Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Acamas


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ACAMAS, fils de Thésée[a], suivit les autres princes grecs au siège de Troie. Il fut député aux Troyens avec Diomède pour redemander Hélène. Cette ambassade fut inutile quant au dessein principal, mais elle valut à Acamas ce qu’on appelle bonne fortune en fait de galanterie. Laodice, fille de Priam, devint si amoureuse de lui, qu’ayant appelé en vain à son secours l’honneur et la honte, elle fut contrainte d’ouvrir son cœur à Philobie, femme de Persée, et de lui demander assistance pour un des plus pressans besoins où l’on se pût rencontrer[b]. Philobie, touchée de compassion, pria son mari de faire que Laodice pût contenter son envie. Persée eut pitié de cette pauvre demoiselle ; et d’ailleurs, ayant de la complaisance pour sa femme, il fit amitié avec Acamas, et en obtint une visite dans la ville[c] dont il était gouverneur. Laodice ne manqua pas de s’y rendre, accompagnée de quelques Troyennes. Il y eut un magnifique festin, après quoi Persée la plaça dans un même lit avec Acamas, auquel il dit que c’était une des concubines du roi. Laodice s’en retourna fort contente, et au bout de neuf mois elle accoucha d’un garçon qu’elle fit élever par Æthra, aieule paternelle d’Acamas (A). Cet enfant eut nom Munitus (B) : nous dirons dans les remarques ce qu’il devint[d]. Acamas fut un des braves qui s’enfermèrent dans le cheval de bois[e]. Il eut depuis, dans la Thrace, une aventure assez semblable à la première ; mais les suites en furent très-malheureuses. Phyllis, la fille du roi, devint amoureuse de lui : on passa bientôt aux propositions de mariage ; la belle lui fut promise, dotée de la couronne. Il demanda la permission d’aller faire un tour chez lui ; Phyllis s’y opposa avec toutes les prières dont elle put s’aviser ; et, ne pouvant obtenir de lui qu’un serment qu’il reviendrait, elle lui fit présent d’une boîte consacrée, disait-elle, à Rhéa, mère des dieux. Elle lui recommanda de ne l’ouvrir que lorsqu’il n’aurait plus d’espérance de revoir la Thrace. Acamas aborda dans l’île de Cypre (C), et résolut de s’y établir. Phyllis s’en pendit, après avoir vomi cent imprécations contre ce perfide. Il ouvrit la boîte, et se trouva saisi d’étranges visions ; il monta sur un cheval, et le poussa si mal à propos et d’une manière si étourdie, qu’ils furent tous deux renversés ; d’où il advint qu’Acamas s’enferra dans son épée. Tzetzès raconte cette histoire[f] ; mais il a confondu Acamas avec Démophoon[g] ; car c’est de ce dernier que tous les auteurs racontent ce qui concerne la malheureuse Phyllis. Voyez la lettre passionnée qu’Ovide feint qu’elle écrivit à Démophoon. Il paraît par cette lettre que leur mariage avait été consommé[h]. N’oublions point qu’une des tribus d’Athènes fut nommée Acamantide (D), du nom de notre Acamas[i], et cela par la désignation de l’oracle. Étienne de Byzance le fait fondateur d’une ville de la grande Phrygie (E), et lui fait avoir une guerre contre les Solymes. Je n’oserais décider si la mère d’Acamas était Phèdre ou Ariadne (F). Nous parlons dans la remarque (D) de quelques autres Acamas sur lesquels M. Moréri s’est comporté à son ordinaire.

  1. Pausanias, lib. I, pag. 5, et lib. X, pag. 325 et 343.
  2. Παρακαλείν τε αὑτήν όσον οὐκ ἤδη διοίχομένην, ἀρήγειν αὑτη. Illamque sic advocasse, ut quantum tandem posset jam jam pereunti auxilium ferret. Parthenii Erotic., cap. XVI.
  3. Elle se nommait Dardanus.
  4. Tiré d’Hegesippi lib. I de Rebus Milesiorum, cité par Parthenius, Eroticor., cap. XVI et de Tzetzes sur Lycophon.
  5. Tryphiodorus, de Exid. Trojæ. Vide etiam Pausaniam, lib. I, pag. 21.
  6. Tzetzes, in Lycophron.
  7. Qui était aussi_fils de Thésée.
  8. Turpiter hospitium lecto cumulasse jugali
    Pœnitet, e lateri conseruisse latus.
    Ovid. Epist. Phyll. II 57.

  9. Pausanias, lib. I, pag. 5, et lib. X. pag. 325 Voyez aussi Suidas et Stephanus Byzantinus.

(A) Le fit élever par Æthra, aïeule paternelle d’Acamas. ] Il faut savoir que Castor et Pollux, faisant une irruption dans l’Attique pour recouvrer Hélène leur sœur, prirent la ville d’Aphidnes. C’était là que cette belle avait été envoyée par son ravisseur. Æthra, mère de Thésée, y avait été envoyée en même temps. Ils la firent prisonnière, et l’emmenèrent à Lacédémone. Elle s’y trouva lorsque Pâris enleva Hélène, et on l’y embarqua pour Troie. Démophoon et Acamas suivirent les autres Grecs, principalement afin de délivrer cette bonne femme, leur aïeule, ou en payant sa rançon, ou par la prise de la ville[1]. Ils la rencontrèrent dans les rues durant le saccagement de Troie ; et ayant appris qui elle était, ce ne furent qu’embrassemens réciproques[2]. Ce fut alors qu’Æthra fit reconnaître Munitus par son père Acamas[3]. Elle l’avait élevé ; car Laodice lui avait fait confidence de ce qui s’était passé dans la maison de Persée. Jean Cornarius a fait une assez grosse bévue dans sa traduction de Parthénius : il a rendu ces paroles : ὃν ὑπ᾽ Αἴθρᾳ τραϕέντα μετὰ, Τροίας ἅλωσιν διεκόμισεν ἐπ᾽ ὀίκου, par celles-ci, quem sub dio enutritum post Troiœ captivitatem transportavit in domum. Il fallait dire élevé par Æthra, et non pas nourri à la belle étoile. Nous allons citer Plutarque, qui rapporte que quelques-uns traitaient tout ceci de fabuleux.

(B) Eut nom Munitus. ] Il suivit son père en Thrace, et y mourut d’une morsure de serpent[4]? Il est nommé Munychus, Μούνυχος, dans Plutarque, à la vie de Thésée ; mais, puisque Parthénius, Lycophron et Tzetzès le nomment constamment Munitus, Μούνιτος, il faut croire que le texte de Plutarque a été altéré en cet endroit-là, ou que l’auteur ne se souvenait pas bien de la vraie prononciation de ce mot. Ne nous arrive-t-il pas tous les jours, quand nous citons de mémoire quelque auteur, d’y brouiller quelque syllabe, et quelquefois même plus d’une ? Je parlerai plus amplement de cela dans l’article Éphore. Je ne sais s’il ne faut pas imputer à un défaut de mémoire ce que dit Plutarque, que ce fut Démophoon qui coucha avec Laodice. Peut-être l’avait-il lu dans quelques auteurs que nous ne connaissons point ; peut-être aussi que Tzetzès avait lu dans quelqu’un de ces écrivains perdus que les aventures de Phyllis regardaient Acamas. Quoi qu’il en soit, il semble que l’on ait usé de compensation et de dédommagement envers ces deux frères. Si Plutarque ôte d’un côté à Acamas les bons momens passés avec Laodice, et s’il les transporte à Démophoon, d’autre côté Tzetzès ôte à celui-ci les nuits agréablement passées auprès de Phyllis, et les transporte à Acamas. Parlons plus sérieusement. Si Meursius eût bien pesé les passages où le fils de Laodice est appelé Munitus, il ne se fût pas servi des paroles de Plutarque pour prouver que le port de Munychia n’avait point tiré son nom de Munychus, fils de Pantacles, comme on le dit ordinairement, mais de Munychus, fils de Démophoon et de Laodice[5]. Voici les termes de Plutarque : Οἱ δὲ καὶ τοῦτο τὸ ἐπος διαϐάλλουσι, καὶ τὴν περὶ Μουνύχου μυθολογίαν, ὃν ἐκ Δημοϕοῦντος Λαοδίκης κρύϕα τεκούσης ἐν Ἰλίῳ συνεκθρέψαι τὴν Αἴθραν λέγουσι [6]. Alii hunc versum rejiciunt (c’est celui où Homère dit qu’Hélène mena Æthra avec elle a Troie), et Munychi fabulam quem ex Demophoonte à Laodice clàm editum Ilii crevisse sub Æthrâ memorant.

(C) Acamas aborda dans l’île de Cypre. ] Il y avait dans cette île une montagne nommée Acamas, qui avait tiré son nom du fils de Thésée. Hésychius l’atteste, et remarque que la rivière Bocarus qui passait par Salamine, avait sa source dans cette montagne. Les géographes parlent du promontoire Acamas, fort notable dans la même île[7]. Il y en a même qui observent que toute l’île s’appelait autrefois Acamantis[8] ; mais personne, que je sache, entre les anciens, n’a dit que le promontoire Acamas emprunta son nom d’une ville qu’Acchame, Athénien, ami des Troyens, qui s’en était fui, bâtit sur ce promontoire, et à laquelle il donna son nom. Cette ville, et l’amitié de l’Athénien Acamas pour les Troyens, sont aussi chimériques l’une que l’autre. Je voudrais bien savoir où frère Étienne de Lusignan, lecteur en théologie aux frères prêcheurs de Paris, au seizième siècle, avait trouvé cette rare érudition[9].

(D) Une des tribus d’Athènes fut nommée Acamantide. ] M. Moréri appelle cette tribu acamante ; mais je ne vois point d’auteur français qui ne dise la tribu acamantide. Pour n’en faire pas à deux fois, marquons ici une autre erreur de cet écrivain[10]. Il dit qu’Homère, au IIe. livre de l’Iliade, fait mention d’un Acamas, prince thrace, qui vint au secours de Priam, et d’un Acamas, fils d’Antenor, que sa pudeur admirable fit mettre au nombre des dieux. Il est vrai qu’Homère, au livre cité, parle de ce prince thrace, et qu’il dit ailleurs qu’Ajax le tua[11]. Il est vrai encore qu’il parle d’Archilochus et d’Acamas fils d’Anténor, et qu’il les fait bien experts dans toutes sortes de combats, μάχης εὖ εἰδότε πάσης ; mais pour la déification du chaste Acamas, il n’en parle nullement. Il s’en faut peu que M. Moréri n’en soit le créateur ; car il le serait, rigoureusement parlant, si Charles Étienne ne lui avait fourni ce fonds à bâtir : Fuit et alius ejusdem nominis filius Antenoris, qui tempore belli trojani cœlebs erat, et diis similis habebatur. Comme cet auteur ne cite personne pour ce fait-là, je n’ai pu faire des recherches sur ce célibat ; et si j’osais donner carrière à la conjecture, je dirais que cœlebs a été mis pour celebris par les imprimeurs, dans quelque livre que Charles Étienne copia, sans que néanmoins je veuille nier qu’Homère n’ait observé quelquefois que tels et tels furent tués avant que d’être maris[12]. Mais posons le cas que ce Troyen fût garçon, et qu’on lui ait donné l’éloge de semblable aux dieux, en faudrait-il conclure que sa pureté fut si admirable qu’elle lui fit obtenir les honneurs divins ? Si tous ceux à qui Homère distribue l’épithète ϑεοείκελος, avaient été déifiés, que seraient devenues les épaules du pauvre Atlas[13] ?

(E) Étienne de Byzance le fait fondateur d’une ville de la grande Phrygie. ] Il la nomme Acamantium. Les géographes n’en disent quoi que ce soit. L’abréviateur de cet écrivain, ou les copistes, ont estropié de telle sorte ce passage, qu’on n’y saurait trouver le sens, si l’on n’y supplée quelque chose. Mais suppléez-y ce qu’il vous plaira, vous n’en serez pas mieux instruit de la guerre d’Acamas et des Solymes.

(F) Était Phèdre on Ariadne. ] Je vois deux savans hommes appointés contraires sur cette question. Méziriac affirme qu’Acamas était fils de Phèdre [14] ; mais toute la preuve qu’il semble en donner est que Démophoon, frère d’Acamas, était fils de Phèdre : ce qu’il prouve par la lettre que Sabinus a écrite à Phyllis sous le nom de Démophoon. M. de Valois prétend qu’Ariadne était la mère d’Acamas [15] ; et il cite pour cela le scoliaste d’Homère[16] : il ajoute que Démophoon était frère d’Acamas, selon ce scoliaste, et qu’Euripide le confirme [17]. Ni l’un ni l’autre de ces messieurs n’a remarqué qu’il est inutile dans cette question qu’Acamas et Démophoon aient été frères ; car ils pouvaient l’être, encore que l’un fût fils d’Ariadne et l’autre de Phèdre.

  1. Scholiast. Euripid. in Hercul. Pausan., lib. X, pag. 342.
  2. Quintus Calaber, lib. XIII, vs. 496. Pausanias, lib. X, pag. 342
  3. Tzetzès sur Lycophron, cité par Méziriac, sur les Epîtres l’Ovide, pag. 143.
  4. Parthenii Eroticor., cap. XVI.
  5. Meursius, lib. I, cap. XIV Lect. Atticar. cité par Méziriac, qui reprend cette faute dans ses Comment, sur les Epîtres d’Ovide, pag. 144.
  6. Plut. in Theseo, sub fin. pag. 16.
  7. Sirabo, lib. XIV ; Ptolem., lib. V, cap. XIV. Plin., lib. V ; cap. XXXI.
  8. Philonides apud Plin, lib. V, cap. XXXI. Stephanus, verbo Κύπρος.
  9. Hist. de Cypre, fol. 4 et 29.
  10. On supprime ici les autres fautes qui avaient été marquées dans la première édition. [ * Bayle, dans sa première édition, reprochait encore à Moréri, 1°. d’avoir donné douze tribus à Athènes. Bayle n’en donnait que dix. Les éditeurs de Moréri sont depuis venus à cet avis de Bayle ; tandis que Bayle lui-même s’est aussi corrigé et n’a plus indiqué le nombre précis des tribus qui tantôt a été de dix, tantôt de douze ; quand on veut donc parler de leur nombre, il faut faire attention à l’époque dont il s’agit ; 2°. de citer le livre 1er de Strabon touchant Acamas, promontoire de l’île de Cypre, tandis que c’était le 14e, qu’il fallait citer ; 3°. de nommer Acamante le fils de Thésée ; 4°. de dire que Suidas fait mention d’Acamantides, philosophe d’Héliopolis, que Suidas nomme Acamantius. Ces fautes ont été corrigées dans l’édition de Moréri de 1753, et même dans quelques autres antérieures. Le Moréri de 1759 ne parle plus du promontoire de Cypre.]
  11. Homer. Iliad., lib VI, vs. 7.
  12. Homer., Iliad., lib. IV, vs. 474.
  13. Voyez Juvénal, dans sa XIIIe. satire verset 47, où il dit :

    ............contentaque sidera paucis
    Numinibus miserum urgebant Atlanta minori
    Pondere.

  14. Méziriac, sur les Epître d’Ovide, pag. 137.
  15. Henr. Valesius in Harpocrat., pag. 4 et 5.
  16. In Ὀδυσσ. Ο.
  17. In Ione.

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