il serait à souhaiter que tant de moines italiens qui étaient en France, eussent autant de zèle pour sa majesté qu’en avaient les ministres étrangers, qui ne reconnaissaient dans le royaume aucun autre souverain que le roi. À ces mots le cardinal de Richelieu lui touchant l’épaule : voilà, dit-il, le plus hardi ministre de France [7].

(F) Ses sermons, ses livres. ] Son langage n’approchait pas de la politesse et de la netteté du style de M. Daillé ; mais il prêchait avec plus de profondeur, de raisonnement, et d’érudition que lui. Il n’y a point de sermons qui contiennent une théologie plus sublime que ceux qu’il prêcha sur l’Épître de saint Paul aux Hébreux. Ils ont été imprimés en plusieurs volumes. On dit [8], qu’ayant rencontré dans la rue un ecclésiastique de sa connaissance, qui avait prêché un carême avec applaudissement, et l’en ayant félicité : J’ai pris, lui répondit l’autre, dans vos sermons tout ce que j’ai dit de meilleur [* 3]. Il a traité la controverse de l’autorité de l’Écriture [9], et celle de l’église [10], avec une force toute particulière ; et il a réfuté sur ces importans sujets toutes les subtilités du père Regourd et du cardinal du Perron. Il fait voir dans ces ouvrages qu’il possédait bien les pères, et qu’il entendait bien la philosophie et l’Écriture. On estime fort son traité de la Communion à Jésus-Christ dans le sacrement de l’eucharistie [11]. Ses héritiers possèdent encore plusieurs manuscrits qui furent trouvés dans son cabinet [12] : ses sermons sur le catéchisme [13], l’explication de l’Épître de saint Paul aux Galates, celle de quelques chapitres de l’Épître aux Éphésiens, sermons sur divers textes détachés, et plusieurs opuscules. Notez qu’il publia à Sedan un volume de Sermons, l’an 1625 in-8°. On a, en deux volumes, ceux qu’il fit sur la 1re. épître de saint Jean.

(G) On conte une circonstance bien particulière d’un procès qu’il eut au parlement de Paris. ] Celui qui présidait à l’audience où la cause était plaidée, ayant remarqué à sa mine qu’il n’était guère content de son avocat, interrompit celui-ci, et s’adressant au ministre : Il me semble, lui dit-il, que ce qu’on allègue pour votre cause ne vous satisfait point ; la cour vous permet de plaider vous-même. On prétend que M. Mestrezat fit une si belle déduction de ses raisons, que sa cause fut gagnée du bonnet [14].

  1. * Leclerc et Joly trouvent que cet article n’est qu’un pur éloge : C’est tout dire, ajoutent-ils ; et la source indiquée par Bayle à la fin de son texte devait lui être suspecte.
  2. * Voici ce que dit Guib sur cette phrase de Bayle : « Je suis surpris que ce savant homme ayant été à Genève, comme il paraît par ce qu’il a écrit dans le texte de l’article Priolo, ait néanmoins parlé avec si peu d’exactitudes des premiers magistrats de cette florissante république. Il fallait dire que la charge de syndic est la première de l’état. »
  3. * Leclerc et Joly, qui ont rapproché cette anecdote de celle que raconte Faget, et que Bayle rapporte dans la remarque (M) de l’article Marca, pensent que l’aventure de Mestrezat devait être traitée de conte.
  1. Il la maria à Jacques de Maubert sieur de Boisgibaut.
  2. Tiré d’un Mémoire qui m’a été renvoyé de Genève par M. Pictet, professeur en théologie.
  1. Voyez l’épître dédicatoire de l’un des volumes des Sermons de son oncle, sur l’Épître aux Hébreux.
  2. On écrit ceci en 1697.
  3. Tiré d’un Mémoire, envoyé par M. Pictet. Notez que depuis que ce Mémoire m’a été communiqué, j’ai ouï dire que M. Mestrezat le médecin a été promu à la charge de conseiller de la république.
  4. Mémoire communiqué par M. Pictet.
  5. La même.
  6. Voyez Dumoulin, des Traditions, p. 79
  7. Mémoire de M. Pictet.
  8. Là même.
  9. Dans le livre intitulé : Traité de l’Écriture Sainte, où est montrée la Certitude et Plénitude de la Foi, et son Indépendance de l’Autorité de l’Église. À Genève, 1632, in-8°.
  10. Dans son Traité de l’Église, imprimé à Genève, 1649, in-4°.
  11. Imprimé à Sedan, 1625, in-8°.
  12. Mémoire de M. Pictet.
  13. On en imprime à Geneve quelques-uns avec d’autres de M. Daillé. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1700, pag. 586.
  14. Mémoire de M. Pictet.

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