Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Asclépiade 2


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ASCLÉPIADE, natif de Pruse dans la Bithynie, fut un des plus célèbres médecins de l’antiquité. Il était contemporain de Mithridate, comme il paraît de ce qu’il ne voulut pas aller à sa cour, où l’on tâcha de l’attirer par des promesses magnifiques [a]. Il se contenta d’y envoyer des remèdes par écrit [b]. Il fut chef d’une nouvelle secte [c], et il trouva la méthode de faire servir le vin à la guérison des malades [d]. Cet usage, et celui de l’eau froide, qu’il leur permettait [e], lui donnèrent beaucoup de vogue [f]. Ayant guéri une personne dont on allait faire les funérailles (A), il s’acquit une réputation incroyable ; mais la gageure qu’il fit contre la fortune fit encore parler de lui avec plus d’admiration (B). Il s’engagea à ne point passer pour médecin, s’il était jamais malade : et il gagna la gageure ; car il mourut d’une chute, dans une grande vieillesse. Ce fut à Rome qu’il se signala. Il y était venu pour y enseigner la rhétorique [g] ; mais voyant que cet emploi n’était pas assez lucratif, il se tourna du côté de la médecine : et comme il ne connaissait pas les remèdes qui étaient alors en usage, il prit le parti de les condamner, et d’en inventer de nouveaux. Il s’attacha à des inventions commodes, et dont chacun se pouvait servir sans l’aide du médecin. Cela les fit recevoir agréablement : tout le monde courut à lui, et le regarda comme un Dieu donné (C). Entre les choses qui lui furent favorables pour s’accréditer, nous ne devons pas omettre la sotte crédulité que l’on avait eue par rapport aux vertus magiques de certaines herbes ; car étant aisé de persuader que la plus grande partie de ces vertus étaient chimériques, il fut facile à Asclépiade de faire perdre tout le crédit des anciens remèdes (D). Il ne croyait point que l’âme fut distincte de la matière [h]. Il composa plusieurs livres, qui sont tous perdus. Pline, Celsus et Galien en ont cité quelques-uns. Il eut aussi plusieurs disciples, qui furent célèbres [i]. La délicatesse de Pline me paraît trop grande : il ne pouvait souffrir qu’un tel homme, qui n’avait étudié la médecine que pour gagner de l’argent, fût devenu un législateur si utile au genre humain (E). Suidas, qui a confondu notre médecin avec un Asclépiade de Myrlea, grammairien, en a été repris par M. Moréri, conformément aux observations de Vossius. C’est pourquoi je n’en parle pas, et je me contente d’indiquer les sources. Je remarquerai seulement les fautes de quelques autres auteurs (F). Celles de M. Moréri ne sont pas considérables (G). Il y eut un autre Asclépiade, médecin célèbre sous l’empire d’Hadrien (H).

  1. Spretis legatis et pollicitationibus Mithridatis regis. Plinius, lib. VII, C. XXXVII.
  2. Idem, lib. XXV, cap. II.
  3. Idem, lib. VII, cap. XXXVII.
  4. Idem, ibidem, et lib. XXVI, cap. III, pag. 444.
  5. Trahebat prætereà mentes artificio mirabili, vinum promittendo ægris, dandoque tempestivè tum aquam frigidam. Plinius, lib. XXVI, cap. III, pag. 444.
  6. Tiré de Pline, liv. XXVI, chap. III, pag. 444.
  7. Idem, ibid.
  8. Voyez Tertullien au livre de Animâ, chap. XV.
  9. Voyez-en les noms dans la Lettre XLVI de Reinesius à Rupert, pag. 395.

(A) Il guérit une personne, dont on allait faire Les funérailles. ] Voici ce que Pline nous en apprend. Summa autem (fama est) Asclepiadi Prusiensi...... relato à funere homine et servato [1]. Il observe ailleurs que cette espèce de résurrection fut nécessaire pour établir la réforme qui fut introduite dans la médecine, et qu’il ne faut pas s’imaginer qu’une si grande innovation se soit faite sans des motifs considérables. Magnâ auctoritate, nec minore famâ, cùm occurrisset ignoto funeri relato homine ab rogo atque servato, ne quis levibus momentistantam conversionem factam existimet [2]. Celse n’a parlé qu’en passant de cette admirable guérison. In vicino sæpè quædam notæ positæ non bonos sed imperitos medicos decipiunt ; quod Asclepiades sciens, funeri obvius inclamavit, eum vivere qui efferebatur [3]. Mais Apulée en a étendu les circonstances, sans oublier que les héritiers n’étaient pas bien aises qu’Asclépiade soutînt que cet homme n’était point mort. Asclepiades ille, dit-il [4] inter præcipuos medicorum, si unum Hippocratem excipias, cæteris princeps, primus etiam vino opitulari ægris reperit : sed dando scilicet in tempore ; cujus rei observationem probè callebat : ut qui diligentissimè animadverteret venarum pulsus inconditos, vel præclaros. Is igitur cùm fortè in civitatem sese reciperet, et rure suo suburbano rediret, aspexit in pomariis civitatis funus ingens locatum, plurimos homines ingenti multitudine qui exequias venerant circumstare, omnes tristissimos et obsoletissimos vestitu. Propiùs accessit, ut etiam incognosceret, more ingenii humani, quisnam esset, quoniam percontanti nemo responderat. At verò ipse aliquid in illo ex arte deprehenderat. Certè quidem jacenti homini ac propè deposito fatum abstulit. Jam miseri illius membra omnia aromatis perspersa, jam os ipsius unguine odoro dilibutum, jam eum pollinctum, jam cœnæ paratum, contemplatus eum diligentissimè quibusdam signis animadvertit : etiam atque etiam pertractavit corpus hominis : et invenit in illo vitam latentem. Confestìm exclamavit, vivere hominem, procul ergò faces abigerent, procul ignes amolirentur, rogum demolirentur, cœnam feralem à tumulo ad mensam referrent. Murmur intereà exortum, partìm medico credendum dicere, partìm etiam irridere medicinam. Postremò propinquis etiam hominibus invitis, quòd ne jam ipsi hereditatem habebant, an quòd adhuc illi fidem non habebant : ægrè tamen ac difficulter Asclepiades impetravit brevem mortuo dilationem. Atque ità vispillonum manibus extortum, velut ab inferis, postliminio domum retulit, confestìmque spiritum recreavit, confestìmque animam in corporis latibulis delitescentem quibusdam medicamentis provocavit. Le conte de la femme deux fois portée en terre viendra ici à propos. Elle fut ressuscitée sans le secours de la médecine, mais son mari n’en fut pas trop aise. Voici ce conte. « Dans un village de Poitou, une femme eut une grosse maladie, à la fin de laquelle elle tomba en léthargie : son mari et ceux qui étaient autour d’elle la crurent morte. Ils l’enveloppèrent seulement d’un linge, selon la coutume des pauvres gens du pays, et la firent porter en terre. En allant à l’église, celui qui la portait passa si près d’un buisson, que les épines l’ayant piquée elle revint de sa léthargie. Quatorze ans après, elle mourut encore, au moins le crut-on ainsi. Comme on la portait en terre, et que l’on approchait d’un buisson, le mari se mit à crier deux ou trois fois : N’approchez pas des haies [5]. »

(B) La gageure qu’il fit contre la fortune fit parler de lui avec admiration. ] Je ne crois pas qu’aujourd’hui les charlatans les plus hâbleurs osassent faire de tels paris, et surtout si l’on exigeait qu’ils consignassent une somme. Quoi qu’il en soit, je me persuade qu’on sera bien aise de trouver ici le texte de Pline : Summa autem Asclepiadi Prusiensi ( fama est)... maximé sponsione factâ cum fortunâ, ne medicus crederetur, si unquäm invalidus ullo modo fuisset ipse : et victor, supremâ in senectâ lapsu scalarum exanimatus est [6]. Ce fut une étrange témérité que celle de ce médecin ; mais le bonheur de n’avoir pas été démenti par l’événement me paraît encore plus singulier. Je remarque qu’en certaines choses il tenait du charlatan. Il mit en usage le vin pour certains malades, et il vanta de telle sorte son remède, qu’il dit que la puissance des dieux égalait à peine celle du vin. Asclepiades utilitatem vini æquari vix deorum potentiâ pronuntiavit [7].

(C) Tout le monde courut à lui, et le regarda comme un Dieu donné. ] On va voir encore dans les paroles de Pline une image de l’ascendant que prennent encore aujourd’hui certains médecins. Torrenti ac meditatâ quotidiè oratione blandiens omnia (remedia) abdicavit, totamque medicinam ad causam revocando, conjecturæ fecit, quinque res maximè communium auxiliorum professus, abstinentiam cibi, alias vini, fricationem corporis, ambulationem, gestationes : quæ cùm unusquisque semetipsum sibi præstare posse intelligeret, faventibus cunctis ut essent vera quæ facillima erant, universum propè humanum genus circumegit in se, non alio modo, quàm si cœlo emissus advenisset [8].

(D) La plus grande partie des vertus magiques des herbes étant chimériques, il fut facile à Asclépiade de faire perdre le crédit des anciens remèdes. ] C’est le propre de l’homme de ne garder point de milieu. Ne l’avertissez pas que l’on coud des faussetés à l’infini avec les faits véritables, il croira tout. Désabusez-le d’une partie des faussetés, en lui montrant avec évidence qu’il y avait été trompé, il doutera de tout. Voilà comment les impertinences des remèdes qu’on nommait magiques aidèrent Asclépiade à renverser les choses mêmes qui pouvaient être fondées. Pline va nous peindre heureusement cette inclination aux extrémités, qui se remarque dans le cœur humain. Super omnia, dit-il [9], adjuvêre eum (Asclepiadem) magicæ vanitates, in tantum evectæ, ut abrogare herbis fidem cunctis possent. Æthiopide herba amnes ac stagna siccari conjectu, tactu clausa omnia aperiri. Achæmenide conjectâ in aciem hostium, trepidare agmina, ac terga vertere. Latacen dari solitam à Persarum rege legatis, ut quocumque venissent omnium rerum copiâ abundarent ; ac multa similia. Ubinam istæ fuêre, cùm Cimbri Teutonique terribili Marte ulularent, aut cùm Lucullus tot reges Magorum paucis legionibus sterneret ? curve romani duces primam semper in bellis commerciorum habuêre curam ? cur herculè Ceæsaris miles ad Pharsaliam famem sensit, si abundantia omnis contingere unius herbæ felicitate poterat ? Non satius fuit Æmilianum Scipionem Carthaginis portas herbâ patefacere, quàm machinis claustra per tot annos quatere ? Siccentur hodiè Æthiopide Pontinæ paludes, tantùmque agri suburbanæ reddatur Italiæ. Nam quæ apud eundem Democritum invenitur compositio medicamenti, quo pulchri bonique et fortunati gignantur liberi, cui unquàm Persarum regi tales dedit ? Mirum esset profectò, hucusquè provectam credulitatem antiquorum, saluberrimis ortam initiis, si in ullâ re modum humana ingenia novissent, atque non hanc ipsam medicinam ab Asclepiade repertam, suo loco probaturi essemus evectam ultra Magos etiam. Sed hæc est omni in re animorum conditio, ut à necessariis orsa primo, cuncta pervenerint ad nimium. Le père Hardouin rapporte ceci à l’endroit où Pline étale l’autorité que certains médecins s’étaient acquise, quoiqu’ils rejetassent les remèdes les uns des autres. Hinc illæ, dit-il [10], circa ægros miseræ sententiarum concertationes, nullo idem censente ne videatur accessio alterius. Hinc illa infelicis monumenti inscriptio, turbâ se medicorum periisse. Mutatur ars quotidiè toties interpolis, et ingeniorum Græciæ flatu impellimur. Palàmque est, ut quisque inter istos loquendo polleat, imperatorem illicò vitæ nostræ necisque fieri.

(E) Pline... ne pouvait souffrir qu’un tel homme fût devenu un législateur si utile au genre humain. ] Ses paroles sont remarquables : Id solum possumus indignari, unum hominem è levissimâ gente, sine opibus ullis orsum, vectigalis sui causâ, repentè leges salutis humano generi dedisse, quas tamen posteà abrogavêre multi [11].

(F) Voici les fautes de quelques..... auteurs touchant Asclépiade. ] Meursius a été repris pour avoir cru qu’Asclépiade de Myrlea, et Asclépiade de Nicée étaient deux personnes. Malè Meursius hunc Myrleanum et Nicenum tanquam duos distinctos recenset [12]. Jonsius prétend que c’est une erreur, et que le même Âsclépiade, qui était né à Myrlea et originaire de Nicée, est surnommé Myrleanus et Nicenus indifféremment. Pinedo était dans la même erreur que Meursius [13]. Dans l’indice des auteurs qui sont cités par Athénée, on entend d’Asclépiade de Myrlea ces paroles du Xe. livre ; Ἀσκληπιάδης ἐν τοῖς τραγῳδουμένοις [14]. Dalechamp les a traduites, Asclepiades libro de iis quorum nomine editæ sunt tragœdiæ. Casaubon l’en censure, et lui fait voir que le titre de cet ouvrage n’était pas du genre masculin τραγῳδούμενοι, mais du genre neutre τραγῳδούμενα ; et que c’est ainsi que Plutarque l’a cité [15]. Il ne dit point où l’on trouve cette citation : je dirai donc, pour suppléer à ce défaut, qu’on la trouve dans la vie d’Isocrate, comme on le verra bientôt. Casaubon eût pu ajouter que ce même ouvrage d’Asclépiade est cité au genre neutre par Étienne de Bysance et par Photius. On le verra tout à l’heure. Ce critique a cru qu’Asclépiade expliquait dans ce traité-là les actions qui avaient servi de matière aux poëtes tragiques. Je ne doute point de cela, ni de la faute de Dalechamp. Le traducteur latin de Plutarque a bronché sur le même titre ; car il a rendu ces paroles de Plutarque, Ἀσκληπιάδης ὁ τὰ τραγῳδούμενα συγγράψας par Asclepiades tragœdieæ scriptor [16]. Cela montre assez clairement, sans qu’il faille se servir de la suite de sa traduction [17], qu’il a pris Asclépiade pour un auteur de tragédies. André Schot fait la même chose, dans sa traduction de Photius. Photius, num. CCLX, 1456, parle ainsi : Ἀσκληπιάδης ὃς τὰ τραγῳδούμενα συνεγράψατο [18] : c’est-à-dire, selon André Schot, Asclepiales qui tragœdias scripsit. C’est un abus : l’Asclepiade, dont il s’agit là, ne nous est point représenté comme un tel auteur. Notez en passant qu’il fut disciple d’Isocrate, vous en pourrez inférer en quel temps il a vécu. Pinedo a mieux entendu que le traducteur de Plutarque le sens du mot τραγῳδούμενα ; car en traduisant ce grec, Ἀσκληπιάδης ὁ τὰ τραγῳδούμενα γράψας ἐν ἓξ βιϐλίοις [19], il a dit, Asclepiades qui de rebus in tragœdiâ decantatis sex libros scripsit. Ces paroles grecques sont tirées de l’endroit où Étienne de Bysance nous apprend que l’Asclépiade, qui composa ces six livres, était de Tragile ville de Thrace. Je voudrais que Casaubon eût censuré Dalechamp, qui s’est figuré qu’Athénée cite Asclépiade de Myrlea dans le passage que l’on a vu ci-dessus. Gesner a commis la même faute [20]. Étienne de Bysance eût fourni la justification de cette censure. Vous trouverez dans Pinedo deux grosses fautes : il dit premièrement, qu’Asclépiade de Myrlea, disciple d’Apollonius, fut un grammairien qui enseigna sous le grand Pompée dans Rome, et qui avait demeuré à Alexandrie pendant sa jeunesse sous Ptolomée IV. En second lieu, il nous donne à deviner si c’est le même Asclépiade, qui enseigna la grammaire dans la Turditanie, province d’Espagne [21]. Je lui représente sur le premier chef, qu’un homme, qui aurait vécu sous Ptolomée IV, et qui aurait enseigné dans Rome au temps de Pompée, aurait été un prodige ; car, entre la dernière année de ce Ptolomée, et la mort de Mithridate vaincu par Pompée, il n’y a pas moins de 140 ans. Sur le second chef je me contente de dire, que Strabon dit nettement qu’Asclépiade de Myrlea enseigna la grammaire dans la Turditanie [22]. Le sieur Pinedo l’avait remarqué lui-même dans un autre lieu [23]. D’où vient donc qu’il en a fait un problème ?

Examinons en deux mots une remarque du père Hardouin. Il dit qu’Asclépiade de Pruse fut ami de Cicéron, et il le prouve par un passage du premier livre de Oratore. Il n’en rapporte qu’une petite partie [24] ; mais le voici tout entier : Neque verò Asclepiades is, quo nos medico amicoque usi sumus, tùm quùm eloquentiâ vincebat cæteros medicos, in eo ipso quod ornatè dicebat, Medicinæ facultate utebatur, non eloquentiæ [25]. Il faut savoir que ce n’est pas Cicéron qui parle, mais l’orateur Crassus. C’est donc de Crassus, et non pas de Cicéron, qu’Asclépiade a été l’ami et le médecin. Prenez garde que Cicéron suppose que Crassus parlait ainsi l’an de Rome 662 [26] ; et n’oubliez pas qu’on parle là d’Asclépiade comme d’un homme qui ne vivait plus. Cela nous fournit une objection contre Pline, qui a dit qu’Asclépiade, ne gagnant guère à la profession de l’éloquence, se tourna du côté de la médecine au temps de Pompée [27]. Il est sûr qu’en 662 Pompée n’était encore qu’un jeune garçon. Voyez la remarque suivante, num. IV.

Jonsius suppose qu’il y a eu deux Asclépiades de Myrlea ; que le premier fut disciple d’Apollonius le grammairien, et auteur d’un livre intitulé Φιλοσόϕων βιϐλίων διορθωτικὰ, Philosophorum librorum emendationes [28], et que le second fit des livres touchant la grammaire et touchant les grammairiens [29]. Je ne vois pas sur quoi il se fonde pour admettre cette distinction. Sa meilleure preuve serait de dire, qu’Asclépiade de Myrlea réfutait dans sa grammaire un sentiment de Denys de Thrace. In isto opere Dionysii Thracis de partibus grammaticæ sententiam refellit, teste Sexto Empirico [30]. Ce Denys, selon Suidas, enseigna dans Rome au temps de Pompée, et avait été l’un des disciples d’Aristarque. Il faut donc, me dira-t-on, que l’Asclépiade qui l’a réfuté soit différent du disciple d’Apollonius. J’admets cette conséquence, mais je soupçonne qu’il y a un peu d’erreur dans Suidas. Il me semble qu’un disciple d’Aristarque [31] eût été trop vieux au temps de Pompée [32] pour enseigner : je dis donc que Denys de Thrace disciple d’Aristarque n’a pas vécu jusqu’au temps de Pompée. Il est donc possible qu’Asclépiade disciple d’Apollonius l’ait réfuté ; car cet Apollonius ayant été bibliothécaire d’Alexandrie après Ératosthène [33] qui mourut au commencement de l’olympiade 146 [34], a pu fort bien être contemporain d’Aristarque. Il a donc pu avoir des disciples contemporains de ceux d’Aristarque. Il n’est donc pas nécessaire qu’Asclépiade réfutateur de Denys de Thrace, soit plus jeune qu’un Asclépiade disciple d’Apollonius. Je ne sais pourquoi Vossius acquiesce si bonnement à la liaison qui a été faite par Suidas entre la qualité de disciple d’Aristarque, et celle de professeur à Rome au temps de Pompée [35]. On le critique avec raison sur ce qu’il a dit qu’Asclépiade d’Alexandrie fit un ouvrage touchant les peuples d’Attique, et il en donne pour témoin le scoliaste d’Aristophane. Æsclepiades Alexandrinus [* 1] τοὺς κατὰ δῆμον ἄρχοντας consignavit, ut autor est scholiastes Aristophanis in Nubes [36]. Jonsius lui montre que le scoliaste ne dit autre chose, sinon que cet Asclépiade nommait les demarques τοὺς κατὰ δῆμον ἄρχοντας [37].

(G) ..... Celles de M. Moréri ne sont pas considérables. ] 1°. Les anciens auteurs n’attribuent pas à Asclépiade de Myrlea, comme il l’assure, l’Histoire d’Alexandre-le-Grand citée par Arian. 2°. Dire que Strabon ajoute qu’Asclépiade de Myrlée avait enseigné la grammaire en Espagne, c’est prétendre qu’il avait dit les autres choses que Moréri avait déjà rapportées. Or cela est faux. 3°. C’est sans raison qu’il met en doute que la relation d’Espagne soit d’un autre Asclépiade, car Strabon la donne formellement à celui-là. 4°. Il ne fallait pas avancer si hardiment que Mithridate était en guerre avec les Romains, lorsqu’il tâcha de faire venir à sa cour le médecin Asclépiade ; car nous avons vu ci-dessus [38], que Cicéron parle de ce médecin comme d’un homme qui n’était plus en vie l’an 662 de Rome ; temps où Mithridate n’avait pas encore fait la guerre au peuple romain, si l’on veut bien suivre l’exactitude des termes. Ceci montre que M. Moréri pourrait bien s’être abusé en assurant qu’Asclépiade était en estime à Rome du temps de Pompée-le-Grand, … c’est-à-dire, lorsque ce grand homme y était le premier de la république. Ne met-il pas la naissance de ce Pompée au dernier jour de septembre de l’an 648 de Rome ? Comment accordera-t-il cela avec le passage de Cicéron, où il est parlé d’Asclépiade ? Je sais bien qu’il se peut couvrir de l’autorité de Pline, et que Jonsius lui fournirait un second témoin ; mais qui lui a dit que Pline soit plus croyable que Cicéron ? Qui lui a dit que Jonsius ne se trompe pas ? Asclepiades medicus quidam (voilà un quidam mal employé : cet Asclépiade est trop célèbre pour mériter une épithète si méprisante [39], Prusiacus in Bithyniâ philophysicus cognomine sub Pompeio M. vixit, teste Strabone, lib. XII [40]. Je n’ai trouvé au XIIe. livre de Strabon, si ce n’est qu’Asclépiade de Pruse était médecin [41]. Le père Hardouin attribue à Strabon, qu’il cite l. XII. p. 566, la même chose que Jonsius [42]. 5°. L’Asclépiade dont Plutarque fait mention dans la vie d’Isocrate n’était point un poëte tragique [43], comme l’assure M. Moréri.

(H) Il y eut un autre Asclépiade, médecin célèbre, sous l’empire d’Hadrien. ] Il était de la même ville que le précédent [44], et il fleurit sous Trajan, sous Hadrien et sous Antonin : il fut affranchi par un certain Calpurnius, et il obtint la bourgeoisie romaine, et plusieurs autres prérogatives. Une inscription nous apprend toutes ces choses : voyez les lettres de Reinesius [45]. Il composa plusieurs livres sur la composition des remèdes tant internes qu’externes [46].

  1. (*) Populi Attici.
  1. Plinius, lib. VII, cap. XXXVII, pag. 58, 59.
  2. Idem, lib. XXVI, cap. III, pag. 445.
  3. Celsus, de Medicinâ, lib. II, cap. VI, pag. 57.
  4. Apuleius, in Floridis, pag. 362.
  5. Ménagiana, pag. 117, 118, de la première édition de Hollande.
  6. Plinius, lib. VII, cap. XXXVII, pag. 58, 59.
  7. Idem, lib. XXIII, cap. I, pag. 251.
  8. Idem, lib. XXVI, cap. II, pag. 444.
  9. Idem, ibid., cap. IV, pag. 446.
  10. Idem, lib. XXIX, cap. I.
  11. Idem, lib. XXVI, cap. III, pag. 445.
  12. Jonsius, de Script. His. philos., pag. 167.
  13. Pinedo, in Stephan. Byzantin., pag. 479, num. 15 et pag. 757.
  14. Athen., lib. X, pag. 456.
  15. Casaub., in Athen., pag. 769.
  16. Plutarch., in Vitâ Isocrat., pag. 837, C.
  17. Elle confirme qu’il a pris Tragediæ scriptor, non pas pour un homme qui traite de la tragédie, mais pour un poëte qui compose des tragédies.
  18. Photii Biblioth., cod. CCLX.
  19. Steph. Bysantin., verbo Τράγιλος.
  20. Gesner., in Biblioth., folio 97.
  21. Pinedo, in Steph. Bysantin., pag. 757.
  22. Strabo, lib. III, pag. 108.
  23. Pinedo, in Steph. Bysantin., pag. 479.
  24. Eloquens medicus dicitur Ciceroni, lib. I de Orat., pag. 283, qui se eo medico et amico usum esse gloriatur. Harduinus, in Indice Autor. Plinii, pag. 99.
  25. Cicer., de Orat., lib. I, folio 61, C.
  26. Vide Fabricium, in Vitâ Ciceronis, ad ann. Urbis 662.
  27. Plin., lib. XXVI, cap. III.
  28. Jonsius, de Script. Hist. Philosoph., pag. 167.
  29. Idem, ibid., pag. 205.
  30. Idem, ibidem.
  31. Aristarque florissait en l’olympiade 156.
  32. Il mit fin à la guerre de Mithridate en l’olympiade 179.
  33. Jonsius, de Script. Hist. philosoph., pag. 149.
  34. Vossius, de Histor. Græcis, pag. 108.
  35. Idem, ibid., pag. 148.
  36. Vossius, de Histor. Græcis, pag. 507.
  37. Jonsius, de Script. Hist. Philosoph., pag. 207.
  38. Citations (25) et (26).
  39. Conférez ce qui a été dit ci-dessus au commencement de la remarque (F) de l’article d’Antoine Arnauld, le docteur.
  40. Jonsius, de Script. Hist. Philosoph., pag. 207.
  41. Strabo, lib. XII, pag. 390.
  42. Harduin., in Indice Autor.
  43. Voyez la remarque précédente.
  44. De Pruse en Bithynie.
  45. Epist. Reinesii ad Hofmannum et Rupertum, pag. 394.
  46. Ibidem, pag. 395.

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