Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abulfeda


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ABULFEDA (Ismael), prince de Hamah, ville de Syrie, succéda à son frère l’an 743 de l’hégire (A), qui répond à l’an 1342 de Jésus-Christ, et mourut trois ans après, à l’âge d’environ soixante-douze ans[a]. Il aimait l’étude, et en particulier celle de la géographie, comme on le peut connaître par l’ouvrage qui a pour titre : Chorasmiæ et Mawaralnahræ, hoc est, regionum extra fluvium Oxum descriptio ex tabulis Abulfedæ Ismaelis, principis Hamah[b]. Il fut imprimé à Londres l’an 1650. L’auteur y cite quantité d’auteurs arabes. Il le composa long-temps avant que de monter sur le trône ; car on a marqué à la fin du livre qu’il fut achevé l’an 721 de l’hégire, qui était le 1321 de Jésus-Christ. Le docte Jean Gravius est celui à qui l’on est redevable de l’édition de Londres dont j’ai parlé. Il joignit à l’original, qui est en arabe, une traduction latine et une préface où il nous apprend qu’il a consulté cinq différens manuscrits : le premier est celui qu’Erpénius avait copié sur l’exemplaire de la bibliothéque palatine ; le second est cet exemplaire même, qui est aujourd’hui à la bibliothéque du Vatican ; deux autres appartenaient à Pocock ; le cinquième avait été acheté à Constantinople. On apprend de plus dans cette préface que Ramusius est le premier qui ait loué cet ouvrage d’Abulfeda et qui en ait indiqué l’usage ; qu’ensuite Castaldus s’en servit à corriger les longitudes et les latitudes de divers lieux ; qu’Ortélius en parle souvent dans son Trésor Géographique, non pas comme l’ayant vu, mais sur la foi de Castaldus ; qu’Érpénius, fâché que personne ne l’eût encore donné au public, résolut de le publier, et qu’il l’aurait fait, si la mort ne l’eût emporté au beau milieu de sa course ; que Schickard fut le premier qui en tira plusieurs remarques d’une profonde érudition, et inconnues jusqu’alors, qu’il a insérées dans son Tarich Persicum ; mais, comme l’exemplaire de la bibliothéque impériale, qui lui fut prêté par Tengnagélius, n’était pas lisible en divers endroits, il laissa le principal de la peine et de la gloire à Jean Gravius[c]. Il est surprenant que M. Moréri ait pu entasser autant de fautes dans un seul article (B) qu’il en a entassé dans l’article d’Abulfeda. Spizélius ne savait pas en 1668, ni Konig en 1678, qu’Abulfeda eût été en Angleterre[d].

  1. Pocock., dans ses notes sur le Specimen Hist. Arab., pag. 363, dit qu’il naquit l’an 652 de l’hégire.
  2. Le titre arabe signifie Canon, ou plutôt Rectificatio Terrarum, à ce que dit Gravius. C’est pourquoi Konig n’a pas eu tort de dire qu’Abulfeda a fait un ouvrage de géographie intitulé Directorium Regionum.
  3. Inférez de là que Fabricius, dans son Specimen Linguæ Arab. pag. 99 a tort de dire dans Konig que Schickard a traduit en latin l’ouvrage d’Abulfeda. Spizelius, dans son Specim. Bibl., cite le même Fabrice, comme ayant dit que Schickard a traduit tout cet ouvrage.
  4. Spizelii Specim. Biblioth. univers.

(A) L’an 743 de l’hégire.] C’est ce que témoigne l’auteur arabe du livre intitulé al Sacerdan[1]. Ainsi le jésuite Blancanus s’est abusé lorsqu’il a mis Abulfeda au quatrième siècle du christianisme[2]. Cette erreur devait le garantir de l’autre méprise où il est tombé en donnant à ce géographe le titre de prince de Syrie, d’Assyrie et de Perse. Un peu d’attention aurait pu lui faire comprendre qu’un auteur arabe et mahométan ne pouvait pas être roi de Perse quatre cents ans après Jésus-Christ. Vossius, ayant rapporté le sentiment de Blancanus, s’est contenté de dire qu’il croyait qu’Abulfeda n’était pas à beaucoup près si ancien ; mais au reste il lui donne les qualités de prince de Syrie, d’Assyrie et de Perse[3] : Simler les lui donne aussi. Il s’approche assez du vrai quant à la chronologie, puisqu’il dit qu’il y avait trois cents ans qu’Abulfeda florissait[4]. Au lieu de cela, M. Moréri lui impute d’avoir cru, avec Blancanus, que ce prince de Syrie vivait dans le IIIe. ou le IVe. siècle : Mais il est sûr, ajoute M. Moréri, qu’il a vécu beaucoup plus tard, et peut-être dans le VIIIe. ou dans le IXe., ou même l’an 1200. Il ne fallait pas s’exprimer par un peut-être : il fallait assurer qu’il vivait dans le XIVe. siècle, puisque son ouvrage fut achevé l’an 721 de l’hégire, comme on le déclare sur la fin. Il s’est glissé une faute d’impression dans le Moréri de Hollande en cet endroit. On fait dire à Jean Gravius que notre Abulfeda vivait au commencement du XIIIe. siècle, cependant il a mis la mort de ce prince à l’an 1345[* 1]. Ce qui me fait de la peine, est de voir que le docte Édouard Pocock assure qu’Abulfeda prit possession du gouvernement de la province de Hamah l’an 700 de l’hégire[5]. On ne peut accorder cela avec ce que Jean Gravius a établi. Or, il est plus raisonnable de s’en rapporter à ce dernier qu’à l’autre, parce qu’Abulfeda est la principale matière de Gravius, au lieu que Pocock n’en parle que comme d’un fort petit accessoire. Mais n’est-il pas bien fâcheux que des gens de la force de Pucock en fait d’érudition orientale ne soient point un guide bien sûr, et que, dans le même temps qu’ils publient une chose, un de leurs collègues en fasse voir la fausseté ?

(B) M. Moréri ait pu entasser autant de fautes dans un seul article. ] On vient d’en voir quelques-unes, et voici le reste : 1°. en disant que quelques-uns croient qu’Abulfeda était de Nubie, il le confond manifestement avec l’auteur de la Geographia Nubiensis, dont nous parlerons en son lieu[* 2]. Pour le moins il fait connaître qu’il ignore que ces deux auteurs doivent être distingués ; car, s’il l’avait su, il n’aurait point rapporte l’opinion de ces gens-là sans y apposer sa censure. 2°. Il confirme cette première observation quand il ajoute qu’Abulfeda a traité sa Géographie par climats. Cela convient mieux à celui qui nous a donné la Geographia Nubiensis qu’à Abulfeda. On n’a vu de ce dernier que la description de quelques parties de l’Asie situées au delà de l’Oxus, lesquelles il met sous les climats 25 et 26. La Géographie de Nubie est tout autrement disposée. On n’y connaît que sept climats : on s’en tient à cette division des anciens ; c’est à elle qu’on rapporte la description qu’on y donne de toutes les parties du monde connu. Je remarquerai en passant qu’Abulfeda commence le premier climat à l’Arabie, et non pas, comme la Geographia Nubiensis, à la côte la plus occidentale de l’Océan Atlantique ; et qu’il prend pour le premier méridien celui qui passe sur le cap de Saint-Vincent. 3°. On n’a vu, dit M. Moreri, jusqu’à présent que les premiers climats d’Abulfeda ; on nous fait espérer les autres cette année. Voilà un grand mensonge ; ce qu’on a publié d’Abulfeda se rapporte, non pas aux premiers climats, mais au 25 et au 26. 4°. Un auteur ne devrait jamais se servir du terme vague de cette année ; car au bout de dix ans son lecteur ne sait plus où il en est : il faut recourir à la date de la première impression ; on ne la trouve qu’en quelques livres : et dans ceux où on la trouve, elle n’est pas toujours un bon garant, puisqu’il se passe quelquefois bien des années entre la composition et la publication d’un livre. Nous avons ici un exemple de l’embarras où l’on jette les lecteurs par des termes de cette année. Où est l’homme qui, lisant Moréri, puisse deviner en quel temps on promettait les autres climats d’Abulfeda ? Cette année-là est bien longue ; elle a régné jusqu’à la sixième édition inclusivement. 5°. Guillaume Postel est le premier qui a apporté en Europe cet ouvrage, dont il publia un abrégé en Latin. Voilà deux nouvelles fautes de Moréri. De tous les auteurs qu’il cite, n’y a que Simler qui ait relation à cela. Or, Simler ne dit autre chose, sinon que Postel, ayant apporté ce livre de l’Orient, laissa à Venise l’abrégé qu’il en traduisit, au sieur Ramusius [6], qui avait dessein de publier un second tome du Nouveau-Monde. Il y a bien de la différence entre apporter un livre de l’Orient ; et être le premier qui l’apporte de l’Orient, entre publier un livre, et en laisser le manuscrit à un homme qui s’en peut servir. Il est sûr que Ramusius n’a pas publié ce que Postel lui laissa ; et s’il est vrai que l’Abulfeda, qui était en arabe dans la bibliothéque palatine, comme le remarque M. Moréri, ait été apporté en Europe par Postel, et que cet exemplaire soit le premier qu’on ait eu dans l’Occident, il ne laisse pas d’être vrai que M. Moréri fait dire aux gens plus qu’ils ne disent, et qu’on a raison de se plaindre de ses falsifications. Celles-ci méritaient particulièrement d’être relevées.

  1. * Gravius avait, comme on le voit dans Joly, pris un roi mameluck d’Égypte pour un gouverneur de la province de Hanah en Syrie, et a induit en erreur non-seulement Bayle, mais encore Prideaux, d’Herbelot et de la Roque.
  2. * Bayle n’a point dans son Dictionnaire d’article sous ce titre, ni qui y soit relatif ; il n’y en a même aucun dans ses Œuvres diverses. La Geographia Nubiensis a pour auteur un Africain nommé Edrisi. Son ouvrage, écrit en arabe, fut imprimé dans cette langue à Rome en 1592. Comme on ne connaissait pas encore le nom de l’auteur lors de l’impression de la traduction latine qui fut faite par Gabriel Sionite et J. Hesronite en 1619 à Paris on intitula le volume Geographia Nubiensis, en raison des détails qu’il contient sur l’Afrique.
  1. Apud Gravium, præfat.
  2. Il le nomme Abifeldea dans sa Chronol. Mathematic.
  3. Vossius de Mathematic. Discipl. pag. 250
  4. Il le nomme Abifeldeas et Abilfedæas. Voyez l’Epitome Biblioth. Gesneri.
  5. Pocock., Notæ in Specim. Histor. Arab., pag. 363.
  6. Simler le nomme Rhamnusius, et Spizélius lui donne le même nom.

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