Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abumuslimus


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ABUMUSLIMUS[a], général d’armée sous les premiers califes de la race d’Abbasi. La province de Chorasan se donna à cet Abbasi l’an 125 de l’Hégire[b]. Il l’accepta et mourut la même année. Ibrahim, son fils et son successeur, envoya dans ce pays Abumuslimus, qui n’avait que dix-neuf ans. Cette grande jeunesse ne l’empêcha pas de chasser Nasrus, qui commandait dans la province au nom du calife Merwan. Après la mort d’Ibrahim, arrivée l’an 131 de l’hégire, Saffahus son frère fut élevé à la dignité de calife. Il laissa le gouvernement de la province de Chorasan à Abumuslimus, et se servit de lui pour faire tuer son conseiller Abumuslimas, qui lui était devenu suspect. Il mourut l’an 136, et eut pour successeur Almansor son frère, qui, après avoir reçu d’Abumuslimus de très-importans services, le fit mourir traitreusement. Abdalla s’était soulevé dans la Syrie : Abumuslimus, envoyé contre lui à la tête d’une belle armée, le défit entièrement. Almansor, plus sensible à la calomnie qu’il prétendait qu’Abumuslimus avait dite contre lui qu’à l’importance de sa victoire, le manda afin de le faire tuer. Abumuslimus, plein d’une juste défiance, refusa d’aller trouver son maître ; mais s’étant laisser leurrer par les caresses qu’on lui fit faire, il se rendit auprès d’Almansor, qui le jeta dans le Tigre. Cela se fit en l’année 137 de l’hégire, qui répond à notre année 754. On conte qu’Abumuslimus avait été cause de la mort de six cent mille personnes. Il passait pour se connaître un peu en magie, et il était d’une secte dont celle du malheureux Spinoza n’est pas dans le fond fort différente (A). Erpénius n’a point entendu les paroles d’Elmacin sur ce sujet-là (B). Ce que je viens de dire[c] et les deux remarques que l’on va voir sont des choses dont je ne me rends point garant : je les rapporte sur la foi d’autrui. Il n’y a de moi là-dedans que le parallèle du spinozisme, et je ne suis pas trop persuadé que celui qui critique Erpénius entende mieux que lui l’endroit en question.

  1. M. d’Herbelot, qui en a fait un long article, le nomme Abou-Moslem.
  2. C’est notre année 742.
  3. Tiré d’Elmacini Histor. Sarracen., lib. II, cap. I, et seq.

(A) D’une secte dont celle de Spinoza n’est pas fort différente. ] La secte dont Abumuslimus faisait profession enseignait une sorte de métempsycose qui n’était guère semblable à celle de Pythagoras[1]. Celle-ci ne détruisait point les âmes ; elle ne faisait que les envoyer d’un corps à un autre corps : mais l’autre métempsycose est ainsi décrite par le fameux voyageur Pietro della Valle, dans l’endroit où il fait mention de certains hérétiques mahométans qui s’appellent Ehl Eltahkik, hommes de vérité, gens de certitude. « Ils croient, dit-il[2], qu’il n’y a point d’autre dieu que les quatre élémens... ; qu’il n’y a point d’âme raisonnable ni d’autre vie après celle-ci ; mais que tout homme n’est qu’un mélange des quatre élémens dont l’homme est composé pendant sa vie, conjoints ensemble et animés par cette étroite union qui les tient liés les uns aux autres, et qui, en mourant, se résout et se dissipe dans les quatre élémens simples, et par conséquent s’en retourne à Dieu, duquel il a été créé ; et ainsi de toutes les autres choses qui sont sur la terre et dans le ciel : en un mot, qu’il n’y a pour tout que les quatre élémens, qui sont Dieu, qui sont l’homme, et qui sont toutes choses ; et que, par conséquent, les quatre élémens sont éternels, et le monde, avec toutes ses vicissitudes et changemens, éternel. » Quelque différence qu’il y ait entre ce dogme et le système de Spinoza, le fond est toujours le même : on tient de côté et d’autre que l’univers n’est qu’une seule substance, et que tout ce qu’on appelle générations et corruptions, mort et vie, n’est qu’une certaine combinaison ou dissolution de modes. Elmacin appelle métempsycose de résolution celle qu’Abumuslimus croyait.

(B) Erpénius n’a point entendu les paroles d’Elmacin sur ce sujet-là. ] Il lui fait dire qu’Abumuslimus suivit la secte de la succession descendante, profitebatur sectam successionis descendentis [3]. Il fallait dire qu’il suivait la secte qui enseignait la métempsycose de résolution, profitebatur sectam eorum qui credunt metempsycosim resolutionis. C’est ainsi que le sieur Bespier a censuré et corrige la traduction d’Erpénius en cet endroit-là.[4].

  1. Bespier, Remarques sur l’état présent de l’Empire Ottoman, par Ricaut, pag. 665.
  2. Pietro della Valle, tom. III, pag. 392, cité par Bespier, là même.
  3. Elmac. Histor. Sarrac., lib. II, cap. III, pag. 100.
  4. Bespier, Remarq. sur l’état présent de l’Empire Ottoman, par Ricaut, pag. 665.

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