Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Antésignan


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ANTÉSIGNAN (Pierre), natif, si je ne me trompe, de Rabasteins (A), petite ville de Languedoc, au diocèse d’Albi, a été l’un des meilleurs grammairiens du XVIe. siècle. Il prit tellement à cœur son métier, qu’il aima mieux se rendre utile à la jeunesse en s’attachant à l’explication des choses qui embarrassent la première entrée des études, que de chercher de la gloire par l’explication des grandes difficultés (B). Il ne laissa pas d’acquérir assez de réputation, pour s’attirer les morsures de l’envie (C). Ce qu’il publia sur Térence nous doit convaincre que c’était l’homme du monde le plus patient au travail (D). Je crois qu’il enseigna long-temps dans Lyon [* 1]. L’épître de son Térence est datée de cette ville, en août 1556 [a]. Il l’adresse aux trois frères qu’il enseignait. Sa Grammaire de la langue Grecque a été imprimée plusieurs fois. Il entendait assez bien l’hébreu [b] pour mériter une place dans la Gallia Orientalis de Colomiés, et cependant il y a été oublié.

  1. * Leclerc dit qu’il y enseignait encore en 1560.
  1. Idibus Augusti.
  2. Il écrivit en cette langue une lettre à Pierre Costus, qui a été imprimée. Voyez l’Épitome de Gesner.

(A) Natif, si je ne me trompe, de Rabasteins. ] Ce qui me le fait croire est l’épithète Rapistagnensis qu’il se donne à la tête de ses ouvrages. Je ne trouve point de ville qui puisse mieux donner ce surnom que celle de Rabasteins ; car on la nomme en latin Rapistanum, où Rapistagnum [1]. Je m’imagine que les imprimeurs ont fait une faute dans l’endroit où Papyre Masson a parlé de cette ville : ils ont mis Rupistagni incolis, au lieu de Rapistagni incolis [2]. Les trois raves, qui sont les armes de Rabasteins [3], me persuadent que Papyre Masson, ou les imprimeurs, ont mis la lettre u pour la lettre a.

(B) Il aima mieux se rendre utile à la jeunesse... que de chercher de la gloire par l’explication des grandes difficultés. ] Qu’il nous apprenne cela lui-même : rapportons un peu au long ses paroles ; elles marquent un bon cœur, et peuvent être une leçon de morale aux esprits superbes, qui ne songent qu’à mériter l’applaudissement de leurs semblables, et qui ne dirigent point leurs veilles au profit de ceux qui ont le plus besoin d’être enseignés. Il venait de dire que plusieurs doctes commentateurs avaient écrit sur Térence ; et puis il ajoute : Verùm pueri novitii, ad quos maximè hujus laboris fructus pertinebat, vix ullum ex accuratis et meditatis istorum commentationibus emolumentum percipere potuerunt. Videntur enim viri illi graves incubuisse in eam curam et cogitationem, quæ sibi summam dignitatem et gloriam esset allatura. Itaque ardua tantùm et obscuriora interpretando explanâsse contenti, minutiora cætera, quorum doctrina et tractatio præcedere, vel certè conjungi debuerat, leviter attigerunt : ut adolescentuli qui his studiis initiantur, se ad cognitionem hujus rei, quam ex communi quâdam hominum opinione reconditissimam arbitrantur, desperent posse pervenire. Ut igitur eos ab hujusmodi desperatione ad spem revocarem, ad minima ista me demittere non recusavi : neque enim hìc difficilia tantùm enodavimus, sed ne una quidem totius Terentii syllabam reliquimus intactam, quam ad unguem non excusserimus, idque absque ullâ verborum pompâ aut magnificentiâ, sed nudis litterarum notis, et methodo quâm potuimus brevissimâ et facillimâ. Doctrinæ opinionem affectent alii : ego pro meâ virili parte me puerorum et formandis et promovendis studiis omnem meam operam addixisse opertè et ingenuè fateor [4]. Conférez avec ceci, je vous prie, le passage de Quintilien que j’ai cité dans le Projet de ce Dictionnaire [5], et joignez-y ces belles paroles d’Érasme ; elles se rapportent à la peine qu’il avait prise d’amplifier un Lexicon : Scimus hoc laboris genus esse minimè gloriosum, præsertim quùm pauci reputant quot autores sint excutiendi, ut voces aliquot ab aliis præteritas seligas. Verùm hoc plus debetur illis gratiæ, qui publicæ utilitatis gratiâ non detrectant ingloriam ac molestiæ plenan industriam [6].

(C) Il a acquis assez de réputation pour s’attirer les morsures de l’envie. ] C’est ce qu’il marque par un lieu commun que l’on insère trop souvent dans les épîtres dédicatoires. Il dit que ceux à qui il dédie son Térence lui ont paru extrêmement propres à le garantir de la morsure de ses ennemis : Digni maximè atque idonei videbamini qui nostra à malevolorum morsu fortiter et industriè tutari possetis [7]. Il n’y a guère de complimens qui soient plus faux que ceux-là. Les critiques n’ont aucun égard à la dignité ni à la capacité de celui à qui l’on dédie un livre qui leur semble mauvais. Le sieur Des Accords s’est bien moqué de ces belles espérances que l’on fonde sur la prétendue protection de ceux à qui l’on dédie des livres [8]. D’Aubigné trouva si bonnes les réflexions de cet auteur-là, qu’il s’en fit un ornement, après les avoir un peu ajustées d’une autre manière [9].

(D) Ce qu’il publia sur Térence nous doit convaincre que c’était l’homme du monde le plus patient au travail. ] Il fit imprimer en trois façons les comédies de ce poëte. Premièrement, il les publia avec de petites notes, et avec les sommaires de chaque scène, et il marqua les accens à tous les mots qui ont plus de deux syllabes : il marqua aussi à côté de chaque vers la manière de le scander. En second lieu, il les publia avec les notes entières de presque tous les auteurs qui avaient écrit sur Térence. Enfin, il les publia avec de nouvelles notes marginales, et avec la traduction et la paraphrase française des trois premières. Il mit entre des crochets tout ce qui est dans la traduction, sans être dans l’original en propres termes : il marqua avec des lettres tous les renvois de la version à la paraphrase. Les variæ lectiones ont aussi chacune leurs parenthèses, et leurs marques de correspondance. Il est aisé par-là de connaître que notre auteur était bien patient. Notez qu’il mit dans les deux dernières impressions de son Térence, ce que la première contenait. Matthieu Bonhomme, libraire de Lyon, fut celui qu’il employa à cette triple édition. La date du privilége du roi est de l’an 1556. La patience de cet auteur ne paraît pas moins dans le traité qui a pour titre : Thematis verborum investigandi ratio, et dans sa Praxis præceptorum linguæ græcæ. Ils se trouvent dans plusieurs grammaires de la langue grecque.

  1. Catel l’assure dans la page 356 de ses Mémoires de l’histoire de Languedoc. M. Baudrand a parlé de cette ville sous Rapistanum.
  2. À la page 490 du Descriptio Fluminum Galliæ, édition de Paris, en 1685.
  3. Catel, Mémoires de l’histoire de Languedoc, pag. 356.
  4. Petrus Antesignanus, Epist. dedicator. Terent., init.
  5. Voyez la fin du paragraphe VII de ce Projet, dans le tome XV de ce Dictionnaire.
  6. Erasm., præfatione in Lexicon : c’est la XXIe. lettre du XXVIIIe. livre, pag. 1702. Voyez aussi la fin du Ier. chap. du XVIIIe. livre de l’Hist. Nat. de Pline.
  7. Antesign., epistol. dedic. Terentii.
  8. Voyez la préface des Bigarrures de Des Accords.
  9. Voyez l’Epître dédicatoire de la Confession de Sanci.

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