Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arion


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ARION, cheval admirable, et tout autrement fameux dans l’histoire poétique, que Bucéphale dans l’histoire d’Alexandre. On parlait diversement de son origine, quoiqu’on s’accordât à lui donner du divin. Les uns disaient que Neptune, voulant procurer aux hommes les utilités que les chevaux étaient capables de leur apporter, donna un coup de trident sur la terre dans la Thessalie, et en fit sortir subitement deux chevaux dont l’un fut notre Arion [a]. D’autres disaient que Neptune, disputant avec Minerve à qui nommerait la ville d’Athènes, il fut dit par les dieux, que celui qui ferait un meilleur présent aux hommes donnerait son nom à cette ville. Là-dessus, Neptune frappa le rivage, et en fit sortir un cheval (A) ; mais Minerve produisit un olivier, et remporta la victoire, parce qu’on jugea que la paix, dont l’olivier est le symbole, vaut mieux que la guerre, à quoi le cheval est propre. Or il y en a qui prétendent que le cheval, qui fut produit par Neptune en cette rencontre, eut nom Arion. D’autres disent que ce cheval eut Cérès pour mère, et Neptune pour père [b]. Cette déesse, errant par le monde, pour chercher sa fille, rencontra Neptune, qui lui parla fortement d’amour ; de sorte que, comme elle ne se trouva point disposée à le contenter, elle jugea à propos de prendre la forme d’une cavale. Ceci se passa auprès de la ville d’Oncium dans l’Arcadie. Cérès eut beau paître parmi d’autres animaux, Neptune ne laissa pas de la discerner, et de jouir d’elle métamorphosé en cheval. Elle s’en ficha d’abord, et puis s’apaisa, et se lava dans la rivière voisine. Elle eut de Neptune, non-seulement une fille, dont il n’était pas permis de dire le nom aux profanes, mais aussi notre cheval Arion. Il y en a qui disent qu’elle était sous la forme d’une furie, lorsque Neptune l’engrossa de ce cheval, ou qu’en effet une furie le procréa du fait de Neptune (B). Le poëte Antimachus, cité par Pausanias, ne lui donne point d’autre origine que la terre dans l’Arcadie : mais Quintus Calaber le fait fils du vent Zéphire, et d’une harpie (C). Quoi qu’il en soit, on a cru qu’il avait été nourri par les Néréides (D), et qu’étant quelquefois attelé avec les chevaux marins de Neptune au char de ce dieu, il l’avait traîné avec une vitesse incroyable par toutes les mers [c]. Il avait cela de rare, que du côté droit ses pieds ressemblaient à ceux d’un homme [d]. Hercule le montait lorsqu’il prit la ville d’Élide, et puis il en fit présent à Adraste. C’est ce que nous apprend Pausanias, qui ajoute qu’Antimachus en faisait Adraste le troisième possesseur (E). Hésiode le représente au service d’Hercule dans le combat contre Cygnus [e]. Stace dit en général qu’il servit Hercule dans ses travaux, et qu’après cela les dieux le donnèrent à Adraste [f]. Probus attribue à Neptune tout l’honneur de ce présent [g]. C’est sous ce dernier maître qu’Arion s’est le plus signalé : il gagna le prix de la course aux jeux néméens (F), que les princes, qui allaient assiéger Thèbes, instituèrent en l’honneur d’Archémore, et il fut cause qu’Adraste ne périt pas dans cette fameuse expédition, comme tous les autres chefs. Apollodore le témoigne au livre III.

  1. Lutatius, in Statii Theb., lib. IV, vs. 43.
  2. Pausan., lib. VIII, pag. 257.
  3. Stat. Theb., lib. IV, vs. 308.
  4. Lutat., in Stat. Theb., lib. VI, vs. 302.
  5. Hesiod., in Clypeo Herculis.
  6. Statius, Thebaidos lib. VI, vs. 308.
  7. Probus, in Virgil. Georg. I.

(A) Neptune, disputant avec Minerve à qui nommerait la ville d’Athènes,...... frappa le rivage, et en fit sortir un cheval. ] Servius nous apprend cela sur ces paroles de Virgile :

....Tuque ô, cui prima frementem
Fudit equum magno tellus percussa tridenti,
Neptune [1].


Voyez aussi Probus, sur ce même passage de Virgile.

(B) On veut que Cérès fût sous la figure d’une furie, lorsqu’elle devint grosse de ce cheval, ou qu’en effet une furie l’ait procréé du fait de Neptune. ] Ce sont les sentimens d’Apollodore et d’Hésychius. Voici leurs paroles : Τοῦτον ἐκ Ποσειδῶνος ἐγέννησε Δημήτερ εἰκασθεῖσα Ἐρυννύϊ κατὰ τὴν συνουσίαν [2]. Hunc ex Neptuno genuit Ceres similis facta Erynni in coïtu. Ἀρίων ὁ ἵππος Ποσειδῶνος υἱὸς, καὶ μιἇς τῶν Ἐριννύων [3]. Arion, equus, Neptuni filius et unius ex Erynnibus. Barthius a confondu le sentiment d’Apollodore avec celui d’Hésychius. Unius ex Erynnibus, dit-il [4], sobolem assentitur Apollodoro Hesychius Lexicographus. Cela veut dire qu’Apollodore raconte qu’Arion était né d’une des furies ; mais c’est ce qu’il n’a point dit : il a remarqué expressément que Cérès était la mère de ce cheval, et qu’elle avait seulement pris la figure d’une furie lors de la copulation. M. Lloyd a pillé Barthius, sans le corriger en cet endroit.

(C) Quintus Calaber le fait fils du vent Zéphire, et d’une harpie. ] Voici une seconde faute de Barthius, que M. Lloyd a transplantée dans son Lexicon, toute telle qu’il l’avait trouvée. Intercedit Quintus Smyrnæus, dit Barthius [5], harpiæ patronus, cujus fuerit potiùs seminio oriundus patre Zephiro, ingratiis etiam Neptuni. Il n’y a dans ce poëte aucune chose qui marque que ce fût, ou avec, ou contre l’agrément de Neptune, que Zéphire et la harpie produisirent Arion [6].

(D) On a cru qu’il avait été nourri par des Néréides. ] Je ne citerai que Claudien :

Si dominus legeretur equis, tua posceret ultrò
Verbera, Nereidem stabulis nutritus Arion [7].

(E) Adraste en fut le troisième possesseur. ] Cela était vrai selon l’histoire qu’en fait le scoliaste d’Homère sur le vers 346 du XXIIIe. livre de l’Iliade. Il dit que Neptune devint amoureux d’Erinnys [8], se métamorphosa en cheval, et eut affaire avec elle dans la Béotie, auprès de la fontaine Tiphlouse ; qu’il l’engrossa d’un cheval, qui fut nommé Ἀρείων à cause qu’il surpassait tous les autres ; qu’il le donna à Copréus roi d’Aliarte ; que celui-ci en fit présent à Hercule, qui gagna le prix de la course avec ce cheval, contre Cygnus fils de Mars, auprès de Trézène ; et qu’enfin Hercule en fit présent à Adraste.

(F) Il gagna le prix de la course aux jeux néméens. ] Apollodore, au livre III, dit qu’Adraste fut le vainqueur à la course de cheval ; mais Stace feint que ce prince donna son Arion à Polynice son gendre, et qu’Arion jeta en bas ce nouveau cocher, et, continuant de courir, devança tous les autres : ce qui n’empêcha point qu’Amphiaraüs ne remportât la couronne ; car encore qu’il n’eût point gagné le devant à Arion, il suffisait qu’il l’eût gagné à ses concurrens, ou que Polynice, jeté en bas, n’eût rien à prétendre en vertu de la vitesse supérieure de son cheval :

Forsitan et victo prior isset Arione Cygnus,
Sed vetat æquoreus vinci pater : hinc vice justa ;
Gloria mansit equo, cessit victoria vati [9].

Apollodore convient qu’Amphiaraüs vainquit à la course de chariot, άρματι ; ce que son traducteur latin devait rendre par curru, et non pas par cursu, comme Barthius l’a remarqué [10]. Quant à ce distique de Properce, qui nous donne Arion comme un animal parlant :

Qualis et Adrasii fuerit vocalis Arion,
Tristis ad Archemori funera victor equus [11],


je ne crois pas qu’il lui attribue la tristesse que Passerat s’imagine : je crois que le mot tristis se rapporte à l’accident funeste d’Archémore, pour lequel ces jeux étaient célébrés : et non pas au dépit qu’Arion conçut en sentant qu’un autre qu’Adraste se servait de lui [12].

  1. Virgil., Georg., lib. I, vs. 12.
  2. Apollodori Bibliotheca, lib. III.
  3. Hesychius.
  4. Barth., in Stat., part. II, pag. 890.
  5. Id., ibid.
  6. Voyez-le au livre IV, vs. 571.
  7. Claudian. Consul. IV Honor, vs. 555. Lloyd cite deux fois ceci.
  8. C’est-à-dire d’une des furies.
  9. Status, Thebaïdos lib. VI, vs. 523.
  10. Barth., in Stat., tom. III, pag. 537.
  11. Propert. Elegiâ ult., lib. II.
  12. Voyez les Nouvelles de la République des lettres, juillet 1702, pag. 110.

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