Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Anne


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ANNE, nom de quelques personnes, dont il est parlé dans l’Écriture. La mère du prophète Samuel s’appelait Anne : c’était une femme fort pieuse, et fort aimée d’Elkana son mari. Elle était stérile, et ce malheur l’affligeait d’autant plus sensiblement, qu’elle se voyait exposée par-là aux railleries et aux insultes de l’autre femme d’Elkana. Elle fit tant de prières à Dieu, pour avoir un fils, qu’elle fut enfin exaucée [a] ; car Dieu lui donna Samuel, et ensuite trois fils et deux filles [b]. Le livre de Tobie, livre apocryphe chez les protestans, fait mention d’Anne, femme de Tobit, et mère de Tobie. Dans l’Évangile de saint Luc, il est fait mention d’Anne la prophétesse, fille de Phanuel [c]. C’était une femme fort dévote, âgée d’environ quatre-vingt-quatre ans, et qui n’en avait vécu que sept avec son mari. Baronius en a fait une religieuse cloîtrée, et s’est trompé en cela (A). L’Évangile fait aussi mention d’un homme qui s’appelait Anne, et qui était souverain sacrificateur parmi les Juifs, au temps de Notre Seigneur. Son gendre Caïphe avait la même dignité, quand Jésus-Christ fut mis à mort. Quant à sainte Anne, mère de la Sainte Vierge, et la plus célèbre de toutes les femmes de ce nom parmi les catholiques romains, elle ne paraît ni en blanc ni en noir dans l’Écriture. Les écrits des trois premiers siècles de l’Église n’en font aucune mention. Saint Épiphane est le premier qui ait dit quelque chose d’elle ; et néanmoins les siècles suivans ont débité une fort longue légende de sainte Anne, comme ou le verra dans l’article de saint Joachim son mari. Je m’étonne qu’Érasme n’ait trouvé dans les anciens livres que trois femmes nommées Anne (B).

  1. Ier. livre de Samuel, chap. I.
  2. Là même, chap. II, vs. 21.
  3. Saint Luc, chap. II, vs. 36.

(A) Baronius a fait une religieuse cloîtrée d’Anne, fille de Phanuel, et s’est trompé en cela. ] Rapportons ses paroles : Quomodò autem Anna nunquàm à templo discessisse dicatur, ut meritò camdem S. Cyrillus Hierosolymitanus [* 1] religiosissimam manialem appellet, consule quæ superiùs dicta sunt de præsentatione Dei genitricis in Templo [1]. On voit là deux choses : 1°. il prend au pied de la lettre cette expression de saint Luc, elle ne bougeait du temple [2] ; 2°. il trouve que saint Cyrille a eu beaucoup de raison de donner à Anne la prophétesse le titre de très-religieuse nonnain. Mais il est visible qu’il ne faut point presser les paroles de saint Luc au delà du sens qu’on a tous les jours en vue, lorsque, pour signifier qu’un homme va très-souvent dans une maison, on dit qu’il n’en bouge, qu’il y est toujours, qu’on l’y rencontre éternellement, de nuit et de jour. C’est ce qu’on dit en particulier des femmes dévotes, qui vont plusieurs fois le jour à l’église : elles ne bougent, dit-on, d’auprès des autels, elles sont toujours en prières et en oraisons dans les églises. Pour ce qui est de saint Cyrille, il n’est pas vrai qu’il appelle nonne la prophétesse Anne. L’interprète latin de ce père n’y a point pris garde d’assez près. Le mot grec ἀσκητὴς, ἀσκήτρα, n’était point tellement affecté aux moines et aux nonnains, qu’il ne se donnât aussi à tous ceux qui pratiquaient exactement les exercices de la religion. C’est ce que le docte adversaire de Baronius a fait voir très-clairement [3].

(B) Il est étonnant qu’Érasme n’ait trouvé dans les anciens livres que trois femmes nommées Anne. ] La première est la sœur de Didon : elle fut surnommée Perenna, et on la mit, dit-il, au nombre des dieux, à cause de l’amitié singulière qu’elle eut pour sa sœur. Les autres dictionnaires ont rapporté si amplement les aventures de cette Anne, que je n’ai pas jugé nécessaire d’y toucher. La seconde est la femme d’Elkana : C’est assez, dit-il, pour la louer que de dire que, dans sa vieillesse, et par une faveur particulière de Dieu, elle accoucha de Samuel, qui fut un prêtre très-pieux, et un juge très-incorruptible : Cujus ad laudem abundè satis est quòd et anus, et auspice Deo, Samuelem pepererit, non utiqué sibi, sed Deo quidem sacerdotem religiosissimum, populo verò judicem incorruptissimum [4]. La troisième est la mère de la sainte Vierge. Il dit que cette dernière Anne a été fort célébrée par Rodolphe Agricola, et par Baptiste Mantouan. Il y a là, et des péchés d’omission, et des péchés de commission. Que lui avaient fait la fille de Phanuel et la mère de Tobie, pour être ainsi oubliées ? Mais où a-t-il trouvé que la mère de Samuel fût vieille ? L’historien sacré ne dit point cela, et nous fait plutôt entendre qu’elle était encore assez jeune. N’eut-elle pas cinq enfans depuis qu’elle eut sevré Samuel ? Le même historien la fait répondre au grand sacrificateur Héli, qui l’accusait d’être ivre, qu’elle n’avait bu ni vin ni bière. Josephe, ne trouvant point cela assez singulier, lui a suggéré une autre réponse ; savoir : qu’elle ne buvait jamais que de l’eau. M. Moréri a mieux aimé suivre l’historien juif que l’Écriture. Au reste, la dame à qui Érasme a écrit la lettre où il parle de ces trois Annes, mériterait bien un article : il la qualifie Annam Bersalam principem Verianam. Si je puis déterrer sa famille et ses aventures, je m’engage à parler d’elle.

Depuis la première édition de cet ouvrage, j’ai déterré quelque chose touchant ce sujet. Voyez l’article Bersala.

  1. (*) Cateches. X.
  1. Baron., in Annal. Ecclesiast., tom. I, ad ann. 1, num. 41.
  2. Οὐκ ἀϕίςατο ἀπὸ τοῦ ἱεροῦ νηςείαις καὶ δεήσεσι λατρεύουσα νύκτα καὶ ἡμέραν. C’est-à-dire, selon la version de Genève, Elle ne bougeait du temple, servant Dieu, en jeûnes et oraisons, nuit et jour.
  3. Casaubon., Exercitat. II, num. 13.
  4. Erasm. Epistola XXXVIII, lib. IX, pag. 500.

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