Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aiguillon


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AIGUILLON, petite ville de Guienne, sur le confluent du Lot et de la Garonne, à quatre lieues au-dessous d’Agen (A), fut érigé en duché-pairie, pour le duc de Mayenne, l’an 1599. Les lettres en furent vérifiées au parlement l’année suivante[a] ; mais la postérité de ce duc ayant manqué, on renouvela l’érection sous le règne de Louis XIII, l’an 1638, par lettres qui furent vérifiées la même année[b]. Le cardinal de Richelieu fit faire cela en faveur de la dame de Combalet sa nièce, qui a été depuis si connue sous le nom de duchesse d’Aiguillon. Nous parlerons d’elle en son lieu [c]. Elle a laissé, par son testament, ce duché à Marie-Magdeleine-Thérèse de Vignerod, sa nièce, sœur du duc de Richelieu [d]. Rien n’est plus singulier dans l’histoire que la résistance faite par la ville d’Aiguillon (B), en 1346, au duc de Normandie, qui depuis fut le roi Jean. On a honte aujourd’hui de lire cela ; et nos guerriers ne sauraient assez admirer que l’art militaire fût alors si misérable en comparaison de ce qu’il est à présent. Si le duc de Normandie, fils aîné du roi de France, avait emporté Aiguillon après quatorze mois de siége, il se serait rendu digne d’un grand triomphe ; et aujourd’hui, une ville comme était alors celle-là ne ferait point d’honneur à un colonel qui l’emporterait d’emblée. Les Romains faisaient à peu près cette réflexion, lorsqu’ils comparaient les premières guerres de leur ville (C) avec les conquêtes qu’ils firent long-temps après. Mézerai s’embarrasse beaucoup à l’affaire dont je parle[e]. Aiguillon n’eut pas entièrement contre les Anglais le même avantage que contre le duc de Normandie ; car, lorsqu’ils l’assiégèrent en 1430, ils ne prirent point le château : ils prirent seulement la ville, et ils la pillèrent[f].

  1. Le 2 de mars.
  2. Le 19 de mai.
  3. Dans l’article de (Marie de) Vignerod. [Bayle n’a pas donné cet article.]
  4. Voyez l’État de la France, tom. II. pag. 88 et 89. Édit. de 1680.
  5. Voyez la remarque (B).
  6. Darnalt, Antiquités d’Agen, p. 100.

(A) Au-dessous d’Agen. ] Si j’avais voulu marquer au milieu de quelles villes celle d’Aiguillon est située, je n’aurais pas pris Agen et Nérac, comme a fait M. Moréri ; car ce sont trois lieux qui font un triangle : mais j’aurais pris Agen et Tonneins, l’une au-dessus, et l’autre au-dessous d’Aiguillon, sur la Garonne. La faute que je reprends ici est d’autant plus considérable, qu’il n’y a point de lecteur qui n’en conclût que Nérac est sur la même rivière.

(B) Rien n’est plus singulier... que la résistance d’Aiguillon. ] Papyre Masson dit que ce siége dura quatorze mois, Acilionem [1] urbem irritâ Joannis posteà regis Francorum, et tunc ducis Normanniæ, quatuordecim mensium obsidione memorabilem [2]. La nombreuse armée du duc de Normandie n’est pas moins à considérer que la durée du siége. Ce duc s’était rendu à Toulouse, au commencement de janvier, avec cent mille hommes portant armes. Toute cette effroyable multitude ne fit durant trois mois que prendre quelques bicoques en Agenois, puis la ville d’Angoulême, d’où elle se rabattit sur Tonneins, et de la vint assiéger Aiguillon,..... bien muni et bien fortifié pour ce temps-là[3]. Les manières de l’attaque sont une troisième circonstance à considérer. Dans tout ce siècle[4], on ne voit point de siége plus mémorable, soit pour les attaques, soit pour les défenses. On y donna trois assauts par jour, une semaine durant ; après, on en vint à l’artillerie, et aux machines par terre et par eau[5]. Voici une citation qui embrasse les deux passages de Mézerai. Je la tire de Catel. Froissard, au chapitre cent vingt-uniesme du premier volume, escrit, comme lors que le duc de Normandie avec cent mille François assiégea la ville d’Aiguillon tenue par les Anglois ; il envoya quérir à Tolose huit des plus grands engins qui estaient dans ladite ville ; et lorsqu’on voulust assaillir ceux d’Aiguillon, il fut arresté par les seigneurs français, que ceux de Tolose, Carcassonne, et Beaucaire, assailliroient du matin jusques à midi, et ceux de Rouergue, Cahors et Agenois, quand les autres seraient retirés, jusques à vespres[6]. Que Mézerai ne fasse durer qu’une semaine les trois assauts par jour, c’est une chose qui ne répond point à l’attente où il avait mis son lecteur ; car qu’est-ce qu’une semaine en quatorze mois ? Il ne faut point douter qu’il n’étrangle la juste idée qu’il devait donner de ces attaques. Il a fait d’ailleurs une faute de chronologie. Selon lui, le duc de Normandie arrive à Toulouse au mois de janvier 1346, il emploie trois mois à prendre quelques bicoques : ensuite, il prend Angoulême, et puis retourne vers la Garonne, prend Tonneins, assiége Aiguillon, et en lève le siége, à cause de la bataille de Creci. Cette bataille se donna le 26 d’août 1346. Non-seulement, il est impossible, selon cette narration de Mézerai, que le siége d’Aiguillon ait duré quatorze mois[* 1] ; mais aussi que, vu la coutume de ces temps-là, ce siége ait été fort long ; et c’est parler improprement que de dire que le duc de Normandie s’y étoit opiniâtré[7]. Il fallait mettre à l’an 1345 l’arrivée de ce prince à Toulouse.

(C) Lorsqu’ils comparaient les premières guerres de leur ville. ] Voyez Florus, et son style plein d’exclamations. Sora (quis credat ?) et Algidum terrori fuerunt : Satricum atque Corniculum provinciæ. De Verulis et Bovillis pudet, sed triumphavimus. Tibur nunc suburbanum et æstivæ Prœneslte deliciæ, nuncupatis in Capitolio votis petebantur. Idem tunc Fœsulæ, quod Carræ nuper ; idem nemus Aricinum, quod Hercynius saltus : Fregellæ, quod Gesoriacum : Tiberis, quod Euphrates. Coriolus quoque (proh pudor !) victus, adeò gloriæ fuit, ut captum oppidum Cajus Marcius Coriolanus quasi Numantiam aut Africam nomen induerit[8]. Mais quelque honte qu’il y eût pour les Français à n’avoir pu prendre Aiguillon avec tant de gens commandés par le fils aîné de leur roi, ce fut une grande gloire pour les Anglais d’avoir défendu si long-temps ce poste.

  1. * C’est Papyre Masson qui fait durer le siége quatorze mois. C’est donc sur lui que porte la critique de Leclerc, qui dit qu’il ne dura pas la moitié de ce temps, et celle de Joly qui, d’après Froissard et Mézerai, en réduit la durée à six mois, en observant que c’est encore un siége assez long pour le temps.
  1. Baudrand la nomme Aguillionum,
  2. Papyr. Masso, Descript. Flumin Galliæ.
  3. Mézerai, Abrégé Chron. à l’an 1346, tom. III, pag. 24, édit. de Holl., en 1673.
  4. C’était le XIVe.
  5. Là même.
  6. Catel, Mémoires pour l’Histoire du Languedoc, pag. 563.
  7. Mézerai, Abrégé chronol., tom. III, p. 24.
  8. Florus, cap. XI, lib. I.

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