Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Cératinus


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CÉRATINUS (Jacques), savant homme du XVIe. siècle, et bon grec, se donna ce nom suivant la coutume du temps, à cause qu’il était de Hoorn en Hollande (A) : nous expliquerons cela (B). Il a été orné de grands éloges par Érasme (C). non-seulement du côté des bonnes mœurs, mais aussi du côté de la doctrine. Érasme, ayant été prié par Georges électeur de Saxe de choisir quelqu’un pour remplir la place que la mort de Mosellan laissait vide dans l’université de Leipsic, lui envoya Cératinus [a], auquel on offrait d’ailleurs à Louvain la profession de la langue grecque au collége des trois langues. Cératinus ne fut pas trop bien reçu à Leipsic, et il paraît par quelques lettres d’Érasme [b], qu’il s’attira ce rebut, pour n’avoir pas témoigné assez d’éloignement du luthéranisme. Ceci se passa en 1525. Avant cela il avait enseigné la langue grecque en particulier à Louvain [c], où il s’était retiré lorsque la guerre et la peste lui firent quitter la charge qu’il avait dans le collége de Tournai. Il mourut à Louvain, le 20 d’avril 1530, à la fleur de son âge [d]. Il était prêtre, et il se passa une chose au temps de son ordination qui mérite d’être sue (D). Il se trompa lorsqu’il écrivit à Érasme qu’il l’avait vu à Deventer (E). On a de lui un traité de Sono Græcarum Literarum, la traduction du premier et du second dialogues de saint Chrysostome sur l’excellence de la prêtrise, et un Lexicon grec et latin (F), qui fut imprimé avec une préface d’Érasme l’an 1524.

  1. Erasm., epistol. XXIX, lib. XX, pag. 994.
  2. La XLIIe. et la XLIVe. du XXXe. liv.
  3. Erasm., epist. XII, lib. XVII, pag. 756.
  4. Valère André, Biblioth. belg., pag. 406.

(A) Il se donna ce nom.... à cause qu’il était de Hoorn, en Hollande. ] M. Moréri ne devait pas être en suspens là-dessus : il ne sait si Cératinus était né à Hoorn, en Hollande, ou à Horne, dans le pays de Gueldres. À proprement parler, l’Horne qu’il indique n’est point au pays de Gueldres.

(B) ....... Nous expliquerons cela. ] Hoorn, en flamand, veut dire une corne. En grec, une corne s’appelle κέρας : ainsi Jacques Cératinus est la même chose que Jacques le Cornu, ou le Cornard, titre qui fut préféré à celui de Hornanus, sous lequel cet auteur est quelquefois désigné, et à celui de Teyng, qui était son nom de famille : il fut, dis-je, préféré à tout autre, tant parce qu’il était grec, et que sous cette langue il ne montrait qu’à peu de monde l’infamie qu’on a attachée au mot de corne, qu’à cause peut-être que le célibat de Cératinus le mettait à l’abri des mauvaises allusions auxquelles son nom l’aurait exposé s’il avait eu une femme.

(C) Il a été orné de grands éloges par Érasme. ] Érasme le croyait assez savant pour professer au milieu de l’Italie, et beaucoup plus fort que ne l’avait été Mosellan. Jacobus Ceratinus, dit-il [1], homo tam Græcanicæ litteraturæ callens, ut possit vel in mediâ Italiâ profiteri, nec se ipso inferior in litteris latinis. Dans une autre lettre [2], il s’exprime encore plus fortement : Græcanicæ litteraturæ tam exactè callens ut vix unum aut alterum habeat Italia quicum dubitem hunc commitere, nec in latinis suî dissimilis est. Voici comme il parle en un autre lieu [3] : Succedit Petro Mosellano, sed decem Mosellanis eruditior, etiam Mosellani doctrinam et ingenium haud vulgariter amabam. À l’égard des mœurs, il dit que c’est la meilleure âme du monde, sans fard ni artifice, et si modeste que cela va jusqu’à l’excès. Modestiâ penè immodicâ moribusque planè niveis et ab omni fuco prorsùs abhorrentibus [4] .......Moribus est sincerissimis et ad amicitiam appositis ; adeò ut non minùs videatur natus gratiis quàm musis [5] ........... Habet unum hoc vitium Ceratinus noster, immodicè modestus est, sic verecundus ut penè putidulus sit [6]. Valère André rapporte une bonne partie de ces passages, et cite outre cela Junius, qui a fort loué Cératinus dans ses Proverbes (j’en parlerai ci-dessous), et dans sa Batavia, In quâ à singulari modestiâ ac virginali quodam pudore commendat. Mais Valère André n’a point pris garde que l’éloge d’exactissimi vir judicii, qu’il croit qu’Érasme donne à Cératinus, est pour Henri Stromer, auquel on le recommande. Voyez la Lettre XXIX du XXe. livre [7].

(D) Il se passa une chose au temps de son ordination qui mérite d’être sue. ] Hadrien Junius, compatriote de Cératinus, après avoir répandu sur lui des louanges à pleines mains, ajoute [8] qu’il sait de bonne part que Cératinus, ne voulant point désobéir aux ordres sévères de son père, alla à Utrecht pour se faire ordonner prêtre. On l’examina selon la coutume, et sur ce qu’il confessa ingénument qu’il ne savait point par cœur une règle de grammaire qu’on lui demandait, on le fit sortir comme un ignorant, et on lui commanda d’aller étudier sa grammaire avec plus d’application. Il se retira sans faire du bruit, et se contenta de dire la cause de son exclusion à un savant ecclésiastique, qui entrant tout à l’heure dans l’assemblée des examinateurs leur représenta la bévue qu’ils venaient de faire ; qu’il n’y avait point à Louvain un plus savant personnage que celui qu’ils renvoyaient à ses rudimens ; et qu’il avait donné des preuves publiques de son savoir, par une version latine très-pure des livres de saint Chrysostome touchant la dignité sacerdotale. On entendit raison, on rappela Cératinus, on lui fit des excuses sur la nécessité de se conformer à la routine, et on l’ordonna prêtre. Si ces messieurs avaient demandé le per quam regulam à Cératinus, comme on fait aux écoliers que l’on examine sur leur Despautère, et que l’on oblige à décliner leur nom par règle ; si, dis-je, ils l’avaient traité de la sorte, parce qu’ils auraient été avertis que c’était un orgueilleux, ils n’auraient pas été blâmables. Il court un conte, qu’un jeune présomptueux prêt à recevoir les ordres eut la mortification d’être d’abord interrogé en cette manière, Musa que pars orationis ? et qu’ayant répondu Aquila non captat muscas, on lui répliqua Neque Ecclesia superbos, et qu’on le renvoya.

(E) Il se trompa lorsqu’il écrivit à Érasme qu’il l’avait vu à Deventer. ] Une lettre qu’Érasme lui écrivit au mois d’avril 1519 [9], dans laquelle il le nomme Hornensis, nous apprend, 1°. que Cératinus avait demandé à Érasme son amitié, et qu’entre autres choses il lui avait dit qu’il avait eu l’honneur de le voir à Deventer ; 2°. qu’il lui avait indiqué quelques circonstances qu’il avait crues propres à l’en faire ressouvenir. Érasme lui répondit que c’était une illusion, et se servit pour le lui prouver de ces mêmes circonstances : il lui marqua que quand il partit de Deventer le pont n’était pas encore fait, et qu’il n’alla point aussitôt en Angleterre [10]. Si l’on me demande pourquoi j’observe ces minuties, je réponds que c’est pour donner un illustre exemple d’une illusion qui est fort commune, et de laquelle on se pourrait mieux défendre que l’on ne fait, si l’on considérait bien que de fort habiles gens y tombent. Quand un auteur devient fort célèbre, ceux qui ont étudié aux mêmes académies que lui se font je ne sais quel plaisir de dire dans les compagnies où l’on parle de ce grand auteur, qu’il y a long-temps qu’ils le connaissent, qu’ils l’ont vu écolier, etc. On s’imagine que ce sont là des relations qui font participer en quelque sorte à la gloire de ce grand homme ; et là-dessus on débite plus de faits que l’on n’en croit, et l’on en croit plus qu’il n’y en a de véritables [11]. Je suis sûr que bien des gens se reconnaîtront ici. En tout cas, nous y voyons par l’exemple de Cératinus qu’il ne faut point trop se fier à sa mémoire ; car il ne faut point douter qu’il ne fût dans la bonne foi.

(F) On a de lui... un Lexicon grec et latin. ] Boxhornius [12] se trompe de prétendre que c’est le premier Lexicon grec qui ait été fait. Valère André [13] ne se trompe guère moins, lorsqu’il dit que Cératinus est le premier qui après Alde Manuce a augmenté et publié un tel Lexicon. La préface [14] qu’Érasme a mise au devant de cet ouvrage de Cératinus suffit à faire voir qu’il avait été déjà augmenté par plusieurs personnes, et réimprimé plusieurs fois. Il s’était même trouvé quelqu’un qui y avait inséré quelques noms propres, ce qu’Érasme n’approuve pas. Il semble d’abord que Gesner ait cru que cela s’adresse à Cératinus [15] ; ce qui est visiblement faux, pour peu que l’on examine la préface : mais en considérant de près l’expression de Gesner, on le disculpe. Le même Boxhornius ne distingue pas la manière dont Cératinus enseignait le grec dans Louvain. Græcæ (linguæ) professorem egit Lovanii, dit-il : ces paroles sont trompeuses ; elles conduisent tous les lecteurs à se figurer que Cératinus a été professeur en langue grecque dans l’université de Louvain ; ce qui n’est pas. Swert [16], dont Boxhornius a pris l’épitaphe de Cératinus, avec la faute d’impression Minoritidas pour Minoritas, c’est-à-dire, les cordeliers, lui devaient apprendre que Cératinus n’enseignait le grec qu’en particulier, privatim. Valère André emploie le même mot.

  1. Erasm., epist. XXVIII, lib. XX, pag. 993.
  2. La XXXIe. du même livre, pag. 995.
  3. Epist. XLI, lib. XXX.
  4. Epist. XXVIII, lib. XX, pag. 993.
  5. Epist. XXIX, lib. XX, pag. 994.
  6. Epist. XXXI, lib. XX, pag. 995. Vide etiam epist. XLI, lib. XXX, pag. 1929.
  7. À la page 994.
  8. Adag. IV, cent. V.
  9. C’est la XXXIIe. du Ve. liv.
  10. Quòd existimas me ubi Daventriæ conspectum vel hoc argumento facilè deprehendes te vanâ ludi mentis imaginatione, quòd cùm ego Daventriâ discederem, nondùm fluvius qui urbem præterfluit ponte junctus erat.
  11. Voyez ci-dessus la remarque (I) de l’article Camden, tome IV, pag. 376.
  12. In Theatr. Holland., pag. 373.
  13. Biblioth. belg., pag. 406.
  14. Elle est au XXVIIIe. livre de ses Lettres.
  15. Gesn., in Biblioth., in Ceratino.
  16. Athen., Belg., pag. 358.

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