Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mayerne


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MAYERNE (Théodore Turquet, sieur de) l’un des plus fameux médecins de son temps, naquit proche de Genève [a], l’an 1552, ou environ [b]. Il reçut à Montpellier, le grade de bachelier en médecine, l’an 1596 ; et le doctorat en la même faculté, le 20 de février 1597. Il s’en alla à Paris quelque temps après, et s’attacha avec chaleur à la pratique de la chimie. C’était une étude fort décriée en ce temps-là, et fort odieuse aux médecins de Paris. C’est pourquoi ils se déchaînèrent avec le dernier emportement contre Mayerne et contre du Chesne [c], et s’efforcèrent de les faire passer pour les ennemis jurés de la médecine. C’est ce qui paraît par un ouvrage qui fut imprimé l’an 1603, contre ces deux médecins. Mayerne le réfuta par un autre ouvrage, qui fut réfuté à son tour (A). La chose n’en demeura point là ; car la faculté de médecine lança un décret d’interdiction contre lui, ce qui n’empêcha point que Mayerne ne fût appelé à la cour, et n’y obtînt une place de médecin ordinaire de Henri-le-Grand. Il se retira en Angleterre après la mort de ce prince, et y fit une fortune très-éclatante. Il y acquit l’amitié de plusieurs personnes illustres, et il gagna de telle sorte les bonnes grâces du savant roi Jacques, qu’il fut non-seulement son premier médecin, mais aussi en quelque manière son favori. Il en fut comblé d’honneurs [d], et vit croître sa fortune sous le roi Charles Ier. Il fut agrégé d’un consentement unanime au corps des docteurs des deux universités du royaume. Sa réputation et sa pratique furent extraordinaires, et il amassa de grands biens. Il eut deux fils et une fille qui fut mariée à M. le marquis de Ruvigni [e]. Il mourut à l’âge de quatre-vingt deux ans. Voilà ce que je tire de la préface de ses Œuvres, imprimées à Londres, l’an 1700 (B). Nous donnerons, dans les remarques, un récit plus étendu et plus exact (C). Il ne faut pas que j’oublie que notre Mayerne eut des envieux qui tâchèrent de le noircir à l’occasion de la mort du prince de Galles, l’an 1612 ; mais son honneur fut entièrement mis à couvert par les actes authentiques, je veux dire par des certificats que le roi Jacques, et les seigneurs du conseil, et les officiers et gentilshommes du feu prince de Galles lui expédièrent dans la meilleure forme qu’il aurait pu souhaiter. On les trouve avec une relation de la maladie ; mort, et ouverture du corps de ce prince dans l’ouvrage que j’ai allégué [f].

  1. Dans une maison de campagne nommée Mayerne, sur les terres de la république de Genève. Browne, in præfat. Operum Mayernii.
  2. Voyez dans la remarque (C) son vrai jour natal.
  3. Voyez la remarque (A), citat. (8).
  4. Voyez dans la remarque (B) l’inscription de sa taille-douce.
  5. C’est une faute. Voyez la remarque (C).
  6. À la page 103 et suivantes des Opera Medica Theod. Turquet. Mayernii, édit. de Londr. 1700.

(A) Mayerne le réfuta par un autre ouvrage, qui fut réfuté à son tour. ] Gui Patin a fait mention de cette dispute, mais en homme qui se plaisait à médire, et qui était ennemi des médecins innovateurs. Le sieur de Mayerne Turquet, dit-il [1], médecin du roi d’Angleterre, est, à ce que j’apprends, natif de Genève, fils d’un homme qui a fait l’Histoire d’Espagne [2], qui est aujourd’hui imprimée en deux volumes in-folio. Ce père [* 1] a aussi fait un livre intitulé, la Monarchie Aristodémocratique [3], qui fut contredit par Louis d’Orléans (c’est celui qui a fait des commentaires sur Tacite) dans sa Plante humaine, imprimée à Lyon et à Paris. Turquet fit une réponse à Louis d’Orléans en 1617. Il demeurait à Genève, ou près de là, dans la religion du pays [4]..... Je crois que son fils est médecin de Montpellier. Il vint à Paris, l’an 1602, et comme il se piquait d’être grand chimiste, il eut querelle avec quelques-uns des nôtres, d’où vint qu’on fit un décret, de ne jamais consulter avec lui. Il eut pourtant quelques amis de notre ordre, qui voyaient des malades avec lui. De cette querelle provint une apologie dudit Théodore Mayerne Turquet, de laquelle il n’est non plus l’auteur que vous ni moi. Deux docteurs de notre compagnie y travaillèrent, Séguin notre ancien, qui a toujours porté les charlatans, et son beau-frère Acakia [5]..... Ce Mayerne est encore aujourd’hui en Angleterre, fort vieux et presque en enfance. On dit qu’il a quitté le parti du roi, et qu’il s’est rangé du côté du parlement. J’ai vu un de ses enfans en cette ville, étudiant en médecine, qui depuis est mort en Angleterre. On dit qu’il est fort rude à ses enfans, tant il est avaricieux, et qu’il les laisse mourir de faim. Il est grand chimiste, fort riche, et sait le moyen de se faire donner force Jacobus, d’une consulte de cinq ou six pages. Il est entre autres baron d’Aubonne, belle terre dans le pays de Vaud, proche de Genève, de laquelle était seigneur, en l’an 1560, un certain évêque de Nevers, nommé Paul Spifame [6]..... Cette apologie de Mayerne ne manqua pas de réponse. M. Riolan le père y répondit, par un livret exprès, élégant et savant à son accoutumée.

M. Browne, comme je l’ai déjà dit [7], a observé que Mayerne eut un compagnon de fortune dans la persécution que lui firent les médecins de Paris. Il nomme Quercetanus cet associé dont le nom français était du Chesne. Patin ne dit rien de cette jonction ; mais il parle très-satiriquement de ce Quercetanus. Cette même année 1609, il mourut, dit-il [8], un méchant pendard et charlatan qui en a bien tué pendant sa vie et après sa mort par les malheureux écrits qu’il nous a laissés sous son nom, qu’il a fait faire par d’autres médecins et chimistes deçà et delà. C’est Josephus Quercetanus, qui se faisait nommer à Paris, le sieur de la Violette. Il était un grand ivrogne et un franc ignorant qui ne savait rien en latin, et qui n’étant de son premier métier que garçon chirurgien du pays d’Armagnac, qui est un pauvre pays maudit et malheureux, passa à Paris et particulièrement à la cour pour un grand médecin, parce qu’il avait appris quelque chose de la chimie en Allemagne.

Il faut que je dise que l’Histoire générale d’Espagne, composée par Louis de Mayerne Turquet, Lyonnais, fui premièrement imprimée l’an 1587, et puis chez Abel l’Angelier, l’an 1608, à Paris, et puis encore dans la même ville, chez Samuel Thiboust, l’an 1635. La seconde édition comprend XXX livres, et s’étend jusques à la fin de l’année 1582. La troisième édition est augmentée de six livres qui s’étendent jusques à la fin du XVIe. siècle.

(B) Voilà ce que je tire de la préface de ses œuvres, imprimées a Londres l’an 1700. ] Elles font un assez gros in-folio, divisé en deux livres ; le premier contient Consilia, Epistolas, et Observationes, et le second Pharmacopæam variasque Medicamentorum formulas. On voit au-devant du livre la taille-douce de M. de Mayerne tel qu’il était à l’âge de quatre-vingt deux ans. C’est la plus heureuse physionomie du monde [9], un air vif, serein et majestueux, une barbe vénérable. On lit au bas de l’estampe : Theo : Turquet : de Mayerne eques auratus, patriâ Gallus, religione reformatus, dignitate baro : professione alter Hippocrates, ac trium regum (exemplo rarissimo) archiater : eruditione incomparabilis : experientiâ nulli secundus : et quod ex his omnibus resultat, famâ latè vagante perillustris. Le médecin anglais [10], qui a eu soin de cette édition, assure qu’on n’avait encore vu aucun ouvrage de Mayerne qui fût véritablement de lui. Quicquid hactenùs sub Mayernii nomine orbem invisit, tam crebris fœdatur interpolationibus, utpote quod partim ex suis, partim ex aliorum chartis in bibliothecâ suâ repertis imperitè consuitur, ut nemo hariolari possit, quid author sibi velit, ejusque scopum assequi valeat, cùm casus à remediis pessimo consilio ubique abscindantur....... Nihil hactenùs sub ejus nomine comparuit, quod ipsius reverà esse dici possit [11]. Il nous apprend les raisons qui l’ont empêché de publier les ouvrages chirurgiques de ce médecin. Vous trouverez dans Lindenius renovatus [12] le titre de quelques écrits de cet auteur ; mais n’allez pas vous imaginer que Theodorus Mayernus Turquetus, et Theodorus Turquetus, de Mayerne, que l’on y donne comme si c’étaient deux écrivains différens [13], soient deux personnes. On n’y pouvait pas parler du Praxeos Mayernianæ in morbis internis præcipuè gravioribus et chronicis syntagma ; car c’est un livre qui n’a été imprimé qu’en 1690 [14]. Les journalistes de Leipsic [15] en ont donné un extrait.

(C) Nous donnerons…. un récit plus étendu et plus exact. ] Je le donnerai tout tel que je l’ai reçu de M. Minutoli [16], qui avait eu la bonté, à ma prière, de s’informer soigneusement de toutes les circonstances [* 2].

« M. le chevalier Théodore de Mayerne, baron d’Aubonne, conseiller et premier médecin de L. L. M. M. britanniques Jacques Ier. et Charles Ier., fut fils de Louis de Mayerne, célèbre pour l’Histoire générale d’Espagne qu’il a composée, pour sa Monarchie aristodémocratique, dédiée à Messieurs les États-Généraux, et de Louise, fille d’Antoine le Masson [17], trésorier des guerres des rois François Ier. et Henri II, en Piémont. La famille est originaire de Piémont, ayant fleuri long-temps dans la ville de Quiers. Et pour le nom ou sobriquet de Turquet, il leur vint d’une femme de la maison, qui pour être bien faite et de taille avantageuse, était dite sembler une belle Turque ; ce qui fit qu’on donna communément le surnom de Turquetti à tous ses enfans. Louis de Mayerne se retira à Genève sur la fin de l’an 1552, ayant eu deux maisons démolies à Lyon à cause de la religion. Le 28 de septembre 1573, lui naquit, à Genève, Théodore de Mayerne, ayant pour parrain Théodore de Bèze. Il fut élevé en sa patrie aux humanités, et de là envoyé à Heidelberg où il demeura quelques années ; après quoi s’étant destiné à la médecine, il alla à Montpellier où il reçut ses degrés de bachelier, et ensuite de docteur. De là il passa à Paris, où se formant à la pratique, il fit des leçons en anatomie aux jeunes chirurgiens, et en pharmacie aux apothicaires : et ses ordonnances lui acquérant de l’estime, il fut connu de M. Ribbit, sieur de la Rivière, premier médecin du roi Henri IV, qui le recommanda si bien à S. M., qu’elle lui donna la charge d’un de ses médecins ordinaires, et en l’an 1600 le donna à Henri, duc de Rohan, pour l’accompagner dans les voyages qu’il fit pour la France, vers les princes d’Allemagne et d’Italie. Étant de retour il se rendit fort recommandable en l’exercice de sa charge, et fut bien vu du roi, qui promettait de lui faire beaucoup de bien s’il eût voulu changer de religion, lui mettant à dos le cardinal du Perron, et d’autres ecclésiastiques ; et même malgré sa résistance, le roi lui avait fait expédier un brevet de son premier médecin, que les jésuites, qui le surent, furent prompts à faire révoquer par la reine Marie de Médicis ; circonstance et faveur dont M. de Mayerne n’eut pour lors aucune connaissance, mais seulement en Angleterre, en l’an 1642, qu’il l’apprit de la bouche de César, duc de Vendôme, fils naturel de France. En 1607, il traita un seigneur anglais, lequel étant guéri le mena en Angleterre, où il eut une audience particulière du roi Jacques. Et même après la mort du roi Henri IV il continua d’être médecin ordinaire du roi Louis XIII, jusqu’en 1616, qu’il traita de cette charge avec un médecin français. L’an 1611 le roi d’Angleterre le fit demander par son ambassadeur, pour être son premier médecin, et de la reine Anne son épouse, par une patente scellée du grand sceau d’Angleterre, où il a servi toute la famille royale avec grand honneur et approbation jusqu’à la fin de sa vie ; comme aussi la plus grande partie de la noblesse et du peuple. Il faisait un recueil exact de ses conseils en médecine. Il a composé une pharmacopée fort curieuse de remèdes tant galéniques que spagyriques ; mais il n’a jamais rien fait imprimer, si ce n’est une apologie contre la faculté de médecine de Paris, qui l’avait attaqué. Il y eut un médecin, nomme Brouent, qui envoya au docteur Bévérovicius une relation de la Vescie d’Isaac Casaubon composée par ledit de Mayerne, de quoi il témoignait du ressentiment. Il a eu deux femmes, dont la première était Marguerite de Boetslaer, de la maison d’Asperen, de laquelle il eut deux fils [* 3] morts durant sa vie. Et la seconde était Isabelle, fille d’Albert Joachimy, célèbre par ses ambassades pour Messieurs les États-Généraux, en Moscovie, en Suède, et pendant plus de 24 ans en Angleterre, de laquelle il avait eu deux fils, décédés devant lui, et trois filles, dont deux moururent de son vivant. Il mourut le 15 de mars 1655 à Chelsey, prés de Londres, laissant une fille unique, laquelle porta ses grands biens en mariage à M. le marquis de Montpouillan, petit-fils de M. le maréchal duc de la Force ; mais elle mourut à la Haye, l’an 1661, ne pouvant pas accoucher, ou du moins dans l’accouchement, »

Notez que M. de Mayerne eut une nièce qui fut mariée avec un seigneur anglais, et qui avait un très-grand mérite. Elle s’appelait Louise de Frotté, et par son mariage elle fut nommée madame de Windsor. Elle avait beaucoup d’esprit et de lecture, et a été pendant plusieurs années un ornement de la ville de Genève. Elle y mourut vers la fin de l’an 1691. Voyez son éloge dans l’Italia regnante de M. Leti [18]. Voyez aussi l’Histoire des Ouvrages des savans [19].

  1. * Leclerc dit que Louis Mayerne, père de Théodore, était né à Lyon. Louis de Mayerne Turquet a place dans les Lyonnais dignes de mémoire, de Pernetti, qui n’avait pas consulté le récit de Minutoli, transcrit ci-après dans la remarque (C).
  2. * Leclerc pense que la narration de Minutoli détruisant une partie de l’article, Bayle aurait dû le refaire.
  3. * Leclerc croit que c’est l’un des fils de Théodore qui est auteur de l’ouvrage dont le père Jacob, dans sa Bibliographa Parisina (années 1647 et 1648), page 25, rapporte ainsi le titre : Discours sur la carte universelle en laquelle le globe terrestre est entièrement réduit et représenté dans un seul cercle et sans aucune division de ses parties, par Louis de Mayerne Turquet, Parisien, professeur en géographie, à Paris, aux dépens de l’auteur, 1648, in-12. L’auteur y prenant la qualité de Parisien, n’est-il pas à croire qu’il était du premier lit ?
  1. Patin, lettre VIII, pag. 35 du Ier. tome : elle est datée du 16 de novembre 1645.
  2. Voyez la fin de cette remarque.
  3. Ce livre fut saisi, confisqué, et étroitement défendu. Voyez le Mercure Français, tom. II, à l’an 1611, pag. m. 184.
  4. Patin, lettre VIII, pag. 36 du Ier. tome.
  5. Là même, pag. 37 du Ier. tome.
  6. Là même, pag. 39.
  7. Dans le corps de cet article, citation (c).
  8. Patin, lettre XXXI, pag. 142 du Ier. tome.
  9. Voyez le Journal de Leipsic, 1691, p. 57.
  10. Josephus Browne, utriusque facultatis Doctor.
  11. Idem, in præfat.
  12. À la page 997 de l’édition de Nuremberg, 1686.
  13. Il y a une semblable faute dans la Bibliothéque de Konig : voyez-y, pag. 522 et 822.
  14. À Londres, in-8°. M. Charleton y a mis une préface.
  15. À la page 57 et suiv. de l’an 1691.
  16. Dont on a parlé, tom. III, pag. 69. citation (6) de l’article Balzac (Jean-Louis), et remarque (I) de l’article Lucrèce (Titus, etc.), tom. IX, pag. 510.
  17. Dont on a parlé, tom. VI, pag. 445, remarque (G) de l’article Ferret.
  18. À la IVe. part., pag. 64 et suiv.
  19. Mois de mars 1692, pag. 336.
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