Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Artavasde 1


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ARTAVASDE Ier., roi d’Arménie, fils et successeur de ce Tigrane qui fut vaincu par Lucullus et par Pompée durant la guerre de Mithridate, trompa vilainement les Romains lors de l’expédition de Crassus [a] ; car, après avoir été trouver ce général avec six mille chevaux, pour lui promettre un secours de quarante mille hommes, il ne tint point sa parole, et s’excusa sur la guerre qu’il avait à soutenir dans son pays contre les Parthes [b]. Crassus, se voyant joué, usa de grandes menaces [c] ; mais il ne fut pas en état de punir cette perfidie : au contraire, Artavasde eut bonne part aux réjouissances qui furent faites à la cour du roi des Parthes, pour la ruine de l’armée romaine. Il avait arrêté le mariage de sa sœur avec Pacore, fils d’Orode, roi des Parthes [d] ; et il était à la cour d’Orode, pendant les excès de joie qu’une si grande victoire y causa. Il vit mille divertissemens remplis d’insultes pour les Romains ; il assista aux festins et aux comédies, et il entendit appliquer des vers d’Euripide au désastre de Crassus, dont la tête fut apportée pendant qu’on représentait les Bacchantes de ce poëte. Cela fournit à Plutarque l’occasion de dire qu’Orode entendait le grec, et qu’Artavasde a composé des tragédies, des harangues et des histoires (A), qui subsistaient encore en partie. Je ne pense pas qu’il faille distinguer cet Artavasde de celui qui trompa Marc Antoine (B). Il lui persuada de tourner ses armes contre le roi des Mèdes [e] ; et l’embarqua par ce moyen dans une entreprise qui eut un très-mauvais succès, et où il ne le seconda nullement [f]. Marc Antoine, renvoyant la vengeance à une occasion plus commode, dissimula pour le coup ; mais deux ans après, savoir l’an 720 de Rome, il se servit de tant d’artifices, et de tant de belles promesses, qu’il l’attira enfin à s’aboucher avec lui ; et alors, il le retint prisonnier, le chargea de chaînes d’argent (C), et l’emmena en triomphe à Alexandrie. La femme et les enfans d’Artavasde furent aussi un des ornemens du triomphe de Marc Antoine. Ils furent tous amenés à Cléopâtre, au milieu du peuple, chargés de chaînes d’or ; mais on ne put obtenir d’eux, ni par promesses, ni par menaces, qu’ils se missent à genoux devant elle, ou qu’ils lui fissent des supplications : ils ne la nommèrent que par son nom, ce qui fut cause qu’on les traita plus durement. Quelque temps après on fit mourir Artavasde, et l’on envoya sa tête au roi des Mèdes. Ce fut Cléopâtre qui lui envoya ce présent, lorsqu’elle fut de retour à Alexandrie après la perte de la bataille d’Actium [g]. Elle crut que cette tête porterait le roi des Mèdes à s’allier plus étroitement avec Marc Antoine contre Auguste. On verra dans l’article suivant ce que devinrent les fils d’Artavasde. Il avait une fille mariée au fils du roi Déjotarus [h].

  1. Dio, lib. XL.
  2. Plutarc. in Crasso, pag. 554.
  3. Id., ibid., pag. 556.
  4. Id., ib., pag. 564. Cicero, Epist. ad Famil. III, lib. XV.
  5. Il s’appelait Artavasde.
  6. Dio, lib. XLIX. Strabo, lib. XI, pag. 361 et 366. Plutarch. in Antonio, pag. 933.
  7. Dio, lib. LI. Voyez la remarque (B), citation (11).
  8. Cicero, ad Attic. Epist. XXI, lib. V.

(A) Artavasde a composé des tragédies, des harangues, et des histoires. ] Voici un poëte et un historien grec qui, en tant que poëte, a été oublié par Vossius, mais non pas en tant qu’historien [1], quoique Mallincrot le mette dans son recueil des historiens qui avaient échappé aux recherches précédentes. Mallincrot observe qu’Appien a cité l’histoire de notre Ârtavasde ; mais qu’il a donné à l’auteur un nom un peu différent. Il ajoute que ce prince est le premier de son nom, qui ait régné en Arménie [2]. Cela pourrait être vrai, quand même la conjecture de plusieurs critiques sur un passage de Justin serait bonne. Ils prétendent qu’il faut lire Artavasdes, et non pas Ortoadistes, au IIe. chapitre du livre XLII. Il y aurait donc eu un roi d’Arménie nommé Artavasdes, au temps de Mithridate-le-Grand, roi des Parthes. Ce Mithridate fut chassé, et eut Orode son frère pour successeur, lequel Orode remporta une si mémorable victoire sur les Romains. Notre Artavasde, à la vérité, régnait en même temps qu’Orode ; mais rien n’empêche qu’il n’ait commencé de régner avant lui, et que Tigrane son père ne soit mort avant la déposition de Mithridate-le-Grand ; auquel cas Artavasde aura pu être en guerre avec ce dernier. Il est vrai, qu’afin que Justin soit d’accord avec Plutarque [3] et avec Dion [4], il faut supposer que son Mithridate-le-Grand est le Phrahate que ceux-ci font régner du temps de Tigrane.

(B) Je ne crois pas qu’il faille distinguer cet Artavasde de celui qui trompa Marc Antoine. ] Voici mes raisons. Celui qui trompa Crassus, était fils de Tigrane, à ce que Dion assure [5]. Celui qui trompa Marc Antoine était fils de Tigrane, à ce que dit Josephe [6], dont le témoignage pourrait être confirmé en cas de besoin par Strabon qui assure, non-seulement que celui que Marc Antoine punit de sa perfidie avait régné après Tigrane [7], mais même qu’il était son fils [8]. Donc, celui qui usa de supercherie envers les Romains au temps de Crassus, est le même qui les trompa dans l’expédition de Marc Antoine. M. Moréri ne l’entendait pas ainsi : il voulait qu’on reconnût deux Artavasdes. S’il en fût demeuré là, on n’aurait pas trouvé fort étrange son sentiment ; mais voici ce qu’on ne saurait payer. Il veut que l’un de ces Artavasdes soit celui qui avait composé des histoires et des poésies, et que l’autre soit celui que Marc Autoine mena en triomphe dans Alexandrie l’an 720 de Rome. Il dit que celui-ci laissa un fils de ce même nom, qui est peut être celui dont parle Plutarque, qui avait tant d’esprit [9] et qui trahit Crassus. Quel aveuglement ! Crassus fut trahi l’an 701 ; celui qui le trahit était actuellement roi d’Arménie : comment donc serait-il le fils d’un roi d’Arménie détrôné l’an 720 ? M. Moréri remarque que ce prince détrôné mourut en prison quelque temps après. C’est oublier une circonstance très-essentielle, car il fut tué. Ἀνῃρέθη συνάπτοντος τοῦ Ἀκτιακοῦ πολέμου [10], Bello Actiaco gliscente interfectus est. Cléopâtre, selon Dion, était de retour à Alexandrie, après la bataille d’Actium, quand ce meurtre fut commis [11]. On ajoute qu’il laissa un fils nommé Artavasde. Ce n’est point cela ; son fils aîné, qui lui succèda, se nommait Artaxias ; son autre fils se nommait Tigrane : et quant à cet autre Artavasde, qui, selon M. Moréri, citant Tacite, perdit bientôt l’Arménie, que Tibère lui avait donnée, il n’était point fils de l’autre, et il ne fut que le troisième ou le quatrième roi après lui. Il est faux de plus que Tacite nous apprenne que Tibère lui donna l’Arménie. Voici ce qu’il dit : Dein jussu Augusti impositus Artavasdes, et non sine clade nostrâ dejectus. Tum C. Cæsar componendæ Armeniæ deligitur. Is Ariobarzanem, origine Medum, ob insignem corporis formam et præclarum animum volentibus Armeniis præfecit [12]. Enfin, ce que dit M. Moréri, qu’Auguste y avait envoyé un fils d’Agrippa qu’on chassa bientôt, est très-faux ; car l’envoi de Caïus-César fils d’Agrippa fut postérieur à la ruine du dernier Artavasde. Caïus César ne fut point envoyé dans l’Arménie pour y régner, mais pour y mettre ordre aux affaires ; il y établit Ariobarzanes, et puis continua de visiter l’Orient avec une pompe digne de l’héritier présomptif de tout l’empire romain. Si l’on tâchait à faire des fautes, en ferait-on plus que M. Moréri ? En ferait-on sept ou huit dans seize lignes ? M. Hofman n’en fait que trois dans cet article. Il dit, 1°. qu’Artavasde secourut Crassus contre les Parthes [13] ; 2°. que Tibère donna l’Arménie à un autre Artavasde ; 3°. qu’avant cela, Auguste l’avait donnée à Artabaze fils d’Agrippa, qui fut bientôt chassé. M. Lloyd a supprimé tout cet article, quoiqu’il fût assez bon dans Charles Étienne.

(C) Marc Antoine... le chargea de chaînes d’argent. ] Dion remarque qu’on les choisit telles, pour ne pas faire déshonneur à la majesté royale par des chaînes de fer [14]. Paterculus dit qu’afin qu’elles fussent honorables, on voulut qu’elles fussent d’or. Catenis, sed ne quid honori deesset, aureis vinxit [15]. On avait usé d’une semblable cérémonie envers Darius [16]. Mais que dirons-nous de M. Ryck, qui a traité de fiction un fait avancé par Louis d’Orléans pour accorder Paterculus avec Dion [17] ? Ce fait est qu’Artavasde fut chargé de chaînes d’argent en prison, et de chaînes d’or le jour du triomphe. M. Ryck soutient que ni l’un ni l’autre de ces historiens n’a parlé, ni de prison, ni de triomphe, et qu’ainsi on ne saurait les concilier ensemble. Il est pourtant vrai que Dion, dans la même page où il a parlé des chaînes d’argent, parle des chaînes d’or qu’on donna à Artavasde et à sa famille le jour du triomphe. Admirons les mauvais tours que la mémoire nous fait.

  1. Vossius, de Histor. Græcis, pag. 154.
  2. Mallincrot, Paralipomenon de Histor. Græc., pag. 11 et 87 : il le nomme avec Vossius Artuasdes. M. Ryck, sur Tacite, pag. 28, prétend que Plutarque le nomme Artabaze ; mais il est certain qu’il le nomme plus souvent Ἀρταουάσδης.
  3. Plutarch., in Pompeio.
  4. Dio, lib. XXXVII.
  5. Idem, lib. XL.
  6. Joseph., lib. XV, cap. V.
  7. Strabo, lib. XI, sub finem.
  8. Idem, lib. XI, pag. 365.
  9. Plutarque ne dit point qu’il eût beaucoup, ni tant d’esprit.
  10. Strabo, lib. XI, sub finem.
  11. Voyez Tacite, Annal. lib. II, cap. III.
  12. Idem, ibid.
  13. Charles Étienne le dit aussi.
  14. Dio, lib. XLIX, circa finem.
  15. Paterculus, lib. II, capite LXXXII.
  16. Curtius, lib. V, cap. XII. Vide ibi Freinshemium.
  17. Ryck, Animadv. ad Tacit. Annal., lib. II, cap. III, pag. 28, 29.

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