Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aldrovandus


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ALDROVANDUS[a] (Ulysse), professeur en philosophie et en médecine à Bologne, sa patrie, a été un des plus curieux hommes du monde par rapport à l’histoire naturelle. Ses soins, ses travaux et ses dépenses sur ce sujet sont incroyables. Il voyagea dans les pays les plus éloignés sans autre motif que de s’instruire des choses que la nature y fait paraître : les minéraux, les métaux, les plantes, les animaux, étaient l’objet de ses recherches et de sa curiosité ; mais il s’attachait principalement aux oiseaux ; et, pour en avoir des figures bien exactes et au vif, il employa pendant plus de trente années, à ses propres frais, les plus excellens artistes de l’Europe (A). Ces dépenses l’abîmèrent : il se vit enfin réduit à la dernière nécessité[* 1], et l’on prétend qu’il mourut à l’hôpital de Boulogne, chargé d’années[b] et aveugle, l’an 1605[c]. C’est un exemple bien parlant contre l’ingratitude du public (B), et même contre l’excessive curiosité des particuliers. Il y aurait mille réflexions et mille beaux lieux communs à pousser sur cette aventure : je les laisse à quiconque s’en voudra saisir, et me contente de cette petite observation ; c’est que l’antiquité ne nous fournit point d’exemple d’un dessein aussi étendu et aussi laborieux que celui de notre Ulysse à l’égard de l’histoire naturelle. Pline, je l’avoue, s’est répandu sur plus de sortes de sujets ; mais il ne fait qu’effleurer : il ne dit que peu de mots sur chaque chose, au lieu qu’Aldrovandus ramassait tout ce qui se pouvait rencontrer[d]. compilation comprend plusieurs gros volumes in-folio ; mais il ne faut pas lui en attribuer toute la gloire (C) ; car il y a tel volume qui a paru après sa mort, dans lequel on ne croit pas qu’il ait autre part que celle d’avoir fourni le modèle (D), ou tout au plus quelques mémoires informes. J’explique cela dans les remarques. Il ne paraît pas possible qu’il ait fuit le prodigieux nombre de livres dont Impérialis a donné le catalogue[e] ; et il n’est pas étrange qu’occupé à tant de recherches qui emportent toute l’attention, il ait donné souvent pour des vers ce qui était très-contraire aux règles de la poésie [f], et qu’il n’ait point su beaucoup de grec[g]. Un poëte qui a été pape l’a loué d’une manière très-bien tournée (E).

  1. * Cette circonstance est révoquée en doute par Joly, qui renvoie aux Mémoires de Nicéron.
  1. Issu des comtes de ce nom, à ce que dit Aubert. Miræus, de Scriptorib. Sæc. XVI, pag. 154.
  2. Ballart, Académie des Scienc., tom. II, pag. 110, lui donne quatre-vingts ans.
  3. Mercklinus, Lindenii renovati p. 1047.
  4. Voyez la remarque (D).
  5. In Musæo Historico. Voyez aussi le Theâtre de Paul Freherus, pag. 1317.
  6. Vossius de Origine Idololatr., lib. III, cap. XCI, pag. 1227.
  7. Ezech. Spanhem. apud Konig. Biblioth., pag. 24.

(A) Il employa, pour avoir des figures exactes des animaux, les plus excellens artistes de l’Europe. ] Voici ce qu’Aubert-le-Mire avait recueilli sur ce sujet : Pictori cuidam, eâ in arte unico, triginta et amplius annos annuum aureorum ducentorum stipendium persolvit. Delineatores celeberrimos, Laurentium Benninum Florentinum, et Cornelium Suintum Francofurtensem, ære sun conduxit, nec non Jacobi Ligotii, Serenissimi Etruriæ Ducis pictoris eximii, opera in hâc eâdem provinciâ Florentiæ quandoquè usus est, ut quo maximo fieri posset artificio aves eæ designarentur. Tandem sculptorem habuit insignem Christophorum Coriolanum Norimbergensem, atque ejus nepotem, qui eas adeò venustè adeòque eleganter exsculpserat, ut non in ligno sed in ære factæ videantur[1].

(B) C’est un exemple bien parlant contre l’ingratitude du public. ] ne faut pas s’imaginer que personne n’ait secouru ce naturaliste dans les dépenses qu’il faisait. Le sénat de Bologne, le cardinal Montalte, François Marie duc d’Urbin, et quelques autres des principaux de l’Italie, y contribuèrent avec joie, en fournissant de leurs deniers à l’entretien des peines et des graveurs qu’Aldrouand avait sous lui... Après avoir dédié douze livres de l’Ornithologie, ou Histoire des oiseaux, au pape Clément VIII, et quelques autres à ceux qui avaient favorisé son travail de leurs libéralités, il consigna le reste par son testament au magnifique sénat de Bologne.…, qui assigna une somme d’argent considérable à Jean Corneille Uterverius, natif de Delft en Hollande, professeur en cette université et depuis encore à Thomas Demster, gentilhomme écossais, aussi professeur au même lieu, pour recueillir et mettre sous la presse des livres si dignes de voir le jour[2].

(C) Il ne faut pas lui attribuer toute la gloire due à sa compilation. ] Il paraît par la Bibliothéque des livres de médecine, que la plupart des volumes de l’Histoire naturelle d’Aldrovandus ont été imprimés après sa mort[3]. L’Ornithologie[4], en trois volumes in-folio, et les sept livres des Insectes, en un volume de même taille, sont les seuls qu’il ait donnés au public. Le volume des Serpens, les trois volumes des Bêtes à quatre pieds, le volume des Poissons, celui des Animaux qui n’ont point de sang, l’Histoire des Monstres, avec les Supplémens de celle des Animaux, en douze volumes, le Traité des Métaux, la Dendrologie[5], ont paru en divers temps, par les soins de différentes personnes, depuis la mort d’Aldrovandus. En effet, le volume des Serpens a été mis en ordre, et sous la presse, par Barthélemi Ambrosin[6]. Celui des Quadrupèdes au pied fourchu fut mis en ordre, premièrement par Jean Corneille Uterverius, et puis par Thomas Demsterus, et publié par Marc-Antoine Bernia et par Jérôme Tamburin. Celui des Quadrupèdes au pied continu, et celui des Poissons, ont été mis en état par Uterverius, et publiés par Tamburin. Celui des Quadrupèdes à doigts ou à griffes a été compilé par Ambrosin. L’Histoire des Monstres, et les Supplémens, ont été rassemblés par le même, et publiés aux dépens de Marc-Antoine Bernia. La Dendrologie est l’ouvrage d’Ovide Montalbanus[7].

(D) Il y a tel volume de sa compilation, dont il n’a fourni que le modèle. ] M. l’abbé Gallois a si bien représenté le jugement qu’il faut faire sur ce gros ouvrage, que j’ai cru qu’on me saurait plus de gré de la copie que de l’abrégé de ce qu’il a dit. Voici donc ses propres termes : « Aldrovandus n’est pas l’auteur de ce livre[8], non plus que de beaucoup d’autres qui ont néanmoins été publiés sous son nom : mais il est arrivé au recueil de l’Histoire naturelle, dont ces livres font partie, comme à ces grands fleuves qui conservent pendant tout leur cours le nom qu’ils avaient à leur source, quoiqu’à la fin la plus grande partie des eaux qu’ils portent à la mer ne leur appartienne pas, mais à d’autres rivières qu’ils reçoivent. Car, comme les six premiers volumes de ce grand ouvrage étaient d’Aldrovandus, quoique les autres aient été composés depuis sa mort par différens auteurs, on n’a pas laissé de les lui attribuer, soit parce que c’était la continuation de son dessein, ou parce qu’on s’était servi de ses Mémoires, ou parce qu’on avait suivi sa méthode, ou peut-être afin que ces derniers volumes fussent mieux reçus sous un nom si célèbre[9]. Ceux qui voudront savoir le plan de cette compilation, n’auront qu’à jeter les yeux sur les paroles suivantes ; c’est M. l’abbé Gallois qui continue de parler : « On n’a presque rien écrit de ces arbres, qu’il ne se trouve ramassé dans ce volume. Car cet auteur ne se contente pas de rapporter tout ce qu’il en a lu dans les naturalistes, il remarque encore, suivant la méthode d’Aldrovandus, ce que les historiens en ont écrit, ce que les législateurs en ont ordonné, et ce que les poëtes en ont feint. De plus, il explique les différens usages auxquels on emploie ces arbres dans l’œconomique, dans la médecine, dans l’architecture et dans les autres arts. Enfin, il parle des moralités, des proverbes, des devises, des énigmes, des hiéroglyphes, et de quantité d’autres choses qui regardent ce sujet[10]. » Il n’avait pas négligé de consulter les médailles, et d’en tirer ce qui pouvait lui servir [11].

(E) Un poëte, qui a été pape, l’a loué d’une manière bien tournée. ] Je parle de Maphée Barberin, ou d’Urbain VIII. Voici l’une des épigrammes qu’il a faites à la louange d’Aldrovandus :

Multiplices rerum formas, quas pontus et æther
Exhibet, et quidquid promit et abdit humus,
Mens haurit, spectant oculi, dùm cuncta sagaci,
Aldobrande, tuus digerit arte liber ;
Miratur proprios solers industria fœtus,
Quamque tulit moli se negat esse parem :
Obstupet ipsa simul rerum fecunda creatrix,
Et cupit esse suum quod videt artis opus[12].


Lorenzo Crasso en rapporte une autre avec celle-là.

  1. Aubert Miræus, de Scriptorib. Sæc. XVI, pag. 154.
  2. Bullart, Académie des Scienc., tom. II, pag. 110.
  3. Mercklinus, in Lindenio renovato, pag. 1047.
  4. C’est-à-dire, l’Histoire des Oiseaux.
  5. C’est-à-dire, l’Histoire des Arbres.
  6. In patrio Rononiæ Archigymnasio Simpl. Med, Professor ordinarius Musæi illustriss. Senatùs Bonon., et Horti publici Præfectus.
  7. Ex Lindenio renovato, pag. 1047.
  8. De la Dendrologie.
  9. Journal des Savans, du 12 de novembre 1668, pag. 425.
  10. La même.
  11. Voyez Spanhem. de Præst. Numism., Dissert. III, sub fin. pag. 252.
  12. Lorenzo Crasso, Elogii d’Huom. Letterati, tom. I, pag. 137, 138.

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