Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ales


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ALES (Alexandre), en latin Alesius, théologien célèbre de la confession d’Augsbourg, et auteur de plusieurs livres[a], était né à Édimbourg, en Écosse, le 23 d’avril 1500. Il fit des progrès admirables dans la théologie scolastique, et il se mit de bonne heure sur les rangs, afin de rompre une lance avec Luther. C’était alors la controverse à la mode, et le grand champ de bataille où les auteurs jeunes et vieux cherchaient à donner des preuves de leur mérite. Il eut sa part peu après à la dispute verbale que Patricius Hamilton eut à soutenir contre les ecclésiastiques (A), pour la nouvelle créance qu’on lui avait fait goûter à Marpourg. Il tâcha de le ramener au catholicisme ; mais il ne put rien gagner sur lui, et il ne fit qu’entrer en doute lui-même sur sa propre religion, par les discours de ce gentilhomme, et plus encore par la constance qu’il le vit faire paraître sur le bûcher, où David Beton, archevêque de Saint-André, le fit mourir. Les doutes de notre Ales n’auraient eu peut-être aucune suite, si on l’eût laissé jouir en repos du canonicat qu’il possédait dans l’église métropolitaine de Saint-André ; mais on le persécuta avec tant de violence, qu’il fut contraint de se retirer en Allemagne (B), où il acquit enfin une plénitude de lumière. Il flotta d’abord un peu entre les deux religions, comme on le peut voir par ses réponses à Cochleus : mais, au bout du compte, il embrassa le luthéranisme, et il y persévéra jusqu’à sa mort. Il est vrai que dans les divers partis qui s’y formèrent, il se rangea quelquefois du côté de ceux qui paraissaient les moins orthodoxes. C’est ainsi qu’en 1560 il soutint le dogme de George Major touchant la nécessité des bonnes œuvres (C). J’oubliais de dire que le changement qui se fit en Angleterre par rapport à la religion en suite du mariage de Henri VIII avec Anne de Boulen, fut cause qu’Ales alla à Londres en 1535. Il y fut fort considéré par Crammer, archevêque de Cantorbéri ; par Latimer et par Thomas Cromwel, qui étaient alors en grand crédit auprès du roi, et il enseigna même publiquement. La chute de ces favoris l’obligea de retourner en Allemagne, où l’électeur de Brandebourg le fit professeur en théologie à Francfort sur l’Oder, l’an 1540. Ales y eut une querelle deux ans après, sur la question, si le magistrat peut et doit punir la paillardise (D) ? Il était pour l’affirmative avec Mélanchthon. Je ne sais s’il trouva mauvais qu’on différât à prononcer sur cette dispute, et si ce mécontentement fut cause qu’il sortit de Francfort d’une manière précipitée ; mais il est certain que la cour de Brandebourg se plaignit de lui, et qu’elle écrivit à l’université de Wittemberg, pour le faire châtier. L’attachement qu’il avait pour Mélanchthon avait fait croire qu’il s’était retiré à Wittemberg (E) ; cependant il avait mieux aimé se rendre à Leipsick, d’où il refusa, en 1543, une chaire de professeur dans l’académie qu’Albert, duc de Prusse, voulait ériger à Konisberg, et qui fut érigée l’année suivante. On ne sait pas bien si dès lors il avait une profession dans l’université de Leipsick, ou si seulement on lui faisait espérer celle de théologie, qu’il exerça ensuite jusqu’à sa mort, arrivée le 17 mars 1565 (F). Il avait été préservé de la mort par miracle dans sa jeunesse (G). L’estime et l’autorité où il était se peuvent connaître par le grand nombre de conférences où il assista (H). Il s’était marié avec une Anglaise, dont il eut deux filles et un fils. Il ne lui restait qu’une fille quand il mourut. Ceci a été extrait d’une harangue de Jacques Thomasius, professeur à Leipsick, imprimée avec plusieurs autres à Leipsick, l’an 1683, in-8o. Tout ce qu’il dit est accompagné de citations. Je n’ai pas cru devoir les copier : ceux qui voudront aller aux sources trouveront très-facilement la harangue qui les indique.

  1. Voyez la remarque (C).

(A) Il eut part à la dispute de Patricius Hamilton avec les ecclésiastiques. ] Bèze a fait en peu de mots l’éloge de ce martyr protestant, qui était d’une famille alliée aux rois d’Écosse. Il met son martyre à l’an 1530[1]. Buchanan le met à l’année 1528[2], et lui donne pour père le frère du comte d’Aran, et pour mère la sœur du duc d’Albigni. Il remarque que, peu après son supplice, la mort d’un dominicain, qui avait été son délateur, consterna fort les esprits. Ce dominicain s’appelait Alexandre Cambel. C’était un jeune homme qui avait beaucoup de génie, et beaucoup d’érudition. Il avait souvent discouru avec Hamilton sur l’interprétation de l’Écriture, et lui avait avoué qu’il reconnaissait pour vraies la plupart des doctrines qui passaient alors pour paradoxes. Hamilton, se souvenant de cet aveu, le traita de méchant homme, quand il le vit son accusateur, et le cita devant le trône de Dieu. Ces mots le troublèrent de telle sorte, qu’il en perdit le jugement et qu’il mourut fou quelque temps après[3]. Ales rapporte[4], touchant le supplice de Patricius Hamilton, bien des choses, que Rabus a insérées dans son Histoire allemande des martyrs.

(B) On le persécuta avec tant de violence, qu’il fut contraint de se retirer en Allemagne. ] Cette persécution lui fut suscitée à cause qu’il avait fortement prêché devant un synode provincial, en 1529, contre les prêtres fornicateurs. Le prevôt de Saint-André, dont les commerces impudiques étaient connus de tout le monde, se reconnut à ce sermon, et s’imagina qu’on l’avait voulu mettre en spectacle à tout l’auditoire. Il résolut de s’en venger à la première occasion ; et comme il était d’un tempérament mille fois plus propre à un soldat qu’à un chanoine, il ne choisit que des manières violentes. Ayant su que tout le chapitre s’était assemblé pour envoyer porter des plaintes contre lui au roi Jacques V, il se rendit à l’assemblée avec des gens bien armés, et ordonna qu’on lui saisît Ales, qui lui représentait de modérer sa colère : il mit même l’épée à la main pour répondre à cette juste remontrance. Ce pauvre chanoine fut saisi de tant de peur, qu’il se jeta aux pieds du prevôt, et lui demanda la vie fort humblement. Il en fut quitte pour un coup de pied sur la poitrine, dont il demeura quelque temps évanoui ; après quoi il fut conduit en prison. Tous les autres chanoines y furent aussi conduits ; mais le roi, ayant su la chose, les fit mettre en liberté. Il n’y eut qu’Ales qui ne fut point élargi ; car, au contraire, on le mit dans un cachot épouvantable, où il demeura vingt jours. Sa liberté ne fut pas de longue durée. Il n’avait pas cru devoir taire aux magistrats le mal qu’il avait souffert : là dessus, le prevôt, qui lui avait défendu de le leur dire, le fait remettre en prison, et représente à l’archevêque que c’était un homme qui avait fait éclater son hérésie dans le sermon synodal, et qui méritait cette peine. Il se fâcha tellement de ce que, pendant un voyage qu’il avait fait, on avait mis Ales hors de prison, qu’il voulait à toute force l’y renvoyer, sans lui permettre d’achever une messe commencée. Mais enfin, les prières des chanoines le fléchirent : il attendit jusqu’à la fin de la messe à le renvoyer en prison. Or, comme on savait qu’il le ferait mettre au cachot dés le lendemain, on conseilla au prisonnier de prendre la fuite toute la nuit, et d’abandonner l’Écosse. Il crut ce conseil, et s’en alla en Allemagne, l’an 1532[5].

(C) Il soutint le dogme de George Major touchant la nécessité des bonnes œuvres. ] Le titre de son écrit est : De Necessitate et Merito bonorum Operum Disputatio proposita in celebri Academiâ Lipsicâ, ad xxix diem novemb. 1560. Cette dispute est la cinquième inter Anti-Tapperianas ; et voilà un Anti à ajouter au recueil de M. Baillet. Pour n’en faire pas à deux fois, rapportons ici les titres de ses principaux ouvrages : Commentarii in Evangelium Johannis, et in utramque Epistolam ad Timotheum ; Expositio in Psalmos Davidis ; De Justificatione, contra Osiandrum ; De Sanctâ Trinitate, cum Confutatione erroris Valentini Gentilis ; Responsio ad triginta et duos Articulos Theologorum Lovaniensium, etc.

(D) Il eut une querelle sur la question si le magistrat peut et doit punir la paillardise ? ] On entend assez que cette dispute ne roulait point sur l’adultère, mais sur la simple fornication ; car encore que la punition de l’adultère soit une chose aussi rare que ce crime-là est fréquent, elle passe néanmoins pour légitime entre les docteurs chrétiens. Ales n’avait donc à combattre qu’un antagoniste, qui lui soutint que le magistrat ne peut ni ne doit punir la fornication. On différa de prononcer sur cette dispute ; et il y a beaucoup d’apparence qu’Ales, indigné de ce délai, ne voulut plus demeurer parmi des gens qui se déclaraient si favorables à l’impunité des fornicateurs. Cum A. 1542, dit Thomasius[6], inter ipsum et alium quendam exorta esset controversia de quæstione, possitne ac debeat magistratus politicus scortationem punire ? veramque Melanchthonis calculo approbatam [* 1], defendente Alesio, nihilominùs hujus disputationis decisio juberetur differri : offensus, ut apparet, hâc bonæ causæ procrastinatione Alesius, non exspectato Principis adventu, discessit [* 2]. L’indignation ne sied pas mal dans un tel cas à un professeur en théologie qui avait vu la naissance de la réformation, et qui devait naturellement espérer qu’il ne vivrait pas assez pour voir revenir la morale au premier relâchement. Rien ne pouvait faire plus d’honneur à la religion protestante que la sévérité des maximes qui se rapportent à la chasteté ; car l’observation de ces maximes est le triomphe le plus malaisé à obtenir sur la nature, et celui qui peut le mieux témoigner que l’on tient à Dieu par les liaisons réciproques de sa protection et de son amour. C’était donc un grand sujet de scandale que, dès l’an 1542, un théologien protestant, qui soutenait que les magistrats peuvent et doivent punir les fornicateurs, trouvât des oppositions, et y succombât en quelque manière. Aujourd’hui que l’on est tout accoutumé à la tolérance de ce crime, personne presque ne s’en offense. Un fort honnête homme m’a assuré depuis peu, que les magistrats de Strasbourg ont une telle indulgence pour une fille qui s’est laissé faire un enfant, que, pourvu qu’elle leur vienne payer l’amende à quoi ces sortes de fautes sont taxées, ils lui donnent la réintegrande, ils la réhabilitent dans sa première réputation, ils établissent des peines contre tous ceux qui oseraient à l’avenir lui faire le moindre reproche. Voilà sans doute un privilége plus singulier que celui de donner des lettres de réhabilitation aux familles qui ont dérogé à leur noblesse ; et s’il était permis de rire dans une matière de cette importance, on dirait que les magistrats de Strasbourg ont dû nommément stipuler la conservation de ce privilége, lorsqu’ils ont capitulé avec la France, et lorsqu’après la paix de Ryswyck ils ont demandé le renouvellement de leur capitulation[7]. Je sais bien que par leur prérogative ils ne croient point faire mentir cet axiome certain et incontestable de l’antiquité :

........Nullâ reparabilis arte
Lœsa pudicitia est ; deperit illa semel.

Ils ne prétendent point rétablir, physiquement parlant, la virginité perdue : ce serait combattre le vrai sens de l’axiome ; mais, moralement parlant, ils prétendent la restituer, puisqu’ils prennent sous leur protection la renommée d’une malhonnête fille, et qu’ils la mettent à couvert de la médisance, de sorte qu’elle peut aller partout la tête levée, aussi sûrement qu’une honnête fille. On dit même que l’efficace de leur sentence est telle, que les filles qui ont eu des enfans, et qui en payant l’amende ont obtenu la réhabilitation, trouvent un mari aussi aisément, et presque aussi avantageusement, que si elles n’avaient point fait cette faute. Mais j’attribuerais plutôt cela au peu de délicatesse des hommes qui les épousent, qu’à leur persuasion de l’efficace de la sentence[8]. Quoi qu’il en soit, nous pourrions dire à ceux qui supposent que le paiement d’une amende répare les crimes de cette nature, ce que l’on a dit à ceux qui s’imaginaient qu’un peu d’eau claire effaçait la tache d’un homicide :

Ah ! nimiùm faciles, qui tristia crimina cœdis
Flumineâ tolli passe putatis aquâ[9].

Ce même honnête homme m’assura que ce qu’il savait très-certainement des coutumes de Strasbourg, il l’avait aussi ouï dire touchant plusieurs autres endroits de l’Allemagne. De telles lois eussent mis bien en colère le théologien dont je fais ici l’article ; car tant s’en faut que ce soit punir la fornication, que c’est en quelque manière la récompenser, vu que l’avantage de se produire partout, sans la crainte d’aucun reproche ni d’aucune médisance, est un bien qui surpasse de beaucoup le préjudice de l’amende que l’on a payée, qui n’est pas quelquefois la moitié du gain que l’on a fait en s’abandonnant.

J’ai ouï dire à des personnes bien judicieuses, que l’usage d’une infinité de pays est plutôt une récompense qu’une peine de la fornication. Cet usage est que ceux qui se reconnaissent les pères d’un bâtard soient condamnés à le nourrir, et à donner à la mère quelque somme de deniers. L’ordre de pourvoir à la nourriture de l’enfant ne peut point passer pour une peine, puisque le droit naturel a établi clairement cette obligation. On ne peut donc compter pour peine que l’argent qui est donné à la fille : mais, outre que c’est un châtiment fort léger à l’égard du père, c’est à proprement parler une récompense à l’égard de la mère. « Or, c’est une chose bien étrange, disaient ces messieurs-là, que des tribunaux chrétiens adjugent des récompenses à des filles, pour avoir perdu leur honneur en scandalisant le public. » Quelqu’un leur répliqua, que la perte qu’elles avaient faite, qui leur rendait à l’avenir plus difficile la rencontre d’un mari, demandait comme un acte de justice qu’on leur procurât quelque dédommagement. « Non, répondirent-ils, ce n’est point un acte de justice, c’est une faveur, c’est une grâce : la justice ne demande pas que des personnes qui ont souffert du dommage par la transgression volontaire des lois de Dieu et des lois de l’honneur humain clairement connues, obtiennent un dédommagement ; et si le souverain voulait répandre des grâces, il devrait choisir des sujets plus dignes. Obligerait-on les hommes à récompenser une fille, qui, en commettant un vol pour l’amour d’eux, et à leur instigation, se serait estropiée, ou d’un bras, ou d’une jambe ? Tant s’en faut qu’un juge lui fît obtenir quelque gratification qui réparât le dommage qu’elle aurait souffert, qu’il la condamnerait à des peines corporelles. Il arriverait la même chose dans tous les cas punissables où elle perdrait quelque membre en exécutant les conseils d’un homme. Il n’y a que la fornication qui soit exceptée de cette règle : appelons-la donc le délict commun et le cas privilégié, termes consacrez séparément à d’autres choses[10], et sur quoi il parut un livre à Paris, l’an 1611[11] ». Quelqu’un allégua là-dessus, que les magistrats d’Amsterdam, fatigués de la multitude de servantes qui accusaient de leur grossesse quelqu’un des fils de la maison, avaient fait un règlement, que désormais on ne donnerait à ces sortes de créatures que 25 florins, moyennant quoi elles seraient obligées de nourrir l’enfant : qu’ils avaient cru par-là mettre un frein à la débauche ; car ils voyaient que le profit qu’elles retiraient de leur mauvaise conduite, les engageait, ou à faire des avances, ou à succomber à la sollicitation, et qu’en un mot, leur lasciveté devait être privée de toute espérance de gain, et non pas encouragée par l’espérance des sommes que les tribunaux leur adjugeaient. Mais il y eut des gens qui répondirent qu’il n’est pas certain qu’on ait fait de telles lois à Amsterdam, quoique le bruit s’en soit répandu dans les autres villes du pays. Que cela soit vrai ou faux, il est toujours certain que cela prouve qu’on n’ignore pas que la conduite ordinaire des tribunaux est trop favorable à la fornication, et qu’elle excite beaucoup plus les filles à se débaucher qu’à se contenir ; et il paraît clairement que les souverains, qui font punir les transgresseurs du Décalogue, ne se règlent point sur ce que Dieu est offensé, mais sur le préjudice temporel de l’état. C’est pour cela qu’ils punissent les voleurs et les homicides ; mais, parce que la fornication semble plus utile que préjudiciable au bien temporel de l’état, ils ne se soucient point de la punir, et ils se conduisent d’une manière à faire juger qu’ils ne sont pas fâchés qu’on peuple leurs villes per fas et nefas. S’ils avaient à cœur la pratique de la loi de Dieu sur ce point-là, ils fortifieraient la crainte de l’infamie, au lieu de la faire évanouir : ils feraient payer de grosses amendes applicables, non pas aux filles qui auraient forfait, mais aux hôpitaux : ils imprimeraient une flétrissure, tant à celui qui aurait été le tentateur, qu’à celle qui aurait mal résisté à la tentation : et comme le déshonneur parmi les personnes de basse naissance n’est pas un frein assez fort pour arrêter une certaine coquetterie, qui anime le tentateur, qui le prévient, qui lui assure le triomphe avec la dernière facilité, ils emploieraient une peine plus réelle, et dont ils trouveraient aisément de bons moyens.

La discipline ecclésiastique est tombée à peu près dans le même relâchement. Il n’y a que peu d’années[12] que le précepteur d’un gentilhomme s’attacha dans une ville de... à une jeune coquette, et qu’il en obtint bientôt tout ce qu’il voulut. Dès que les parens eurent connu qu’elle était grosse, ils travaillèrent à lui faire avoir pour mari ce galant-là. Il fit le rétif ; car, outre que la facilité de sa conquête n’était pas un grand attrait à aimer pour le sacrement, il ne croyait point être le seul qui eût eu part au gâteau, ni que l’enfant fût son ouvrage plutôt que celui d’un autre. Le seul moyen de venir à bout de lui fut la menace que, s’il n’épousait cette fille, il perdrait le bénéfice qu’il avait en Angleterre. Il l’épousa donc ; et, par ce moyen, il conserva son bénéfice. Voilà comment la coquetterie fut récompensée : la coquetterie, dis-je, qui avait été poussée jusqu’à l’excès le plus scandaleux. Que diraient les anciens pères, s’ils revenaient aujourd’hui au monde ? Quel sujet n’auraient-ils pas de s’écrier en jetant les yeux sur la face de l’église : O domus antiqua, quàm dispari dominaris Domino ! C’est la destinée de toutes les religions, aussi bien que celle de tous les corps politiques, de se gâter en vieillissant. Les hommes sont plus corrompus dans leur jeunesse que dans leur âge avancé. Il en va tout autrement des républiques. Il n’est rien tel que les lois naissantes et toutes neuves[13]. Les lois sont comme le pain et les œufs, pan d’un di, ovo d’un hora. L’état florissant d’un code (j’entends ici la pratique et l’observation) est celui de l’enfance. Voyez la plainte d’un poëte qui avait décrit quelques abus du siècle d’Auguste ; elle ressemble à celle de Jésus-Christ, Du commencement il n’était pas ainsi[14] :

..........., Non ità Romuli
Præscriptum, et intonsi Catonis
Auspiciis, veterumque normâ[15].


Par cet endroit-là, les sectes, et les communautés, etc., ressemblent à l’homme, qui n’est innocent qu’au berceau, et un peu après.

Notons qu’il y a encore quelques pays protestans[16] où l’on a gardé quelques restes de sévérité contre la fornication, tant à l’égard des filles qu’à l’égard des hommes. Mais je suis sûr que notre Alexandre Ales en demanderait davantage. Que dirait-il des autres pays ?

Ne finissons pas sans dire que les tribunaux, qui adjugent un profit pécuniaire aux fornicatrices, ou qui condamnent même à les épouser ceux qui les ont débauchées, font cela pour éviter plusieurs inconvéniens ; mais, quoi qu’il en soit, ils fomentent par cette conduite les désordres de l’impureté ; car chaque sentence qu’ils prononcent sur ce point-là est un bien réel pour une personne, et un motif d’espérance pour vingt autres. Chaque fille qui parvient au mariage par cette route, fait naître l’envie à plusieurs autres de tenter le même moyen. On a compris cet abus en France : le nouveau Code n’y est pas aussi favorable que le vieux à cette espèce de filles qui profitent trop des priviléges du mariage. C’est un sacrement qui a des vertus retroactives, et qui, comme celui de la pénitence, est une planche après le naufrage. Il fait rentrer au port de l’honneur, il répare les vieilles brèches, il donne la qualité de légitimes à des enfans qui ne la possédaient pas[17]. Je ne dis rien du voile épais dont il peut couvrir les nouvelles brèches, les fautes courantes, et le péché quotidien.

(E) L’attachement qu’il avait pour Mélanchthon avait fait croire qu’il s’était retiré à Wittemberg. ] Mélanchthon, dans sa CCXCe. lettre à Camerarius, ne sait si Ales se défiait de son amitié. Dans la lettre CCLXXXVIIIe. il avoue qu’il avait remarqué en lui des saillies et des boutades, παρϐόλους καὶ παραλόγους ὀρμάς.

(F) Il mourut le 17 de mars 1565. ] Le Calendrier de Paul Eber marque qu’Ales mourut le 18 de mars 1565, âgé de soixante-quinze ans. La première faute est fort légère, puisqu’elle n’est que d’un jour ; mais la seconde est de dix ans ; et ainsi elle est plus considérable. Ales écrivit lui-même, sur la matricule de l’université de Leipsick, qu’il était né l’an 1500. Bucholcer[18], et Reusnerus[19] lui donnent tout autant de vie que Paul Eber. Toute cette remarque a été prise de Thomasius. On eût pu reprendre Bucholcer en une autre chose ; c’est qu’il a dit qu’Ales vécut et enseigna en Allemagne depuis son arrivée à Wittemberg, c’est-à-dire, depuis l’an 1533.

(G) Il avait eté préservé de la mort par miracle dans sa jeunesse. ] Il dit dans l’un de ses livres[20], qu’il se remet souvent en mémoire, mais non pas sans de grands frissons par tout le corps, que, comme il roulait vers un précipice, sur le sommet d’une très-haute montagne, et qu’il était déjà fort près de ce précipice, il se sentit transporté dans un autre lieu, sans savoir par qui, ni comment ; ce qu’il attribue à la foi de ses parens[* 3], et non pas aux billets qu’il portait sur soi, contenant quelques versets de saint Jean, selon la coutume des enfans en ce temps-là.

(H) Il assista à un grand nombre de conférences. ] Lorsque Mélanchthon fut prié, en 1555, par ceux de Nurenberg, de venir terminer les dissensions que les disciples d’André Osiander causaient dans leur ville[21], il amena avec lui Ales, qui tint fort bien sa partie dans les disputes où l’on entra[22]. Mélanchthon le connaissait bien par cet endroit ; car il l’avait déjà eu pour assesseur, en 1554, dans la conférence de Naumbourg, où il s’agissait d’assoupir les troubles théologiques de la Prusse. Camerarius, à ce sujet, donne un fort grand éloge à Ales : Alexander Alesius, patriâ Scotus, valdè carus Philippo Melanchthoni, rei theologicæ intelligentissimus, et artifex excellens congruentium disputationum, et vir dignitate atque doctrinâ exquisitâ præstans [23]. Il avait remarqué en un autre lieu que Granvelle, qui présidait à la conférence de Worms, de la part de Charles-Quint, en 1541, ne voulut point qu’Ales, que l’électeur de Brandebourg y avait envoyé, parlât : Qui quidem et paratus erat et cupidus conflictus : sed huic obstitit jussum præsidis, qui et Alesium ad pugnam instructum sciret, et talem administrationem rei viciosam esse animadverteret.

  1. (*) In Epist. Responsoriâ ad Academiam Francofordianam, quam leges part. I. Consil. Theol. Phil. Melanchthon., pag. 523.
  2. (*) Phil. Melanch. Epist. ad Camerar., pag. 413, 414.
  3. * Il était important, dit Leclerc, de faire remarquer que les parens d’Ales étaient catholiques. Quel argument en faveur de l’Église romaine qu’un protestant reconnaissant le pouvoir de la foi !
  1. Beza, in Iconibus.
  2. Louis Rabus, au livre IV de l’Histoire des Martyrs ; Budæus, θανατολ. pag. 38 ; Hondorf, Prompt., pag. 64 ; Justus, de Academiis, p. 45, le mettent comme Buchanan. Voyez Jacobi Thomasii Oration. de Alexandro Alesio, p. 307.
  3. Buchanan. Rer. Scoticarum lib. XIV.
  4. Exposit. in Psalm. XXXVII, folio 164. Voyez aussi sa Réponse à Cochleus, pag. 9.
  5. Jacob. Thomasius, in Oratione de Alesio.
  6. Ibidem, pag. 318.
  7. Voyez le Mercure historique du mois de juin 1698.
  8. On m’a assuré qu’ils sont les premiers à plaisanter, et à dire que ces sortes d’injures n’emportent point la pièce. Ils croient apparemment imiter ceux qui se raillent eux-mêmes pour énerver la raillerie des autres. Voyez le commencement de la remarque (B) de l’article Agésilaus II.
  9. Ovidius, Fastor. lib. II, vs. 45.
  10. On appelle Délict commun les fautes d’un ecclésiastique, qui sont jugées par les tribunaux de l’Église ; et Cas privilégié les fautes d’un ecclésiastique, qui sont soumises à la juridiction séculière.
  11. Il est composé par Bénigne Milletot, conseiller au parlement de Dijon.
  12. On écrit ceci l’an 1698.
  13. Voyez la remarque (M) de l’article Nestorius, au commencement.
  14. Évang. de S. Matthieu, chap. XIX, v. 8.
  15. Horat. Od. XV, lib. II, vs. 10.
  16. À Genève, et plus encore au canton de Berne.
  17. Voyez la remarque (A) de l’article Ariosta.
  18. Chronolog., pag. 613.
  19. Isagog. Hist., pag. 636.
  20. Epistola dedicatoria Commentar. in Joannem. Vide et præfat. in alteram ad Timotheum, apud Jacobum Thomasium, in Oratione de Alesio, pag. 305.
  21. Camerar. in Vitâ Melanchthonis. Thomasius, Oratione de Alesio, pag. 321.
  22. Beza, in Iconibus.
  23. Camerarius, in Vitâ Melanchth.

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