Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Lingelsheim


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LINGELSHEIM (George Michel), précepteur, et puis conseiller de l’électeur palatin[a], florissait au commencement du XVIIe. siecle. Il était né à Strasbourg [b]. Il a passé pour l’auteur d’un livre intitulé : Idolum Hallense, où Lipse est fort maltraité (A). Il entretenait commerce de lettres avec Bongars ; mais on se trompe quand on assure qu’il avait été son secrétaire, et qu’il a publié les lettres qu’ils s’étaient écrites (B). J’ai dit ailleurs[c] qu’il fut le dépositaire du manuscrit de M. de Thou.

  1. Scaligérana, pag. m. 141.
  2. Idem, pag, m. 162.
  3. Dans l’article de Camden, tom. IV, pag. 373, remarque (H).

(A) Il a passé pour l’auteur d’un livre... où Lipse est fort maltraité. ] Il en envoya des exemplaires à ses amis[1], et il leur demandait leur pensée, avec je ne sais quel empressement qui sentait l’auteur. On fut donc assez excusable de s’imaginer qu’il avait fait l’Idolum Hallense. Scaliger, ce grand critique, se fonda sur d’autres raisons : il crut trouver dans cet ouvrage le génie de Lingelsheim. Autor de Idolo Hallensi est Lingelsheim........ disait-il[2]. C’est lui qui m’en a envoyé un exemplaire... Je reconnais en de Idolo Hallensi les traits de l’esprit de Lingelsheim ; je le connais fort bien : il m’a envoyé le livre, et prié de lui en écrire mon jugement. Voilà de ses discours de conversation : sa plume les confirma dans une lettre qu’il écrivit à Lingelsheim touchant l’Idolum Hallense[3], où il lui attribua cet ouvrage, et lui en dit beaucoup de bien ; mais il sut ensuite que Dénaisius l’avait composé. Lingelshein, dit-il[4], m’a écrit que l’auteur de Idolo Hallensi est Denaisius assesseur de la chambre impériale ; et parce qu’il vit entre les jésuites il ne désire être nommé. M. Placcius a fort bien fait d’observer que le jugement de ce souverain critique n’était pas toujours bien sûr. Hâc sanè vice erravit, et infeliciter crisin suam quam ipsemet tantoperè prædicare solebat, exercuit heros ille criticorum hypercriticus[5]. Il cite Melchior Adam[6], qui a donné cet ouvrage à son véritable auteur, Pierre Dénaisius : il remarque que Colomiés ignorait la vérité sur cette affaire, ayant dit en deux endroits[7] que Lingelsheim était auteur de ce livre. Baudius conjectura comme Scaliger, et assura que la voix publique était conforme à sa conjecture : tant il est vrai que l’on est sujet à se tromper dans ces sortes d’attributions Viro gravi et sapienti Johanni Lingelshemio officiosam salutem nunciari cupio. Consentiens fama est eum esse auctorem libelli de Idolo Hallensi adversùs Lipsium, et id ipse conjeceram cùm primùm in manus meas venit. Non est quòd patrem pudeat suæ prolis, cùm non puduerit tantum virum tales nugas effutire in dedecus antepartæ famæ [8]. M. Teissier[9] a suivi la foule. Selon toutes les apparences, Lingelsheim apprit à Bongars que Dénaisius était l’auteur de cette Idole de Hall : voyez sa lettre CLVII. Ce livre, au reste, fut imprimé l’an 1605, in-4°., sous ce titre : Dissertatio de Idolo Hallensi Justi Lipsii mangonio et phaleris exornato atque producto. J’ai lu dans une lettre de Lingelsheim [10] que Goldast passa pour l’auteur de cet ouvrage, et que l’Amphitheatrum honoris le donnait à Scaliger. Une autre lettre de Lingelsheim nous apprend que Goldast avait eu soin de l’impression, et que cela lui fit beaucoup d’ennemis ; car ce livre irrita furieusement les jésuites. Quàm gaudeo probari tibi scriptum de Idolo, certè omnium bonorum cum magno applausu acceptus est, sed facetiæ illæ scholasticæ commoverunt nostros academicos, adeò ut rector distractionem libelli edicto inhibuerit, et jam vindictam spirant magistri, eo quòd nimis contumeliosus sit interpres in totum ordinem ; et quia Goldastum editorem hujus ludi ex typographo cognoverunt, et stilis et telis in illum insurgunt, atque etiam aulicos in partes trahunt, quos nimis rusticatim ille tetigerit[11]. Dans une autre lettre, il observe que le carme[12], qui répondit pour Juste Lipse, vomit mille injures contre Bongars, et le regarda comme l’auteur de l’Idole. Lingelsheim aurait voulu que Bongars en eût demandé justice par le moyen de l’ambassadeur de France. Indignatus sum quùm reperi anagramma sus obnigra, ubi monastico acumine suspicionem suam prodit quasi tu autor esses. Cogitavi, anne per oratorem regium qui Bruxellæ est, si est tibi amicus, negotium bestiæ illi creari posset ob atroces injurias quas in te effundit, cùm tamen author libri non sis, et quam voluptatem in maledicendo cepit, eandem in lite molestâ et infamiâ quæ condemnatos injuriaram manet, perdat [13].

Lipse ne répondit rien ; c’était le meilleur parti qu’il pût prendre : ses amis lui font honneur de ce silence ; ils disent qu’il méprisa généreusement cet adversaire, et qu’à l’exemple d’un dogue qui passe son chemin sans se détourner pour aller mordre un petit chien qui aboie contre lui, il ne daigna s’abaisser à combattre l’anonyme. C’est ainsi qu’on parle presque toujours lorsqu’on ne sait que répondre. Exindè maledicta acerbiora nescio quis terræ filius, Idoli Hallensis (ô Lucianeam blasphemiam igne Turtareo expiandam !) titulo ementito, sparsit in vulgus. Sed prudentioribus amicis suadentibus, Lipsius siluit, et judicio contemsit, atque adeò contemtu solo novum istum Porphyrium vincendum esse censuit. Sic ferè generosior molossus importunum catulum stolidè adlatrantem præterit, nec dente aut pugnâ dignatur [14].

(B) On se trompe quand on assure qu’il avait été secrétaire de Bonsars, et qu’il a publié les lettres qu’ils s’étaient écrites. ] J’en veux ici au savant M. Morhof : voici ses paroles[15] : Bongarsii et Lingelsheimii [16] epistolæ editæ sunt Argentor. an. 1660, in-12 [17]. Erat Bongarsius vir suo tempore magni nominis sub Henrico IV negotiis publicis sæpè admotus.….……. Lingelsheimius itidem vir in publicâ dignitate constitutus, et ad Helvetios legatus, olim Bongarsio ab epistolis litteras Bongarsianas unà cum suis publicavit ; fuit enim inter illos commercium litterarum mutuum. Comparez cela avec la préface du libraire, vous serez épouvanté que d’habiles gens soient sujets à prendre le change d’une manière si énorme. La destinée des auteurs est déplorable, car lors même qu’ils croient appliquer le plus fortement leur attention, ils prennent mal le sens d’un passage très-facile : je crains extrêmement que cela ne me soit arrivé une infimité de fois. Voici ce que le libraire de Strasbourg expose à la tête de son édition. Leges hic Bongarsii et Lingelshemii epistolas multâ eruditione et variis prudentiæ documentis plenas, beneficio nobilissimi amplissimæque dignitatis viri qui Enclytæ Reip. ad Helvetios legatus à clarissimo viro Dn. Francisco Veyrazio eas ut lucem viderent, accepit. Has venerandus hic senex, qui in contubernio illustris Bongarsii duodecim annos eidem ab epistolis vixerat, descripsit integras. Le libraire parle là de deux personnes ; de la première sans la nommer, et de la seconde en la nommant François Veyraz. Celui-ci avait fourni les lettres à l’autre, qui avait été député, de la ville de Strasbourg, en Suisse. C’est sans doute de Veyraz qu’il faut entendre ce que le libraire expose dans la dernière partie du passage que j’ai rapporté : c’est Veyraz qui a été secrétaire de Bongars pendant douze ans, c’est lui qui a copié les lettres que ce libraire a publiées. Il y avait long-temps que Lingelsheim était parti de ce monde lorsqu’elles virent le jour. Ainsi M. Morhof s’est trompé en plusieurs manières [18].

  1. Voyez Scaligérana, voce Lingelshemius, et les Lettres de Lingelsheim, pag. 194.
  2. Scaligérana, ibidem.
  3. Voyez ses Lettres, lib. IV, epistola CCCXV.
  4. Scaligérana, voce Denaisius.
  5. Placcius, de Anonymis, num. 51, p. 18.
  6. In Vitis Jurisconsult., pag. 447.
  7. Dans la Clef des Lettres, pag. 153 et 185 Opusculorum, edit. Ultraj., 1669.
  8. Baudius, epist. X, centur. II, p. m. 167.
  9. Additions aux Éloges, tom. II, p. 383
  10. Elle est dans le Recueil des Lettres écrites à Goldast, imprimé l’an 1688, pag. 167.
  11. Lingelsheim, epist. LVII 24 ad Bongarsium.
  12. Il s’appelait Anastasius Cochletius. Son livre est intitulé : Palæstra honoris D. Virginis Halensis pro Justo Lipsio, contrà Dissertationem mentiti Idoli Hallensis, 1607.
  13. Lingelsheim, epist. LXXVI ad Bongarsium, pag. 228.
  14. Auber. Miræus, in Vitâ Lipsii, ad ann. 1605, pag. m. 24.
  15. Morhofius, Polyhist., lib. I, c. XXIV, pag. 306.
  16. Il fallait dire Lengelshemii.
  17. Voyez l’article Bongars, tom. III, pag. 558, remarque (H).
  18. Voyez l’article Bongars, tom. III, citation (18).

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