Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aléandre 2


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ALÉANDRE (Jérôme), de la même famille que le précédent [a], et petit-fils maternel de Jérôme Amalthée, a été un des savans du XVIIe. siècle. Dès qu’il eut quitté le Frioul, son pays natal, pour aller à Rome, il trouva chez le cardinal Octave Bandini un emploi de secrétaire, qu’il remplit avec honneur pendant près de vingt ans. Il avait commencé de fort bonne heure à subir les hasards de l’impression ; car à peine avait-il reçu ses degrés de jurisconsulte, qu’il avait mis au jour un Commentaire sur les Institutes de Caïus. Il ne laissa point engourdir sa plume à Rome ; car s’étant agrégé des premiers à l’académie naissante des Humoristes, il avait toujours quelque composition à y faire voir ; et il fit même en langue italienne un Traité fort docte sur la devise de cette assemblée. La fécondité de son génie et de ses études se montra par divers écrits sur différentes matières. Il expliqua des antiques (A) : il écrivit sur la question des églises suburbicaires, et publia un ouvrage contre celui qu’un anonyme [b] avait composé là-dessus en faveur des protestans[* 1]. Un volume de ses vers sortit de dessous la presse, et fut suivi d’une apologie de l’Adonis du cavalier Marin, contre les rudes attaques du cavalier Stiliani. Urbain VIII lui témoigna avantageusement son estime ; car il travailla lui-même à le tirer du service du cardinal Bandini, pour l’attacher à celui des Barberins ; de sorte qu’Aléandre devint secrétaire du cardinal François Barberin, neveu de ce pape. Il fut du voyage de France, lorsque ce cardinal y alla avec le caractere de légat à latere. Il ne succomba point aux fatigues de ce long voyage : il les soutint courageusement ; il s’en tira fort bien, malgré la délicatesse de son tempérament et sa petite santé. Il n’eut pas la même force à l’égard de la bonne chère. Il était convenu avec quelques-uns de ses intimes amis qu’ils se régaleraient tour à tour de trois en trois jours : il ne pouvait s’empêcher, en présence de tant de bons mets, de manger plus qu’il ne fallait, eu égard à un estomac aussi débile que le sien ; c’est pourquoi il tomba malade et ne put guérir de sa maladie[c]. Le cardinal son maître lui fit faire de magnifiques funérailles à l’académie des Humoristes, et les académiciens ses confrères portèrent son corps au sépulcre[d]. Gaspar de Siméonibus y prononça l’oraison funèbre, le 31 de décembre 1631. Elle fut imprimée à Paris, l’an 1636. Aléandre avait une manière d’écrire si nette et si dégagée, que le compliment qu’un de ses amis lui en fit mérite une réflexion (B).

  1. * Joly remarque que cet anonyme n’était point Saumaise, mais Jacques Godefroy, dont l’ouvrage parut en 1617.
  1. On les distingue, en appelant l’autre Aleander Senior, et celui-ci Aleander Junior.
  2. C’était Saumaise.
  3. M. Baillet, Jugem. sur les Poët., num. 1420, et Witte, dans son Diarium Biograph., IIe. part., pag. 40, mettent sa mort à l’an 1631. Witte le nomme Alexander.
  4. Tiré de Nicius Erythræus, Pinacoth. I. Voyez aussi Altatius in Apibus Urbanis, pag. 123, 124, 125.

(A) Il expliqua des Antiques. ] C’étaient deux marbres, une table, et une statue. La table contenait la figure et les symboles du soleil ; la statue était entourée d’une ceinture toute pleine de gravures. Voici le titre de l’ouvrage d’Aléandre : Explicatio antiquæ tabulæ marmoreæ solis effigie symbolisque exsculptæ : Explicatio sigillorum zonæ veterem statuam marmoream cingentis. C’est un in-quarto imprimé à Rome, l’an 1616, et à Paris, l’an 1617[* 1]. Je ne doute point qu’il ne soit entré par-là dans le commerce du père Morin. Il paraît par le livre intitulé, Ecclesiæ Orientalis Antiquitates[1], qu’ils s’écrivaient quelquefois.

(B) Sa manière d’écrire lui attira un compliment… qui mérite une réflexion. ] Nicius Erythræus lui disait souvent : Lorsque je lis vos ouvrages, je me trouve un habile homme ; mais quand je lis ceux des autres écrivains, qui se piquent d’éloquence, je me trouve très-ignorant ; car je n’y entends rien. Qu’il y a peu d’auteurs latins aujourd’hui auxquels on puisse faire ce compliment ! Je ne parle point de ceux qui écrivent en style de chancellerie, ou de scolastique : je parle de ceux qui écrivent en orateurs, et qui travaillent leurs phrases. Ils ne sont propres la plupart du temps qu’à mortifier la présomption de leurs lecteurs, qui se trouvent à tout moment accrochés par quelque allusion, ou par quelque métaphore exprimée si confusément, qu’ils n’y voient goutte. Le mal est qu’on ne mortifie guère les lecteurs par ce moyen, vu que l’amour-propre les engage à rejeter la cause de ces ténèbres, non pas sur leur ignorance, mais sur le galimatias de l’auteur. Quoi qu’il en soit, je m’imagine qu’on sera bien aise de voir ici la jolie pensée de Nicius Erythræus en original : Scribendi ejusdem ratio tum in solutâ oratione tum in versibus adeò erat pura, adeò elegans, adeò perspicua, ut sæpè ex me audiret, tum demùm me mihimet doctum eruditumque videri, cùm sua legerem ; cùm autem in aliorum scripta, qui se eloquentes dici vellent, incurrerem, tum planè me indoctum omniumque rerum rudem agnoscere, eò quod verbum prorsùs in illis nullum intelligerem[2]. Cela devait lui être un motif puissant, pour ne laisser nulle obscurité dans ses éloges, et néanmoins on y en trouve. Quelques-uns ne voient pas qu’il ait exprimé clairement, si ce fut à Rome ou à Paris que la bonne chère fut fatale à Aléandre : ils croient que ce fut à Paris[3]. Pour moi, je ne doute point du contraire[* 2] : les conventions de se régaler tour à tour deux ou trois fois la semaine sentent mieux des gens qui sont en repos chez eux, que des voyageurs. Outre que le voyage, que le légat François Barberin fit en France l’an 1625, ne dura que peu de mois, et qu’Aléandre ne mourut qu’en 1631[* 3].

  1. * Joly explique que l’opuscule de J. Aléandre est réimprimé dans le tom. IV des œuvres du père Sirmond, colonne 597 à 600.
  2. * Baillet croyait que c’était de la trop bonne chère faite à Paris qu’Aléandre mourut à Rome. La Monnaie, dans une note sur le n°. 1420 des Jugemens des Savans, appuie l’opinion de Baillet contre celle de Bayle. C’est aussi l’avis de Leclerc et de Joly qui n’a pas manqué cette occasion de relever le philosophe de Rotterdam.
  3. * Le Crescim Beni met la mort de J. Aléandre au 11 mars 1629. Cette date, contestée par Nicéron, est confirmée, dit Joly, par Victorelli, à la fin de son éloge du cardinal Aléandre, imprimé dès 1630.
  1. Imprimé à Londres, l’an 1682, et à Francfort, l’an 1683, in-12
  2. Nicii Erythræi Pinacoth. I, pag. 46.
  3. Voyez les Jugemens des Savans sur les Poëtes, tom. IV, num. 1420, pag. 54.

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