Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alcyonius


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ALCYONIUS (Pierre) a été un de ces doctes Italiens qui cultivèrent les belles-lettres dans le XVIe. siècle. Il acquit une intelligence fort raisonnable[* 1] du grec et du latin, et fit quelques pièces d’éloquence qui ont mérité l’approbation des connaisseurs. Il fut correcteur d’imprimerie pendant long-temps à Venise, chez Alde Manuce (A) ; et il doit par conséquent avoir part aux éloges que l’on donne aux éditions de ce savant imprimeur. Il a traduit en latin plusieurs Traités d’Aristote [a], et n’y a guère réussi. Sépulvéda écrivit contre ces versions, et y remarqua tant de fautes, qu’Alcyonius ne trouva point de meilleur remède à sa disgrâce que d’acheter autant d’exemplaires qu’il lui fut possible de l’écrit de Sépulvéda, pour les jeter dans le feu (B). Paul Jove l’accuse d’un second défaut, qui est plus honteux que le premier : C’est d’avoir été un impudent parasite (C), qui ne faisait point difficulté de manger deux ou trois fois hors de chez lui dans un même jour. Je ne sais s’il en faut croire tout-à-fait Paul Jove ; car il se brouilla avec Alcyonius[b] dès qu’il eut ouï dire qu’il avait en lui un rival dans la commission d’écrire l’histoire (D). Le Traité qu’Alcyonius fit imprimer touchant l’Exil contenait tant de beaux endroits parmi d’autres assez chétifs, qu’on crut qu’il avait cousu à ses pensées plusieurs morceaux d’un Traité de Cicéron de Gloriâ, et qu’ensuite, pour empêcher qu’on ne le convainquît de ce vol, il jeta au feu ce manuscrit de Cicéron (E), l’unique qui fût au monde[c]. Les deux Harangues qu’il fit après la prise de Rome, où il représenta fort éloquemment l’injustice de Charles-Quint et la barbarie de ses soldats, dissipèrent un peu les mauvais soupçons qu’on avait formés contre lui[d]. Ce sont deux fort bonnes pièces. On parle d’une Harangue qu’il fit sur les chevaliers qui étaient morts au siége de Rhodes[e]. Il était professeur à Florence, sous le pontificat d’Hadrien VI, et avait outre sa pension dix ducats par mois du cardinal de Médicis, pour traduire un ouvrage de Galien[f]. Lorsqu’il eut su que ce cardinal avait été créé pape, il demanda son congé aux Florentins, et ne l’ayant pas obtenu, il ne laissa pas d’aller à Rome plein d’espérance de s’y avancer[g]. Il perdit tout son bien pendant les troubles que les Colonnes excitèrent dans Rome ; et quelque temps après, lorsque les troupes de l’empereur prirent la ville, l’an 1527, il reçut une blessure en se sauvant au château Saint-Ange. Il ne laissa pas d’y entrer, malgré les soldats qui le poursuivaient, et d’y joindre Clément VII. Il se rendit coupable d’une noire ingratitude envers ce pape ; car, dès que le siége fut levé, il s’alla rendre au cardinal Pompée Colonne, chez qui il mourut de maladie, au bout de quelques mois[h]. Sa vanité l’empêcha de devenir plus habile (F), et sa médisance lui attira beaucoup d’ennemis (G). Le Supplément de Moréri ne vaut rien sur cet article (H) : ce n’est qu’une copie fidèle des fautes énormes de M. Varillas. Au reste, il y a de savans hommes qui ont fort loué Alcyonius et ses traductions (I).

On trouve quelque chose qui le concerne dans les Lettres de Longolius, et qui n’est pas honorable (K).

  1. * J. Leclerc, dans sa Bibl. choisie, trouve étrange cette expression d’intelligence fort raisonnable du latin, quand il s’agit d’un homme que peu de Cicéroniens ont égalé.
  1. Voyez-en la liste dans La Bibliothéque de Gesner.
  2. Voyez les Épîtres des Princes, fol. 92, verso.
  3. Jovius, Elogior. cap. CXXIII.
  4. Jovius, ibid.
  5. Lettres des Princes, folio 93.
  6. C’est celui de Partibus Animalium.
  7. Lettres des Princes, folio 95.
  8. Pierius Valerianus, de Litterat. infelicitat., pag. 63.

(A) Il fut correcteur d’imprimerie pendant long-temps à Venise, chez Alde Manuce. ] Paul Jove n’en dit pas tant. Cùm diù in chalcographorum officinis, dit-il[1], corrigendis erroribus menstruâ mercede operam navâsset, multâ observatione ad præcellentem scribendi facultatem pervenit. C’est de M. Varillas que je tire ce qui concerne Alde Manuce ; et j’avoue que je le fais en tremblant, vu le grand nombre de fautes que cet écrivain a commises touchant les beaux-esprits dont il a parlé dans ses Anecdotes de Florence. Le public lui est redevable, dit-il[2], de l’exactitude dont usait Alde Manuce dans l’impression des meilleurs auteurs grecs et latins que nous admirons aujourd’hui ; car il a été toute sa vie correcteur de cette fameuse imprimerie. Cette dernière particularité est fausse ; car Alcyonius était professeur à Florence, sous le pontificat d’Hadrien VI.

(B) Il acheta ce qu’il put d’exemplaires de l’écrit de Sépulvéda, contre ses versions d’Aristote, pour les jeter dans le feu. ] Paul Jove remarque cela : Quùm aliqua ex Aristotele perperàm insolenterque vertisset, in eum Sepulveda vir Hispanus, egregiè de litteris meritus, edito volumine peracuta jacula contorsit…., tanto quidem eruditorum applausu, ut Alcyonius ignominiæ dolore miserè consternatus, Hispani hostis libros in tabernis, ut concremaret, gravi pretio coëmere cogeretur [3]. Voyez, les Épîtres des Princes recueillies par Ruscelli, et traduites par Belleforêt, folio 93. Voyez aussi la XXVIIe. et la dernière lettre du IIIe. livre de Longolius. Si benè te novi, ipse tu denunciabis ; c’est-à-dire, que l’ouvrage de Sépulvéda était imprimé, ut hominis ad tantæ contumeliæ nuncium, vultum videus : quod unun sanè spectaculum tibi magnoperè invideo. Nunquàm enim is ex oculis laboravit, qui tùm ejus frontem spectârit[4].

(C) On l’accusa.…. d’avoir été un impudent parasite. ] Rapportons les termes de Paul Jove : Cùm nullâ ex parte ingenuis, sed planè plebeis et sordidis moribus fœdaretur, erat enim impudens gulæ mancipium, ità ut eodem sæpè die bis et ter alienâ tamen quadrâ cœnitaret ; nec in eâ fœditate malus omninò medicus, quòd domi demùm in lecti limine per vomitum ipso crapulæ onere levaretur[5]. M. Varillas ne parle que de l’ivrognerie d’Alcyonius ; il ne l’accuse que de s’être enivré toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion. Latomus, dont Paul Jove rapporte les vers, fait mention des deux excès de ce personnage, de celui de boire et de celui de manger.

(D) Paul Jove le crut son rival dans la commission d’écrire l’histoire. ] Celui qui nous apprend cela ajoute qu’il n’était point vrai qu’Alcyonius dût composer une histoire, et qu’on ne l’avait dit à Paul Jove qu’afin de les brouiller ensemble[6]. Le cardinal de Médicis se divertissait à ces querelles des savans : il se faisait un plaisir des inquiétudes où il jetait Alcyonius en protégeant Sépulvéda[7]. Notez qu’Alcyonius loua magnifiquement la première Décade de l’Histoire de Paul Jove, dans la IIe. partie de son Traité de Exilio.

(E) On l’accusa de s’être approprié plusieurs morceaux d’un traité de Cicéron, de Gloriâ, et ensuite de l’avoir jeté au feu. ] Paul Jove n’est pas le seul[* 1] qui raconte cette supercherie funeste. Paul Manuce, dans son Commentaire sur ces paroles de Cicéron : Librum tibi celeriter mittam de Gloriâ[8], en parle ainsi : Libros duos significat, quos de Gloriâ scripsit : qui usque ad patrum nostrorum ætatem pervenerunt. Nam Bernardus Justinianus, in indice librorum suorum nominat Ciceronem de Gloriâ. Is liber posteà cùm universam Bibliothecam Bernardus monacharum monasterio legâsset, magnâ conquisitus curâ, neutiquàm est inventus. Nemini dubium fuit quin Petrus Alcyonius, cui monachæ medico suo ejus tractandæ Bibliothecæ potestatem fecerant, homo improbus furto averterit. Et sanè in ejus Opusculo de Exsilio aspersa nonnulla deprehenduntur, quæ non olere Alcyonium auctorem ; sed aliquantò præstantiorem artificem videantur. Nous apprenons de ce passage qu’Alcyonius était médecin de profession. Voyez la remarque (I). Or, puisqu’il l’a été d’un couvent de religieuses, il ne saurait être vrai, ce me semble, qu’il ait passé toute sa vie dans l’imprimerie de Manuce. C’est une nouvelle preuve de l’erreur de Varillas.

J’ai deux choses à remarquer contre cet historien. La première est que, dans le Fragment de son Louis XI, il imputait à Philelphe le plagiat et la destruction du Traité de Gloriâ, et citait les petits Éloges de Paul Jove. On l’avertit[9] que cela n’y était point. Il a profité sans doute de cet avis en publiant son Louis XI ; car, après avoir observé, touchant Philelphe, les mêmes choses que dans le Fragment, il ajoute : Il n’est pourtant pas certain qu’il ait été coupable de ce crime, qui passe pour un des plus grands qui se commettent en matière de littérature ; et il y a des auteurs qui l’imputent à un savant du même temps, nomme Alcyonius, et soutiennent qu’il s’appropria ce livre de Cicéron après en avoir changé le titre, qui était de la Gloire, en celui de l’Exil[10]. Il applique à ce dernier fait la citation de Paul Jove. S’il avait entièrement supprimé ce qui regarde Philelphe, il se serait mieux tiré de tout embarras ; car où trouverait-il que l’on ait accusé Philelphe de cette supercherie ? D’ailleurs, on n’accuse pas Alcyonius d’avoir publié le livre de Cicéron, et d’y avoir seulement changé le titre : on lui pardonnerait aisément sa vanité s’il n’était coupable que de cela ; la joie d’avoir l’ouvrage de Cicéron ferait oublier la fraude : mais on l’accuse d’en avoir tiré une riche broderie pour la mettre sur ses lambeaux, et puis d’avoir brûlé tout l’ouvrage de Cicéron : Ex libro de Gloriâ Ciceronis, quem nefariâ malignitate aboleverat multorum judicio confectum crederetur. In eo enim tanquam vario centone præclara excellentis purpuræ fila, languentibus cæteris coloribus, intertexta notabantur[11].

Ma seconde remarque est que, quand M. Varillas fait mention de François Philelphe dans les Anecdotes de Florence [12], il ne lui attribue rien par rapport au livre de Gloriâ : c’est Alcyonius seul qu’il accuse de ce forfait. Il dit[13] que ce misérable plagiaire fut obligé de consoler le provéditeur Cornaro dans l’exil où il avait été condamné pour avoir été battu faisant la guerre aux Turcs, quoiqu’il n’y eut point de sa faute. Algionus [14] lui envoya le livre intitulé De fortiter tolerandâ Exilii fortunâ : et comme ce traité n’était composé que de sentences fort mal ajustées du livre de la Gloire de Cicéron, il ne laissa pas d’être beaucoup estimé, quoique les plus judicieux remarquassent bien qu’il n’y avait aucune liaison. Algionus, ravi du succès de son ouvrage, changea le dessein qu’il avait eu de faire imprimer la pièce de Cicéron. Et comme il savait bien que personne n’en avait de copie, il le jeta dans le feu, de peur qu’on ne trouvât un jour parmi ses papiers de quoi le convaincre de larcin. Si l’on compare ce narré avec celui qui se trouve dans la Vie de Louis XI, on y admirera qu’un même homme puisse rapporter un fait avec tant de variétés incompatibles. Comme je n’ai point ce Traité d’Alcyonius, je ne puis déterminer par moi-même si M. Varillas en a bien marqué le sujet et l’occasion. Je puis dire seulement que le titre qu’il lui donne n’est point conforme à celui que Gesner a marqué, Medices Legatus, sive de Exilio liber ; et qu’un passage de ce livre[15] m’a fait connaître que Jean de Médicis, qui a été le pape Léon X, y parle. Mais ce que je ne puis déterminer par moi-même, je puis l’affirmer sur la parole d’un de mes amis, dont l’exactitude et les lumières me sont très-connues[16]. Or, voici ce qu’il vient de me marquer : « Le Legatus Medices, seu de Exilio, de Petrus Alcyonius, bien loin d’être écrit pour servir de consolation au prétendu provéditeur Cornaro, est adressé par l’auteur ad Nicolaüm Schonbergium, Pontificem Campanum[17], et dans tout le livre il n’y a pas un mot qui puisse directement ni indirectement regarder Cornaro. Cet ouvrage, imprimé à Bâle en 1546, est divisé en deux livres, dont voici le titre de mot à mot : Petri Alcyonii Medices Legatus, seu de Exilio ad Nicolaüm Schonbergium, Pontificem Campanum. Il est écrit en dialogue, dont Jean de Médicis, qui a été depuis Léon X, Jules de Médicis, et Laurent de Médicis, sont les interlocuteurs. Voilà pourquoi on a mis Medices au titre ; et parce que l’auteur suppose que ces interlocuteurs s’entretinrent peu de temps après que le pape Jules II eut envoyé Jean de Médicis comme son légat à la tête de l’armée qui devait reprendre Bologne, on a joint le mot Legatus à celui de Medices. » Voici, à coup sûr, une lourde faute. Il s’en repentit néanmoins sur la fin de sa vie (savoir Alcyonius ) et, fit une espèce d’amende honorable à la tête des deux harangues qu’il avait composées à Venise, sur la désolation de Rome par les luthériens[18]. Il ne faut point douter que l’on n’ait voulu traduire là ces paroles de Paul Jove : Verùm non multò post confirmatæ suspicionis invidiam duabus splendidissimis Orationibus peregregiè mitigavit quùm in clade urbis vehementissimè invectus in Cæsarem, populi Romani injurias et Barbarorum immanitatem summâ perfecti oratoris eloquentiâ deplorâsset. Y a-t-il dans ce passage la moindre ombre de luthériens ? Y a-t-il quelque trace de repentir, quelque vestige d’amende honorable au sujet du livre de Gloriâ ? Paul Jove a-t-il quelque autre dessein que de faire voir que les harangues d’Alcyonius furent trouvées si bonnes, qu’on crut beaucoup moins qu’auparavant qu’il fût incapable d’avoir produit de sa tête ce que le livre de Exilio contenait de beau ? Il me paraît très-faux que ces harangues aient été composées à Venise.

Au reste, je m’étonne que Pierius Valerianus, qui a regretté la suppression d’un ouvrage, de laquelle il a taxé Alcyonius, n’ait rien dit du traité de Gloriâ. Ayant rapporté que Pierre Martellus n’avait pu achever quelques ouvrages à cause de ses maladies, il ajoute : Quatuor tamen libros exactissimæ interpretationis in Mathematicas disciplinas Braccius ejus filius ab interitu vendicârat, vel ipsius auctoris de se testimonio absolutos, atque ii Barbarorum [19] manus effugerant, Braccii ipsius diligentiâ in Arcem Æliam asportati. Sed enim in Petri Alcyonii manus cùm incidissent, ità suppressi sunt, ut nusquàm ampliùs apparuerint[20].

Depuis la première édition de ce Dictionnaire, M. Bourdelot, médecin du roi et de madame la duchesse de Bourgogne, m’a fait la faveur de m’envoyer son exemplaire du traité d’Alcyonius. C’est un petit in-4o, imprimé à Venise, l’an 1522, in ædibus Aldi et Andreæ Asulani Soceri. Il a pour titre : Petri Alcyonii Medices Legatus de Exsilio, et contient deux parties [21], qui sont dédiées l’une et l’autre ad Nicolaum Schonbergium, Pontificem Campanum. J’ai trouvé tout-à-fait juste l’instruction que M. de Laroque m’avait écrite touchant cet ouvrage. Il ne contient rien qui se rapporte à l’exil d’un provéditeur vénitien. Les trois interlocuteurs ne considèrent que leur propre état. Ils étaient tous de la maison de Médicis, et souffraient encore le malheur du bannissement. Jean de Médicis se console et les console : c’est lui qui est le principal personnage de la pièce, et qui débite les raisons et les exemples ; c’est à lui, en un mot, que l’auteur prête son érudition et son style assez élégant. Notez qu’on réimprima cet ouvrage d’Alcyonius à Genève, l’an 1624, in-8o., avec deux traités de Cardan[22].

(F) Sa vanité l’empêcha de devenir plus habile. ] C’est le sentiment de Pierius Valerianus : Non displicuisset mihi, dit-il[23], Alcyonius, si quantum stylo profecerat, amicorum consilium de rebus adhibere voluisset, qui nisi ipsimet sibi tantum arrogâsset, futurus omninò fuerat à primoribus multam enim Græcis, Latinisque litteris operam impenderat et disciplinis variis oblectatus erat.

(G) Sa médisance lui attira beaucoup d’ennemis. ] Écoutons encore le même témoin : Is eo primùm infelicitatis incommodo flagellatus est, quòd dùm de litteratis omnibus malè sentit, dicacissimâ omnes obtrectatione lacerabat, undè omnium tam doctorum quàm imperitorum in se odium concitârat. Voyez ci-dessous la remarque (K).

(H) Le supplément de Moréri ne vaut rien sur cet article ] 1°. On n’a pas pris garde que l’Algionus des Anecdotes de M. Varillas est une chimère des copistes. Il y avait sans doute Alcionius dans l’original de ces Anecdotes, et par conséquent il ne fallait pas distinguer de Pierre Alcyonius, que Moréri avait fort bien placé au XVIe. siècle, le prétendu Algionius. Cela me fait souvenir que Claude du Verdier, page 53 de sa Censura in omnes penè auctores, dit que Petrus Avionius a marqué beaucoup de fautes dans le livre d’Apulée de Mundo. L’errata corrige Avionius par Alcionius. Néanmoins on a cité Avionius dans la page 56 du Plagiariorum Syllabus, imprimé à Amsterdam, en 1694, avec les Amænitates Theologico-Philologicæ de M. Almeloveen. 2°. Il fallait considérer que, selon M. Varillas, ce prétendu Algionus, ayant déploré les ravages que l’armée de Charles-Quint fit à Rome sous Clément VII, devait être donné au XVIe. siècle : 3°. Ce qu’on a tiré des Anecdotes n’a été purgé d’aucune faute.

(I) De savans hommes ont fort loué Alcyonius et ses traductions. ] Je me contenterai de rapporter ce qui fut écrit à Érasme par Ambroise Léon de Nole, l’an 1518. Cet ami, qui était un fort habile médecin, lui apprit que le sénat de Venise avait fait publier, à son de trompe, que tous ceux qui aspireraient à la profession des lettres grecques, vacante par la mort de Marc Musurus, eussent à se présenter, et qu’on destinait deux mois à prendre leurs noms et à voir ce qu’ils étaient capables de faire sur les auteurs grecs : Statutum est tempus duorum mensium, quo competitores et nomina dent et legendo et aperiendo græcos autores ostendant qui viri sint et quantùm linguâ et ingenio polleant [24]. Ambroise Léon ajoute que plusieurs des disciples de Musurus se préparaient à disputer sa succession, et qu’Alcyonius, l’un des plus polis d’entre eux, s’était fait connaître par des traductions admirables. Il vaut mieux exprimer la chose selon l’original : Inter eorum elegantiores unus Petrus Alcyonius multa è græco in romanum sermonem elegantissimè vertit. Nam orationes plerasque Isocratis ac Demosthenis tantà Arpinitate expressit, ut Ciceronem ipsum nihilominùs legere videaris. Aristotelisque multa vertit tam candidè, ut Latium gloriabundum dicere possit : en Aristotelem nostrum habemus. Idem ipse juvenis, ut est litterarum optimarum utrarumque maximus alumnus, ità tui quoque amantissimus, ac studiorum tuorum laudator summus[25]. Érasme, répondant à cette lettre le 15 du mois d’octobre de l’année suivante, fit faire des complimens à Pierre Alcyonius, et avoua qu’il n’avait jamais ouï parler de lui. Il serait à souhaiter, dans ce partage de sentimens sur la qualité des traductions d’Alcyonius, que le savant M. Huet lui eût fait l’honneur de se souvenir de lui quand il composa les dialogues de Interpretatione.

Joignons aujourd’hui à Léon de Nole un autre témoin. Je trouve que Gabriel Naudé loue beaucoup les versions d’Alcyonius. C’est dans son traité de Fato et Vitæ Termino. Il dit que ce traducteur, ayant discuté trois objections que l’on peut faire contre ceux qui disent que le traité de Mundo est un ouvrage d’Aristote, se tourne ensuite de toutes parts pour n’être pas obligé de convenir que c’est un ouvrage supposé : Difficultates ejusmodi amoliri tentet ; atque ne supposititium hunc fœtum, quem unà cum legitimis aliis elegantissime de græco latinum fecerat, agnoscere cogeretur, vertit se in omnes partes, tandemque his verbis concludit : sed morositatem ejus generis quæstionum grammaticis relinquamus [26].

(K) On trouve quelque chose qui le concerne dans les lettres de Longolius, et qui n’est pas honorable. ] On a déjà vu[27] qu’au sentiment de Longueil, le visage d’Alcyonius, à la nouvelle de la publication de l’écrit de Sépulvéda, serait un objet divertissant. Voici quelque chose de pis. Alcyonius, ayant souhaité passionnément de porter une lettre de Longueil à Marc-Antoine Flamimius, partit sans la prendre ; sur quoi l’on fit cette réflexion : Nôsti hominis ingenium : ille enim et cœnæ quam et opiparam hìc dederamus, et laudum quibus à nobis ornatissimus discesserat, et litterarum quas summâ contentione ut festinanter scriberem pervicerat, oblitus profectus esse dicitur. Quod vos idcircò scire volui, ut meis serbis hâc de inhumanitate cum eo expostuletis [28]. On ajoute qu’il y avait là un coup de bonheur, parce qu’on avait coulé dans cette lettre certaines choses que l’on souhaitait qu’il ignorât autant que tout autre. N’est-ce pas insinuer qu’on le croyait fort capable d’ouvrir une lettre ? Quanquàm id ipsum de quo queror non omninò incommodè nobis cecidisse videri possit, ea enim iis litteris incautè commiseram, quæ illum in primis celatum esse cupiebam. Perfecerat scilicet pristinæ nostræ consuetudinis usus ut magis quibuscum agerem in mentem mihi veniret, quàm cui litteras daturus essem satis meminissem[29]. S’il est le personnage désigne dans une autre lettre de Longolius[30], comme un habile homme le conjecture[31], quel portrait faisait-on de lui ! quelle malhonnêteté, quelle rage de médire, ne lui attribuait-on pas ! quel mépris n’avait-on pas pour sa personne ! Ce qui pourrait faire douter que Longolius parle de lui en cet endroit-là, est que peu après il nomme Alcyonius, sans aucun signe de mauvaise disposition ; mais ce sujet de douter n’est pas une preuve convaincante, puisque d’ailleurs ce portrait-là est conforme à celui qu’un autre auteur du même siècle a donné d’Alcyonius. On venait de dire que Pierus Valerianus était un homme sincère, et tout aussitôt on remarque : Diversæ naturæ est Petrus Alcyonius Venetus, mordax et maledicus, nec pudens magis quàm prudens..… mitto de hoc nebulone plura qui bellum bonis omnibus indixit, flagris et fuste coërcendus[32]. Notez qu’on avoue qu’il avait fait de bons vers lyriques et iambiques, et qu’il se vantait d’avoir composé une tragédie excellente sur la mort de Jésus-Christ[33].

  1. * Outre les auteurs cités par Bayle, Joly en nomme cinq autres qui ont aussi accusé Alcyonius de s’être approprié le traité de Gloriâ.
  1. Paul. Jovius, Elogior. cap. CXXIII, pag. 265.
  2. Varillas, Anecdot. de Florence, pag. 168.
  3. Paul. Jovius, Elogior. cap. CXXIII, pag. 265.
  4. Longolius, Epist. ultim. libri III, fol. 256, verso.
  5. Paul. Jovius, Elogior. cap. CXXIII, pag. 265.
  6. Lettres des Princes, folio 93.
  7. La même.
  8. Cicero, Episto a ad Atticum XXVI libri XV.
  9. Dans les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1685, article I, vers la fin.
  10. Varillas, Hist. de Louis XI, liv. I, pag. 39, édition de Hollande.
  11. Jovius, Elogior. cap. CXXIII, p. 266.
  12. Page 169.
  13. Page 168.
  14. C’est ainsi qu’on a mis toujours dans l’édition des Anecdotes.
  15. Il est curieux : lisez-le dans les Opuscules de Colomiés, chap. XV.
  16. M. de Larroque.
  17. Il fut depuis cardinal : je parle de lui sous (Nicolas) Schomberg.
  18. Varillas, Anecdot. de Florence, p. 168.
  19. Il parle des soldats de Charles-Quint, qui pillèrent Rome, l’an 1527.
  20. Pier. Valerian. de Litterat. Infelicit., p. 76.
  21. À la 1re., on met au haut des pages Medices Legatus prior, et à la 2e., Medices Legatus posterior.
  22. Celui de Sapientiâ, et celui de Consolatione.
  23. Pier. Valerian. de Litterat. Infelicit, p. 63.
  24. Erasmi Epistol. XXVIII lib. X, pag. 530.
  25. Idem, pag. 531.
  26. Gabriel Naudæus, de Fato et Vitæ Termino, pag. 82.
  27. Dans la remarque (B).
  28. Cristoph. Longolius, Epistol, XXI. libri II, folio 203, verso.
  29. Idem, ibid. folio 204.
  30. C’est la XXe. du IIe. livre.
  31. M. de la Monnoie : c’est lui qui m’a indiqué ces passages de Longolius, ou Longueil.
  32. Lilius Gregorius Gyraldas, de Poet. sui temporis Dialogo I, pag. 542, edit. 1696.
  33. Idem, ibid.

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