Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Babelot


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BABELOT [* 1] aumônier du duc de Montpensier pendant les guerres civiles de France sous Charles IX, se distingua tellement par sa cruauté, qu’il s’est acquis une place bien notable dans l’histoire. On n’aura donc pas sujet de trouver étrange qu’il ait ici un article. C’était un cordelier, qui avait quitté le cloître, afin de suivre « les armées, par la haine implacable contre les calvinistes dont il était possédé [a]. Elle était si peu conforme à son caractere et à sa profession, que, bien loin de sauver la vie à ceux que le sort des armes réduisait à la discrétion de Montpensier, il sollicitait obstinément qu’ils fussent punis du dernier supplice, et ne pouvait souffrir que l’on pardonnât à aucun d’eux (A). Cette soif du sang calviniste, que les deux premières guerres n’avaient pu étancher, s’augmentait dans la troisième, lorsque les soldats du prince [b], avertis que Babelot s’était renfermé imprudemment dans Champigni [c], livrèrent un assaut si furieux, qu’ils emportèrent la place [d]. Le plaisir de se voir maîtres de la personne de celui qu’ils regardaient comme leur bourreau, les rendit plus humains à l’égard de la bourgeoisie de Champigni. Ils lui pardonnèrent, et déchargèrent toute leur colère sur Babelot. On le pendit à un gibet extraordinairement haut [e] (B) ; et si on lui donna le temps de se préparer à la mort, ce ne fut que pour avoir le loisir de lui faire des reproches de sa cruauté. La vengeance, que le duc de Montpensier qui l’aimait prit de son supplice sur les calvinistes, quand le hasard ou la faiblesse les jetaient entre ses mains, mit pour quelques semaines la mauvaise guerre [f] entre les deux parts. Les soldats de Brissac égorgèrent la garnison de Mirebeau, quoiqu’elle eût capitulé dans les formes ; et d’Andelot traita de même celle de Saint-Florent. » Voilà un homme bien destiné à faire mourir les huguenots, puisque même après sa mort il fut cause qu’on en égorgea beaucoup. Brantôme le croyait capable d’une autre sorte de crimes, c’est-à-dire d’inspirer à son maître la brutalité de faire violer les femmes (C).

  1. * « Article sans preuve qui vaille », dit Leclore.
  1. On ne fait que copier Varillas, Histoire de Charles IX, tom. II, pag. 147.
  2. Il entend le prince de Condé, chef des protestans.
  3. Fille de Poitou : elle appartenait au duc de Montpensier.
  4. En 1568
  5. C’est grand hasard si ses confrères ne l’ont mis au nombre de leurs martyrs.
  6. C’est-à-dire, qu’il n’y eut plus de quartier.

(A) Il sollicita obstinément le dernier supplice des calvinistes, et ne pouvait souffrir que l’on pardonnât à aucun d’eux. ] Brantôme mérite d’être ouï : Quand on lui amenoit. dit-il, [1], en parlant du duc de Montpensier, quelques prisonniers, si c’étoit un homme, il lui disoit de plein abord seulement : Vous êtes un huguenot, mon ami, je vous recommande à monsieur Babelot. Ce monsieur Babelot étoit un cordelier, savant homme, qui le gouvernoit fort paisiblement, et ne bougeoit jamais d’auprès de lui, auquel on amenoit aussitôt le prisonnier, et lui un peu interrogé, aussitôt condamné à mort et exécuté.

(B) Il fut pendu à un gibet extraordinairenent haut. ] Cela me fait souvenir de la conduite de Galba envers un homme qui tâchait de se délivrer du dernier supplice par son droit de bourgeoisie romaine : il le fit attacher à une croix bien blanchie, et beaucoup plus haute que les autres. C’était pour faire honneur à la qualité du criminel, et pour lui fournir une petite consolation ; mais tout cela pouvait bien tenir de la moquerie : Tutorem quòd pupillum cui substitutus hæres erat veneno necâsset cruce affecit, implorantique leges et civem romanum se testificanti, quasi solatio et honore aliquo pœnam levaturus, mutari, multoque præter cæteras altiorem et dealbatam statui crucem jussit[2]. Je ne sais pas quel fut le motif de ceux qui choisirent un gibet plus exhaussé pour le moine Babelot : peut-être voulurent-ils simplement exciter plus d’attention sur la bizarrerie des caractères du personnage, sans allusion ni rapport à la pratique de l’antiquité. Voyez Justin[3] touchant Maléus, général disgracié des Carthaginois, qui filium cum ornatu suo in altissimam crucem in conspectu urbis suffigi jussit ; et Silius Italicus[4] touchant Régulus :

........Vidi cùm robore pendens
Italiam cruce sublimis spectaret ab altâ.


Haman, dans le livre d’Esther, avait préparé pour Mardochée un gibet de cinquante coudées. On a voulu quelquefois par la taille démesurée du gibet, que le patient fût exposé à la vue de plus de monde. Voyez la remarque (C) de l’article d’Othon III. Je dirai, en passant, que ceux qui comparent cette croix de Galba avec celle dont Verrès se servit contre Gavius [5] n’ont aucune exactitude ; car tout ce qu’il y eut de remarquable dans celle-ci fut qu’on la posa, non pas au lieu où les habitans de Messine avaient accoutumé de crucifier les gens, mais du côté qui regardait l’Italie. C’est ainsi que Verrès voulut insulter au patient qui se disait bourgeois romain : « Il regardera, dit-il, du haut de sa croix l’Italie et sa maison. » Quid attinuit cùm Mamertini more atque instituto suo crucem fixissent post urbem in viâ Pompeiâ, te jubere in eâ parte figere quæ ad fretum spectaret, et hoc addere quod negare nullo modo potes, quod omnibus audientibus dixisti palàm, te idcircò illum locum deligere, ut ille qui se civem romanum esse diceret, ex cruce Italiam cernere ac domum suam prospicere posset. C’est cette dernière circonstance que Cicéron a principalement relevée[6], quoique Lactance, qui n’avait que faire de cela pour le but de son discours, ne lui fasse considérer que l’indignité de ce supplice en général[7].

(C) Brantôme le croyait capable... de faire violer les femmes. ] Le duc de Montpensier avait la coutume de recommander ses prisonnières à son guidon, viro benè vasato et benè mutoniato. Brantôme décrit cela fort librement, et ajoute ce qui suit. « Voilà la punition de ces pauvres dames huguenotes, inventée par monsieur de Montpensier, qui me fait penser avoir été prise et tirée possible de Nicephore[8] par monsieur Babelot, où il dit que l’empereur Théodose ôta et abolit une coutume qui étoit de long-temps dans Rome, à savoir, que si quelque femme avoit été surprise en adultère, les Romains la punissoient, non par la coërcion du crime qu’elle avoit commis, mais par plus grand embrasement de paillardise ; car ils enfermoient en une étroite logette celle qui avoit commis l’adultère, et puis après permettoient impudemment qu’elle assouvist sa lubricité et paillardise son saoul, et d’un chacun qui voudroit venir, et qui étoit plus vilain et sale. C’est que les compagnons galans et paillards qui alloient, se garnissoient et accommodoient de certaines sonnettes au temps qu’ils avoient compagnie avec la dame, à ce qu’au mouvement elles, faisant un son et tintinnement, donnassent non-seulement avertissement aux passans et écoutans de leur fait et besogne qu’ils y étoient, mais aussi afin que par ce moyen et à ce son de sonnette fust enseignée cette peine conjointe avec injure et opprobre. Quel opprobre ! dont elles s’en soucioient beaucoup. Vrayement voila une terrible coutume que ce sage empereur abolit, ainsi que le dit l’historien Nicéphore, dans lequel possible M. Babelot l’avoit feuillettée et tirée, pour la faire pratiquer à ce brave guidon[9]. »

  1. Brant., Mémoires, tom. III, pag. 281.
  2. Sueton., in Galbâ, cap. IX.
  3. Justin, liv. XVIII, chap. VII.
  4. Lib. II, vs. 343.
  5. Torrentius le fait. Voyez son Comm. in Suet. Galb., cap. IX.
  6. Cicero, in Verr. VII.
  7. Lact., Instit. divin., lib. IV, cap. XVIII.
  8. Il eût mieux valu citer Socrate, liv. V, chap. XVIII.
  9. Brantôme, Mémoires, tom. III, pag. 282, 283.

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