Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Bulgarus


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BULGARUS, l’un des plus célèbres jurisconsultes du XIIe. siècle, fut surnommé Bouche-d’or, à cause de la bonne grâce avec laquelle il parlait[a]. Il fut l’un des quatre professeurs[b], que Fridéric Barberousse consulta l’an 1158, pour savoir jusqu’où se devaient étendre les droits de l’empereur en Italie[c], et il fit paraître tant d’habileté dans cette consultation, que ce prince lui conféra une charge de judicature[d]. Il s’en acquitta avec beaucoup d’intégrité ; de sorte que ses sentences servirent de règles dans tous les tribunaux d’Italie, quand il s’agissait de choses douteuses. Il persuada aux habitans de Bologne de se donner à cet empereur. Il avait enseigné, que lorsqu’une femme mariée meurt avant son père, le mari est obligé de restituer la dot. Il se trouva dans le cas, et il se conforma généreusement à sa doctrine. L’un de ses disciples ne témoigna pas le même désintéressement (A) ; car étant sommé de mettre en pratique ce dogme, il déclara qu’il avait changé d’opinion. Bulgarus avait eu plusieurs enfans qui moururent tous avant lui. Il en fut très-affligé, et, pour réparer cette perte autant qu’il lui serait possible, il convola en secondes noces ; mais, au lieu de se marier avec une fille comme il l’avait cru, il choisit malheureusement une épouse qui passait pour femme. Il fit leçon le lendemain de ses noces, et il expliqua une loi qui commence par Nous entreprenons une affaire qui n’est pas nouvelle. Tous ses auditeurs appliquèrent ces paroles à l’état où ils supposèrent qu’il avait trouvé sa femme (B), et cela les fit bien rire. On ne sait pas en quelle année il mourut, ni où il fut enterré. C’est à tort que l’on débite qu’il traduisit en latin les lois grecques qui se rencontrent dans les Pandectes ; car il ignorait absolument la langue grecque. Il publia des Gloses sur le droit civil, et un excellent commentaire in regulas juris[e].

  1. Panzirol., de clar. Legum Interpret., lib. II, cap. XV, pag. 127.
  2. En jurisprudence, dans l’université de Bologne.
  3. Panzirol., lib. II, cap. XIV, pag. 124.
  4. Ob insignem quam ostendit doctrinam pro eo (Friderico Ænobarbâ) Bononia ad jus dicendum vicarius creatus fuerit. Panzirol., de clar. Legum Interpret., lib. II, cap. XV, pag. 127.
  5. Tiré de Panzirole, de Clar., Legum Interpret., lib. II, cap. XV.

(A) Il se conforma généreusement à sa doctrine.... L’un de ses disciples ne témoigna pas le même désintéressement. ] Martin Gosia, son collègue, avait soutenu le sentiment opposé : de là vient qu’on le consulta après la mort de la femme de Bulgarus. Le père de cette femme voulut savoir de ce professeur s’il serait fondé à redemander la dot de la fille. On lui répondit que son gendre s’était condamné lui-même, et que, s’il refusait la restitution, on le convaincrait honteusement d’être un mauvais interprète du droit. Le beau-père commença là-dessus ses procédures ; mais le gendre ne fit pas long-temps le rétif. Tout ceci montre qu’il se passa dans son âme quelques combats entre le désir de garder la dot, et la crainte des reproches de démentir sa doctrine. On voit qu’il ne se pressait pas trop de mettre en pratique ce qu’il avait enseigné, car il fallut que son beau-père lui intentât un procès. Il y a beaucoup d’apparence qu’il eut quelque repentir d’avoir soutenu une opinion qui se trouva si contraire à ses intérêts, et que s’il avait prévu le préjudice qu’elle lui ferait, il aurait dogmatisé d’une autre manière. Ne lui refusons pas néanmoins la louange qui lui est due. Il aima mieux enfin perdre de l’argent, que de s’exposer au blâme de démentir sa théorie, et il attrapa son antagoniste, qui se préparait à l’insulter. Martinus Gosia æquitatis ratione subnixus eam (dotem) velut matris patrimonium [* 1], posteritati acquiri tenebat, qui ex hoc facto à Bulgari socero consultus : Si mihi, respondit, qui contra te sentio, hic casus contigisset, jure fuissem absolvendus ; sed gener tuus, qui diversum docuit, suâ se jam sententiâ condemnavit, et nisi ut falsus interpres à me turpiter reprehendi maluerit, petitam dotem reddere cogetur. Ita dimissus cùm generum interpellâsset, Bulgarus, ne vel sordidæ avaritiæ, aut falsæ doctrinæ notari posset, ad confirmandam, quam tenuerat opinionem, restitutâ pecuniâ, Martinum antisophistam prudenter elusit [* 2], magnâque cum laude conservatâ existimatione, patrimonii quàm famæ dispendium pati maluit. Sed Albericus ejus discipulus etsi cum præceptore sentiret, cùm sibi idem accidisset, sententiam se mutâsse dixit, nec præclarum præceptoris exemplum secutus est [1].

(B) Ses auditeurs appliquèrent les premières paroles d’une loi à l’état où ils supposèrent qu’il avait trouvé sa femme. ] Les personnes qui parlent en public sont exposées à mille inconvéniens ; car il leur échappe des choses que l’on applique à leurs aventures, et quelquefois cela leur fait un affront en plein auditoire. Ils sont principalement à plaindre, lorsque du côté du mariage leurs affaires domestiques donnent lieu aux mauvais bruits et à la plaisanterie. Quoi qu’il en soit, faisons voir que Panzirole nous a fourni tout le fait que nous avons rapporté[2]. Deficiente sobole, ad procreandam prolem uxorem ætate maturâ, et quæ vulgò mulier credebatur, pro virgine duxit, postridièque cum interpretaturus legem, cujus initium est, Rem non novam, neque insolitam aggredimur, dum ea verba recitaret, audientibus risum movit, qui hoc ad conjugem, quam corruptam invenerat, retulerunt. Itaque universi libris, quos tum secum gerebant, plaudentes strepitum excitârunt[* 3]. On pouvait alléguer en faveur de Bulgarus une très-bonne réponse ; mais qu’eût-on gagné contre des rieurs? Rien n’était capable de faire taire une troupe d’écoliers, bien résolus à se divertir de la disgrâce de ce grand jurisconsulte. Ils se seraient bien moqués de tous ceux qui auraient voulu leur représenter, que les paroles de la loi appliquées au mariage du professeur pouvaient souffrir un bon sens, quoiqu’on supposât qu’il avait trouvé sa femme toute telle qu’il la souhaitait ; car, même en ce temps-là, il pouvait dire que l’affaire qu’il entreprenait n’était pas nouvelle, et qu’il était accoutumé. C’était son second mariage, et il avait eu de sa première femme plusieurs enfans. Mais il parlait au pluriel, me dira-t-on : Nous entreprenons une affaire qui n’a point la grâce de la nouveauté, nous y sommes accoutumés[3]. Je réplique que, dans l’usage de toutes les langues, il est permis de parler de soi au nombre pluriel ; et qu’ainsi l’on ne pouvait pas prétendre que Bulgarus parlait de lui et de son épouse conjointement. On eût donc pu le justifier par de solides remarques ; mais, encore un coup, cela n’eût de rien servi : les rieurs auraient toujours continué à le bafouer. La faute était faite et irréparable : il avait donné des leçons à son épouse, qui ne l’avaient instruite de rien de nouveau, cette source de plaisanteries ne s’épuise point.

Notez que François Duaren suppose que ce professeur s’exposa à la raillerie, non pour s’être marié avec une femme qui avait perdu sa virginité criminellement ; mais pour s’être marié avec une femme qui l’avait perdue dans le lit d’honneur. Il suppose que Bulgarus avait épousé une veuve ; et là-dessus il déclame contre ceux qui se marient avec des veuves. C’est dans le chapitre où il montre que les bigames ont été exclus du sacerdoce par les canons, et que ceux qui épousent une veuve sont sensés bigames[4]. Lege Mosaïcâ præceptum fuit ut pontifex virginem tantùm uxorem ducere posset : Levit. 21 ; adde si lubet quòd ridicula vulgo res est, et cavillis hominum obnoxia uxorem viduam ducere, quod vel tritum apud juris civilis doctores dicterium Bulgari jurisconsulti discipulorum in præceptorem satis ostendit. gl. l. rem non novam C. de judic.[5].

  1. (*) In Leg. 3, § sed utrum ff. de minor.
  2. (*) Odofr. in L. Dos à patre. C. sol matr. et in L. Jure ff. de jur. dot.
  3. (*) Glo. et Odofr. in L. Rem non novam. C. de Judic.
  1. Panzirol, de claris Legum Interpret., lib. II, cap XV, pag. 128.
  2. Idem, ibidem.
  3. Rem non novam atque insolitam aggredimur.
  4. Voyez ci-dessus la citation (23) de l’article Bucer, pag. 206.
  5. Franciscus Duarenus, de Sacris ecclesiæ ministeriis ac beneficiis, lib. IV, cap. VIII, pag. 387, part. II, Operum edit. Genev., 1608.

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