Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Magius


◄  Magin (Jean-Antoine)
Index alphabétique — M
Magni (Valérien)  ►
Index par tome


MAGIUS [a] (Jérôme) a été un des savans hommes du XVIe. siècle. Il était né à Anghiari dans la Toscane (A), et ayant étudié les humanités, et les premiers élémens du droit civil sous Pierre Antoine Ghéti [b], il s’en alla à Bologne, pour y profiter des leçons de Robortel. Il fit des progrès considérables en diverses sciences, et donna à connaître de bonne heure qu’il était propre, aux emplois publics ; car il fut député à Florence pendant sa jeunesse [c]. C’était un esprit qui ne se bornait pas à un certain nombre d’études : il donnait presque dans tout ; car, outre les belles-lettres et la jurisprudence, il voulut savoir l’art militaire, et composer même des livres là-dessus [d], quoique la médiocrité de sa fortune, qui l’obligea à se mettre aux gages des imprimeurs de Venise [e], semblât demander qu’il ne se répandît pas sur ces sortes d’occupations. Mais c’est de ce côté-là qu’il s’est signalé davantage, puisqu’ayant été envoyé dans l’île de Chypre par les Vénitiens, pour y exercer la charge de juge d’armée, et les Turcs ayant assiégé Famagouste, il y rendit tous les services qu’on pouvait attendre d’un excellent ingénieur. Il trouva l’invention de certains fourneaux et de certains feux d’artifice, avec lesquels il ruinait les travaux des Turcs, et en un moment il renversait des ouvrages qui leur avaient coûté une longue peine [f]. Mais ils n’eurent que trop d’occasions de se venger du retardement qu’il causa à leur entreprise ; car la ville étant enfin tombée en leur puissance au mois d’août 1571, Magius devint leur esclave, et en fut traité cruellement. Sa consolation en ce triste état fut le souvenir des choses qu’il avait autrefois apprises ; et comme il avait beaucoup de mémoire, il ne se crut pas incapable, quoique destitué de toutes sortes de livres, d’en composer qui fussent remplis de citations. Ce fut à quoi il employait une bonne partie de la nuit (B), étant obligé de travailler pendant le jour comme le plus vil esclave. Il conjura l’ambassadeur de l’empereur et celui de France, de travailler à sa liberté : mais soit qu’ils ne prissent pas assez à cœur ses intérêts, soit que leurs bonnes intentions fussent éludées par la barbarie des Turcs (C), il est certain que Magius, bien loin de recouvrer sa liberté, fut étranglé en prison le 27 de mars 1552 [* 1]ou 1573 (D), comme on l’a su par le Journal d’Arnoul Manlius, médecin de l’ambassadeur de l’empereur. Je donne la liste des livres qu’il avait publiés avant que d’aller en Chypre (E).

  1. * « C’est sûrement 1572, dit Leclerec, le Mémoire de Manlius, portant : 27 martii, nocte diei Jovis. Le 27 était un jeudi en 1572. »
  1. Je le mets sous son nom latin, que quelques-uns, comme du Ryer dans sa version de M. de Thou, ont traduit par Maggi, quelques autres par Maggio, comme M. le Pelletier dans la version de Gratiani, de la Guerre de Chypre.
  2. Magius, Miscell., lib. IV, cap. I.
  3. Idem de Tintinnab., cap. XVIII.
  4. Voyez ce qu’il en dit, Miscell., lib. I, cap. I.
  5. Ad hæc Venctiis, ubi et typographis eperam navâsse fertur, etc. Fr. Swertius. in Elogio Magii, init. lib., de Tintinnab.
  6. Ant. Maria Gratiani, Guerre de Chypre. liv. III.

(A) Il était né à Anghiari dans la Toscane. ] En latin, on nomme cette ville Anglara, et il ne faut pas la confondre avec celle qu’on nomme en latin Angleria ou Anglaria, ou en italien Angiera, et qui est dans le Milanais, sur le lac Majeur. C’est à tort que M. de Thou [1], Swert, Aubert-le-Mire, Quenstedt, et plusieurs autres, ont donné cette dernière ville pour patrie à Magius ; car il nous apprend lui-même qu’il était d’Anghiari dans la Toscane. M. Trichet du Fresne a rapporté deux passages qui sont si formels sur cela, que M. Teissier [2], qui le cite, ne devait pas, ce me semble, laisser ses lecteurs dans l’incertitude où il les laisse par ces paroles : Jérôme Maggi naquit à Anglaria dans le duché de Milan, ou à Anghiari dans la Toscane, suivant quelques-uns. L’un des deux passages allégués par M. Trichet du Fresne est tiré du chapitre II du Ier. livre de muniendis civitatibus ; et l’autre du chapitre IX du IVe. livre des Miscellanées. Il cite aussi le témoignage de Gratiani, qu’il a trouvé au IIIe. livre de Bello Cyprio, page 181. Il aurait pu citer l’endroit des Miscellanées où Magius nomme la Toscane, nostram Hetruriam. C’est au chapitre XX du Ier. livre.

(B) Il employait à composer des livres une bonne partie de la nuit. ] Il composa dans sa prison un Traité des Cloches [3], de Tintinnabulis, et un autre du Chevalet, de Equuleo. Ce qui lui fit choisir ces matières, fut d’un côté qu’il remarqua que les Turcs ne se servaient point de cloches, et de l’autre qu’en roulant dans son esprit diverses sortes de tourmens à quoi sa condition l’exposait, il se souvint que personne n’avait bien expliqué encore ce que c’était que l’Equuleus. Il dédia le premier de ces deux traités à Charles Rym, natif de Gand, ambassadeur de l’empereur à Constantinople, et l’autre à l’ambassadeur de France au même lieu. Jungerman, dans ses notes sur le Traité de Equuleo, croit que cet ambassadeur de France était François de Noailles, évêque d’Ax. M. du Fresne Trichet le croit aussi. Voyez son éloge de Magius, au commencement du Traité de Equuleo, à l’édition d’Amsterdam. Ces deux traités de Magius ne sont sortis de dessous la presse que plusieurs années après sa mort. Le manuscrit de celui de Tintinnabulis fut donné par Philibert Rym aux jésuites, qui le laissèrent imprimer avec des notes de François Swertius, à Hanau, l’an 1608 [4]. L’année d’après on imprima au même lieu, avec des notes de Jungerman, le traité de Equuleo, dont le manuscrit avait été laissé à Arnoul Manlius par Magius même [5]. Ils ont été réimprimés à Amsterdam, l’an 1664 et l’an 1689.

(C) Soit que les ambassadeurs de l’empereur et de France... ne prissent pas assez à cœur ses intérêts, soit que leurs bonnes intentions fussent éludées par la barbarie des Turcs, etc. ] Je crois qu’on fait tort à ces deux ambassadeurs, quand on affirme qu’ils ne firent aucun compte des prières de Magius ; et je ne saurais comprendre comment M. Trichet du Fresne a pu les accuser de surdité à cet égard [6], lui qui, immédiatement après, cite le journal du médecin Manlius, par où l’on apprend que ce qui perdit Magius, fut que, par une ostentation imprudente, on le fit venir au logis de l’ambassadeur, et qu’on le délivra à contre-temps. Imprudenti ambitione in nostram carvassaram ductus..….…. Constantinopoli intempestivè liberatus, strangulari à Mahomete Bassâ in carcere jussus. Il n’y a plus lieu de douter après ces paroles, que le marché pour la rédemption n’ait été conclu ; mais voici apparemment ce qui gâta tout. Mahomet Bacha apprit que Magius avait été chez l’ambassadeur de l’empereur., il crut remarquer là trop d’empressement ; il se souvint des coups que cet habile ingénieur avait su faire : il n’en fallut pas davantage pour le porter à donner ordre qu’on l’étranglât la nuit suivante. M. Gallois [7] en parle d’un ton encore plus affirmatif dans l’extrait du Traité des Cloches. Les ambassadeurs, dit-il, traitèrent de sa rançon : mais en pensant avancer sa liberté, ils ne firent qu’avancer sa mort ; car un bacha, qui n’avait pas oublié les maux que Magius avait faits aux Turcs au siége de Famagouste, avant appris qu’on l’avait mené au logis de l’ambassadeur de l’empereur, l’envoya reprendre, et le fit étrangler la nuit même dans la prison.

M. de Thou n’a pas été assez bien instruit sur cet article. Il avait bien ouï dire que Magius avait fait quelque chose dans sa prison ; mais, 1°. il ignorait ce que c’était, et ainsi M. Moréri ne devait pas lui faire dire que c’était un Traité de Culeo [8], et une autre de Tintinnabulis. 2°. Il ignorait que Magius eût dédié l’un de ces deux livres à l’ambassadeur de l’empereur, et l’autre à l’ambassadeur de France, et les eût suppliés de travailler à sa liberté. 3°. Il ignorait qu’ils y eussent travaillé. 4°. Il ignorait que celui qui fit étrangler Magius n’était point son maître : l’auteur de cette barbarie était Mahomet Bacha : mais le maître de Magius n’était qu’un capitaine de vaisseau [9]. 5°. Il ignorait la raison pourquoi on fit mourir cet illustre prisonnier, puisqu’il croit qu’on se porta à cette fureur par avarice, quasi bos, dit-il [10], vetulus ab ingrato aratro fastiditus, ab immani hero sumptibus parcente strangulatus est. 6°. Enfin il n’a pas dû dire que Magius fut amené en Asie (ce que bien d’autres ont dit après lui [11] : il fut amené à Constantinople, et y passa tout le temps de sa servitude. Concluez de tout cela hardiment que le Dictionnaire de Moréri avait bon besoin d’être rectifié sur cet article, qui n’y est composé que des paroles de M. de Thou.

(D) Il fut étranglé le 25 de mars 1552, ou 1553. ] Ce qui me fait marquer avec si peu de certitude l’année de sa mort, est que d’un côté Manlius a écrit dans son journal que Magius fut tué en prison, la nuit du jeudi 27 de mars 1572 [12], et de l’autre qu’il a écrit sur la première page du livre de Equuleo, que Magius lui ayant laissé ce livre fut étranglé peu de jours après par l’impie Mahomet Bacha, à Constantinople, 1573 [13]. Ce serait à Manlius, s’il était en vie, à ôter l’ambiguïté de cette date. Jungerman y a trouvé assez de clarté pour pencher à croire que la fin tragique du pauvre Magius arriva l’an 1573. L’imprimeur de M. Teissier a mis 25 mai, pour 27 mars.

(E) Je donne la liste des ouvrages qu’il avait publiés avant que d’aller en Chypre. ] Magius avait fait imprimer de Mundi exitio per Exustionem, libri quinque, Basileæ, 1562 fol. ; Vitæ illustrium Virorum, auctore Æmilio Probo, cum commentariis, Basileæ, fol. Lambin a été accusé d’avoir pris beaucoup de choses dans ces commentaires, sans en faire honneur à Magius [14]. Commentaria in quatuor Înstitutionum civilium libros, Lugduni, in-8°. ; Miscellanea [15], sive variæ Lectiones, Venetiis, apud Jordanum Ziletium, 1564, in-8°. Il avait publié aussi quelques livres en italien, comme il le dit expressément dans l’épître dédicatoire de Tintinnabulis ; et néanmoins l’un [16] de ceux qui nous ont donné son éloge ne marque qu’un livre italien parmi ceux qui ont été publiés, duquel il rapporte l’impression à l’an 1584. Il a pour titre : della Fortificazione delle città. Magius avait écrit plusieurs autres ouvrages qui n’ont jamais paru ; Swertius [17] en donne la liste : quelques-uns de ceux-là ne laissent point d’être rapportés par Simler, comme s’ils avaient vu le jour, et nommément celui qui était intitulé : μισοπυγιςία, Odium pædiconum, titre bien opposé à celui qu’on veut que Jean de la Casa ait mis au-devant de l’un de ses poëmes.

  1. Remarquez que M. de Thou la nomme Anglara : ainsi il ne se trompe pas au nom, mais à la position.
  2. Addit. aux Éloges de M. de Thou, tom. I, pag. 481.
  3. J’ai plus de raison de donner le premier rang à celui-ci, que le Journal des Savans, du 4 janvier 1666, de le donner au Traité de Équuleo.
  4. Swert, in Elogio Magii.
  5. Epist Segheti ad Jungerm., et Jungermannus, Not in Tractat. de Equuleo.
  6. Fuit ea fati inclementia et atrocitas, ut legati (dictu pudendum) ejus precibus surdi fuerint, barbarique, immisso in collum laqueo, eum in carcere strangulaverint.
  7. Journal des Savans, du 4 janvier 1666.
  8. Nouvelle faute : il fallait dire Equuleo, et non pas Culeo.
  9. Trichet du Fresne, in Elogio Magii.
  10. Histor., lib. XLIX, ad ann. 1571.
  11. Swert., in Elog. Konig. Biblioth., p. 494.
  12. 1572, 27 martii, nocte diei Jovis necatur in carcere Hieronymus Magius.
  13. Hunc librum mihi reliquit D. Hieronymus Magius, paucis post diebus ab impio Mahomete Bassâ strangulatus, Const. 1573. Ex Segheti epist. ad Jungerm.
  14. Swert., in Elogio Magii.
  15. Ils sont divisés en quatre livres. Gruter les a insérés dans le IIe. volume de son Thesaurus Criticus. L’Épitome de la Bibiothéque de Gesner, 1583, distingue mal à propos les Miscellanea des variæ Lectiones.
  16. Trichet du Fresne.
  17. In Elogio Magii.

◄  Magin (Jean-Antoine)
Magni (Valérien)  ►