Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abrabanel


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ABRABANEL[a] (Isaac), rabbin célèbre, naquit à Lisbonne (A), l’an 1437, d’une famille qui se disait descendre du roi David (B). Il se poussa beaucoup à la cour d’Alphonse V, roi de Portugal, et y fut honoré des plus grandes charges, ce qui dura jusqu’à la mort de ce prince ; mais il éprouva un étrange changement sous le nouveau roi. Abrabanel était âgé de quarante-cinq ans lorsque Jean II succéda à son père Alphonse. Tous ceux qui avaient gouverné les affaires sous le règne précédent furent chassés : et si nous ajoutions foi à notre rabbin, nous croirions qu’on machina sourdement leur mort, sous prétexte qu’ils avaient dessein de livrer au roi d’Espagne la couronne de Portugal. Il ne savait rien de cela lorsque, pour obéir à l’ordre qu’il avait reçu de se rendre auprès du roi, il s’en allait à Lisbonne en diligence ; mais, ayant appris en chemin ce que l’on brassait contre sa tête, il se sauva promptement dans les états du roi de Castille. Tous ses biens furent confisqués dès le retour des soldats qui avaient eu ordre de l’amener mort ou vif. Il perdit alors avec tous ses livres un commencement de Commentaire sur le Deutéronome, à quoi il eut beaucoup de regret. Quelques auteurs chrétiens (D) ne conviennent pas que la cause de cette disgrâce soit aussi peu fondée sur sa mauvaise conduite qu’il le dit. Ils font le même jugement de ses autres persécutions (E). Quoi qu’il en soit, s’étant établi dans la Castille, il se mit à enseigner et à composer. Il fit, en 1484, son Commentaire sur le livre de Josué, sur celui des Juges et sur ceux de Samuel ; puis il fut appelé à la cour de Ferdinand et d’Isabelle, et il y eut des emplois pendant huit ans, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’on chassât les Juifs des états du roi catholique, en 1492. Il fit tout ce qu’il put par ses prières et ses lamentations (F) pour détourner cette terrible tempête ; mais il n’obtint rien, et il fallut qu’il sortit, comme tous les autres, avec sa femme et ses enfans. Il se retira à Naples, et y composa, en 1405, son Commentaire sur les livres des Rois. Comme il était courtisan, il n’oublia pas de se faire bien valoir par la connaissance qu’il pouvait avoir acquise de la cour de Portugal et de celle d’Aragon ; de sorte qu’il s’insinua dans les bonnes grâces de Ferdinand, roi de Naples, et puis dans celles d’Alphonse. Il suivit la fortune de ce dernier lorsque Charles VIII, roi de France, le chassa de Naples ; car il fit avec lui le trajet de la Sicile (G). Après la mort d’Alphonse, il se retira à Corfou et y commença son Commentaire sur Ésaïe, l’an 1405. Il eut la consolation de recouvrer, par je ne sais quelle aventure, ce qu’il avait autrefois écrit sur le livre du Deutéronome. Il repassa en Italie l’année suivante, et s’alla confiner à Monopoli, dans la Pouille[b], où il écrivit plusieurs livres. Il acheva son Deutéronome, et il composa son Sevach Pesach [c], et son Nachalath Avoth [d], l’an 1496. L’année suivante il composa son Majene Hajeschua [e], et, en 1498, son Maschmia Jeshua[f], et son Commentaire sur Ésaïe. Quelque temps après, il fit un voyage à Venise pour y terminer les différens qui s’étaient émus entre les Vénitiens et les Portugais au sujet des épiceries, et il fit paraître tant de prudence et tant de capacité, qu’il s’acquit l’estime et la faveur des puissances. Il composa à Venise son Commentaire sur Jérémie, l’an 1504. Quelques uns veulent qu’il ait aussi composé alors le Commentaire sur Ézéchiel et sur les douze petits prophètes. Il fit en 1506 le Commentaire sur l’Exode, et il mourut à Venise l’an 1508 (H), à l’âge de soixante et onze ans. Il laissa trois fils : Juda, Joseph et Samuel (I). L’aîné a été médecin et grand poëte, et a composé plusieurs vers à la gloire de son père. On dit que Samuel embrassa le christianisme à Ferrare, et qu’il reçut le nom d’Alphonse, qui était celui du duc. Abrabanel a fait plusieurs autres livres (K) dont on ne saurait marquer la date, et dont quelques-uns n’ont pas encore été imprimés. Plusieurs nobles Vénitiens et les principaux des Juifs célébrèrent ses funérailles avec assez de pompe. Son corps fut enterré à Padoue dans un cimetière qui était hors de la ville. On enterra peu après au même lieu le rabbin Juda Menz, qui avait été recteur de l’académie. Le siége de l’an 1509 ruina de telle sorte les environs de la place, qu’on ne saurait plus discerner ce cimetière. Abrabanel avait de grands dons : il va de pair avec le fameux Maimonides, et il y a même des gens qui le mettent au-dessus de lui. Les Juifs prétendent qu’il a ruiné de fond en comble toutes les raisons et toutes les objections des chrétiens. Ceux-ci, méprisant avec raison tout ce qu’il a dit concertant nos controverses judaïques, font beaucoup de cas de ses autres interprétations. Ils le trouvent subtil, clair, savant, sincère. Il ne canonise point les opinions de ses maîtres, et il censure assez librement le plagiat et les autres fautes dont il les trouve coupables. Son grand défaut est d’avoir été trop sensible aux persécutions que les Juifs avaient souffertes, et auxquelles il avait eu sa bonne part. Le souvenir de cette infortune l’animait d’une telle fureur contre les chrétiens, qu’il les traite avec le dernier emportement. Il n’a presque point fait de livre où il n’ait marqué les traits de son désir de vengeance et de son indignation, et il ramenait à force de bras et de machines toutes sortes de matières à l’état misérable où sa nation était réduite. Il espérait de ranimer par ce moyen la synagogue mourante[g] ; et je crois aussi qu’il trouvait là un soulagement à l’oppression de sa bile, qui l’aurait étouffé peut-être, s’il ne s’en était déchargé sur le papier. Il ne serait pas le seul qui se serait bien trouvé de ce remède. On connaît des gens qui en ont eu grand besoin, quoiqu’ils n’ignorassent pas comme lui les préceptes de l’Évangile. Je ne trouve point son professorat de Padoue (L), ni son voyage d’Orient (M). Ce sont des faits où M. Moréri s’est lourdement abusé. Je n’en dis guère moins du voyage d’Allemagne (N).

Abrabanel était un homme infatigable dans le travail de l’étude : il y passait des nuits entières, et il pouvait jeûner fort long-temps. Il écrivait avec une grande facilité : la haine implacable qu’il témoignait contre les chrétiens en écrivant (O) ne l’empêchait pas de vivre avec eux d’une manière civile, enjouée, douce et flatteuse[h].

  1. On le nomme aussi Abrabaniel, Abarbanel, Abarbinel, Abravanel, Avravanel, Abarbenal.
  2. Notez qu’il y séjourna sept ans. Bartolocci, Bibl. rabbin. tom. III, pag. 875.
  3. C’est-à-dire, le Sacrifice de Pâques.
  4. C’est-à-dire, l’Héritage des pères.
  5. C’est-à-dire, les Fontaines du salut.
  6. C’est-à-dire, le Prédicateur du salut.
  7. Ex Actis Eruditorum Lipsiens, mens. novemb. 1686. pag. 528 et seqq.
  8. Bartolocci, Biblioth. Rabb., tom. II, pag. 875.

(A) Naquit à Lisbonne. ] Ses ancêtres étaient de Castille. E majoribus Castellam Hispaniæ, ex parentibus Olyssiponem Lusitaniæ agnovit patriam. C’est ainsi que parle le journal de Leipsick[1]. Don Nicolas Antonio veut que la famille d’Abrabanel ait eu son établissement à Séville pendant plusieurs siècles[2]. Il l’avait appris de Bartolocci, et il cite[2] le rabbin Salomon ben Virga, qui a dit à peu près la même chose dans son histoire des Juifs[3], traduite en latin par Gentius, et citée ci-dessous.

(B) Qui se disait descendue du roi David. ] Abrabanel a dit quelque part[4] qu’au temps de la destruction du premier temple, il passa deux familles de la race de David en Espagne, dont l’une s’établit à Lucène et l’autre à Séville, où elle laissa postérité. Il fait en un autre lieu[4] l’histoire de cette transmigration. Le rabbin Salomon ben Virga introduit un certain Thomas qui fait une longue déduction de la même histoire à Alphonse, roi d’Espagne, et lui débite que la famille des Abrabanel descendait des rois de Juda ; mais Alphonse n’en veut rien croire, et forme des difficultés insurmontables contre ces généalogies[5]. Les Juifs, pour se tirer d’embarras, supposent qu’Abrabanel perdit ses livres généalogiques dans le tumulte de ses déménagemens[6]. M. Huet rapporte [7] que Manassé ben Israël assure dans son Conciliator que ces deux familles issues de David se retirèrent en Espagne après la ruine du second temple. Ce rabbin avait un intérêt tout particulier à ce conte ridicule ; car sa femme était de la famille des Abrabanel[8]. Au reste, il n’est pas aisé de savoir qui est cet Alphonse qui s’entretient si longtemps avec ce Thomas dans le livre de Salomon ben Virga. Quelques-uns l’appellent roi de Portugal[9] ; et comme ils veulent que l’Abrabanel dont Thomas lui parle soit notre rabbin, on ne doit pas douter qu’ils ne le prennent pour le roi Alphonse V. Don Nicolas Antonio croit qu’il s’agit là d’un tout autre Abrabanel, et que cet Alphonse est le dernier roi de Castille qui ait porté ce nom-là[10]. Il pourrait avoir raison jusqu’ici, mais il a tort quand il met près de deux siècles entre ce roi et notre rabbin ; car ce dernier vint au monde l’an 1437, et ce roi mourut l’an 1350, à l’âge de trente-huit ans.

(C) Âgé de quarante-cinq ans. ] Nicolas Antonio a inséré à la fin de sa Bibliothéque d’Espagne ce que le P. Bartolocci lui avait dit touchant Isaac Abrabanel. Il a corrigé par-là quelques fautes qui étaient déjà imprimées dans l’article de ce rabbin ; mais il me semble qu’il n’a point parlé exactement lorsqu’il a dit : Juvenis adhuc, sed benè doctus, in Castellæ regnum transiit, cùm Joanni II, Portugalliæ regi, parùm esset gratus[11]. Il s’agit là d’un âge qui, pour l’ordinaire, n’ait pas pu donner le temps d’acquérir de l’érudition. C’est ce qu’on ne saurait dire de l’âge de quarante-cinq ans. Il est donc certain que l’auteur de la Biblothéque espagnole a cru que le rabbin était fort au-dessous de cet âge quand il s’enfuit en Castille : il s’est donc trompé.

(D) Quelques auteurs chrétiens, etc. ] Ils disent qu’Abrabanel méritait bien le traitement qu’il souffrit, et qu’il aurait été puni encore plus sévèrement lorsque sa malice eut été connue, si le naturel débonnaire du roi Jean ne l’eût porté à se contenter de le bannir. Ils ajoutent que les remords de la conscience firent prendre à ce rabbin la résolution de quitter le Portugal, et de se sauver de nuit en Castille, avec une promptitude extraordinaire[12].

(E) Ils font le même jugement de ses autres persécutions. ] Ils disent qu’il se fourra à la cour de Ferdinand et d’Isabelle par le moyen de la banque qu’il faisait dans le royaume de Castille ; qu’il amassa de grands trésors en se servant adroitement de tous les artifices de sa nation ; qu’il tyrannisait les pauvres ; que ses usures rongeaient tout ; qu’il eut la vanité d’aspirer aux titres les plus illustres, et les plus affectés aux maisons nobles d’Espagne, et qu’étant d’ailleurs ennemi juré de la religion chrétienne, il contribua plus qu’aucun autre à la tempête qui l’accabla avec toute sa nation[13].

(F) Par ses prières et ses lamentations. ] Il raconte lui-même dans l’un de ses livres[14] ce qu’il fit en cette rencontre. Salomon ben Virga le rapporte dans son histoire des Juifs[15], avec la description tragique des malheurs épouvantables qui accompagnèrent les trois cent mille Juifs qui furent contraints de sortir dans un même jour des états du roi catholique.

(G) Il fit avec lui le trajet de la Sicile. ] Nicolas Antonio, corrigeant, sur les conversations qu’il avait eues avec le P. Bartolocci, son article d’Abrabanel, dit que ce rabbin suivit en Sicile le roi Ferdinand, que les Français avaient renversé du trône, et qu’après la mort de ce prince il se retira à Corfou[16]. Voilà sans doute une faute ; on prend Ferdinand pour Alphonse : c’est avec Alphonse[17] qu’Abrabanel passa en Sicile, comme le P. Bartolocci le remarque[18], et non pas avec Ferdinand. Il demeura à Messine jusqu’à ce qu’Alphonse fût mort, au commencement de l’année 1495, et puis il s’en alla à Corfou [19]. C’est là que fut commencé le Commentaire sur Ésaïe, en 1495. S’il n’était passé en cette île qu’après la mort de Ferdinand, on peut tenir pour très-certain qu’il n’aurait pas pu y être en 1495. Aussi l’Appendix de Nicolas Antonio aurait eu besoin d’un autre Appendix qui le corrigeât.

(H) L’an 1508. ] Le P. Bartolocci marqua cette année à don Nicolas Antonio, qui avait déjà fait imprimer que notre rabbin était professeur en langue hébraïque à Padoue, environ l’an 1510. Nous avons ici une preuve de la négligence de M. Moréri. Il avait en main la Bibliothéque d’Espagne de cet auteur, et il ne prit point la peine de consulter les Appendix, qui en font une considérable partie, et qui éclaircissent et corrigent plusieurs endroits de l’ouvrage. Ainsi il nous a donné la faute concernant ce professorat de Padoue, sans savoir que l’auteur l’avait corrigée lui-même à la fin du livre, et s’en était excusé sur ce qu’il avait suivi Buxtorfe. Venetias indè profectus memoratur, ex quâ urbe in Germaniam aut in professionem Patavinam hebraïcæ linguæ, quod Buxtorfium et alios sequuti nos litteris in Bibliothecâ nostrâ mandavimus, potuit conferre se. Constat autem Venetiis eum septuaginta [20] annos natum superioris sæculi anno octavo diem suum obiisse. Quocum non benè convenit quòd circa annum decimum professorem, ut ibidem diximus, Patavinum egerit [21]. C’est ce que dit Nicolas Antonio. Il ne nie pas absolument cette profession de Padoue ; il se contente de dire qu’il n’en avait pas bien marqué le temps. Il ne fallait donc point que M. Moréri vous vînt dire qu’en 1510 Abrabanel enseignait la langue hébraïque à Padoue.

(I) Il laissa trois fils : Juda, Joseph et Samuel. ] Il semble d’abord qu’il en aurait laissé quatre, s’il était vrai, comme le rapporte Nicolas Antonio [22], que ce Léon, qui a fait des Dialogues de l’Amour, était son fils[* 1]. Mais il faut savoir que l’auteur de ces dialogues pourrait bien être le même que Juda, fils aîné d’Abrahanel. Ce Juda était nommé vulgairement Messer Leone[23]. Son livre de l’Amour est fort connu ; Denis Sauvage, et Pontus de Tiard, l’ont mis en français. On en cite ordinairement l’auteur sous le nom de Leo Hebræus. Il est nommé mestre Leon Abarbanel, medico hebreo, dans la traduction espagnole imprimée à Venise l’an 1568, in-4.

Juda Abrabanel quitta son père lorsque les Français conquirent le royaume de Naples, et se retira à Gênes pour y exercer la médecine[24]. Samuel Abrabanel vivait encore sous le pontificat de Jules III, comme il paraît par la requête qu’il présenta au cardinal Sirlet, protecteur des néophytes[25]. Il se retira de Naples l’an 1540, et emporta avec soi la valeur de deux cent mille écus[26]. Son père lui dédia le Commentaire in Pirke Avoth, qu’il composa l’an 1496[27].

(K) Abrabanel a fait plusieurs autres livres ] Voici ceux qu’on marque dans le journal de Leipsick[28] : des Commentaires sur la Genèse, sur le Lévitique, et sur les Nombres ; Rasch Amana[29] ; Sepher Jeschuoth Meschicho, qui est un ouvrage sur les traditions qui concernent le Messie ; Zedeck Olamim ; cela regarde les peines et les récompenses de l’autre vie ; Sepher Jemoth Olam ; c’est une histoire depuis Adam ; Maamar Machase Schaddai ; c’est un traité de la prophétie et de la vision d’Ezéchiel contre le rabbin Maimonides ; Sepher Atereth Sekenim ; Miphaloth Elohim [30] ; Sepher Schamaim Chadaschim ; Lahakah Nebhiim. Le sieur Théophile Spizélius remarque que Jean Buxtorfe le fils lui a montré un grand nombre de dissertations tirées des ouvrages d’Abrabanel, lesquelles il avait traduites en latin[31]. Elles ne peuvent qu’être semblables à celles du même rabbin, que le même Buxtorfe a traduites et publiées avec le livre Cosri. Il montra aussi d’autres traductions qu’il avait faites de quelques. livres de ce rabbin. Le Commentaire sur Haggée a été traduit en langue latine par Adam Scherzerus, et inséré dans le Trifolium orientale, publié à Leipsick, l’an 1663. On a publié dans la même ville, en 1686, in-folio, le Commentaire sur Josué, sur les Juges, et sur Samuel. Voyez ce que l’on a dit de cette édition dans le journal de Leipsick, d’où j’ai tiré cet article. En la même année 1686, on imprima à Leide le Commentaire sur Osée, avec la préface sur les douze petits prophètes ; le tout traduit en latin et accompagné de notes, par François ab Husen. M. de Veil, juif converti, publia à Londres, l’an 1683, la préface d’Abrabanel sur le Lévitique. Voyez le journal de Leipsick, au mois de janvier 1684. Nicolas Antomio vous donnera les titres de quelques autres ouvrages de ce rabbin, avec le temps, et le lieu de l’impression quelquefois, selon que la Bibliothéque rabbinique de Plantavit a pu le lui apprendre. M. Moréri ne devait pas dire qu’Abrabanel a écrit un Commentaire sur le Thalmud, mais seulement une pièce du Thalmud intitulée Pirke Avoth. Nicolas Antonio, son unique source, lui a pu si bien expliquer cela, qu’il ne devait point s’y tromper. Le père Simon, qui apprend beaucoup de choses curieuses touchant les livres d’Abrabanel, observe que le livre composé par ce rabbin, sous le titre de Nahalat Avoth, profession des pères, est un Commentaire sur de Traité Pirke Avoth, et que l’un et l’autre ont été imprimés à Venise, in-quarto, en 1585 ; qu’il y a une savante préface de cet auteur au commencement de son Livre Nahalat Avoth, où il explique la succession de la tradition parmi les Juifs, ce qui est une chose fort embarrassée[32].

(L) Je ne trouve point son professorat de Padoue. ] Voyez ci-dessus la remarque (H). Les savans hommes qui nous ont donné[33] un abrégé historique de la vie d’Abrabanel, et qui l’ont suivi presque d’année en année, depuis sa sortie d’Espagne jusqu’à sa mort, n’auraient pas laisse passer une circonstance si remarquable : ainsi, je conclus que, puisqu’ils n’en parlent pas, l’auteur n’en a point parlé. Or, il n’y a guère d’apparence qu’ayant dit beaucoup de choses qui ne lui pouvaient pas faire autant d’honneur qu’une profession à Padoue, il n’eût rien dit de cette charge, s’il en avait été actuellement revêtu. Et si d’autres que lui en avaient parlé avec quelque fondement, je crois que messieurs de Leipsick ne l’auraient pas ignoré, ni voulu passer sous silence. C’est donc un fait un peu apocryphe, pour ne rien dire de pis.

Joignez à cela que le père Bartolocci, qui a donné une suite exacte des aventures de ce rabbin, ne parle point de cet emploi.

(M)......ni son voyage d’Orient. ] Je le tiens pour faux, par la raison que je viens de rapporter, tirée du silence de ces messieurs ; mais, quand même ce voyage aurait été effectif, M. Moréri ne laisserait pas d’avancer une grande fausseté. Il suppose, en premier lieu, qu’Abrabanel enseignait la langue hébraïque à Padoue, en 1510 ; et, en second lieu, que l’envie de faire éclater sa haine contre les chrétiens l’obligea à passer en Orient pour y vivre avec ceux de sa secte, et que ce fut alors qu’il composa ce grand nombre d’ouvrages que nous avons de lui. Nous avons vu qu’il mourut l’an 1508 : c’est assez pour juger qu’on vient de nous dire des chimères.

(N)......Ce sont des faits Moréri s’est lourdement abusé. Je n’en dis guère moins du voyage d’Allemagne. ] Je n’osais le traiter de faux pendant que j’étais persuadé que don Nicolas Ântonio avait bien cité Buxtorfe : car, en supposant qu’il l’a bien cité, on doit croire qu’Abrabanel a parlé de son voyage d’Allemagne dans son Commentaire sur Pirke Avoth. Profugus ergo is in Germaniam venit, quod ipse ait in Commentariis ad librum Talmudicum Pirke Avoth…. Buxtorfio teste in tractatu de Abreviaturis Hebræorum, pag. 100[34]. Je me réduisais donc à dire, dans cette supposition, qu’il était du moins certain qu’Abrabanel n’alla pas en Allemagne dès qu’il fut exilé des terres du roi catholique, puisqu’en les quittant, il s’embarqua pour le royaume de Naples, et qu’il y arriva quelque temps après. Ainsi je ne laissais pas de trouver encore en faute M. Moréri. Abarbinel, dit-il, fut du nombre des exilés. Il se retira en Allemagne, et puis en Italie. Et j’avais lieu d’être d’autant plus surpris de cette faute, que je savais que don Nicolas Antonio l’avait corrigée après avoir été mieux instruit par le père Bartolocci. Mais, ayant consulté le livre qu’on a cité, j’ai vu que l’auteur ne dit nullement qu’Abrabanel dise qu’il a voyagé en Allemagne. Voici ce que dit Buxtorfe : Hic titulus (Morenu, id est, doctor noster) novus est, infra ducentos annos natus in Germaniâ, indè in Italiam traductus, quod valdè miratus fuit don Isaac Abarbinel ex Hispaniâ in has terras veniens, ut ipsemet scribit in Commentario Pirke Abhoth, cap. 6 [35]. Je ne saurais plus douter que don Nicolas Antonio n’ait mal entendu Buxtorfe ; et c’est une méprise dont il ne s’est pas retracté dans l’endroit où il nous apprend ce que le père Bartolocci lui avait dit concernant Abrabanel. Notez que ce père prouve démonstrativement la fausseté de ce voyage d’Allemagne, duquel, dit-il [36], quelques-uns parlent en citant Buxtorfe. Je ne doute point que cela n’arrête la course de cette fausse citation.

(O) Qu’il témoignait contre les chrétiens en écrivant. ] Ses Commentaires sur l’Écriture, et principalement ceux qu’il a faits sur les prophètes, sont si remplis de venin contre Jésus-Christ, contre l’Église, contre le pape, contre les cardinaux et tout le clergé, et contre tous les chrétiens en général, mais plus encore contre les catholiques romains, que le père Bartolocci aurait voulu que l’on n’en eût point permis la lecture aux Juifs[37]. Aussi remarque-t-il que celle des Commentaires sur les derniers prophètes leur a été interdite, et qu’ils n’osent pas les garder. In his etiam pluribus in locis canino dente christianam religionem mordet et lacerat, ideòque meritò illorum lectio et retentio Judæis interdicta est, nec ens apud se retinere audent, publicè saltem et palàm, propter metum christianorum[38].

  1. * Dans sa lettre à Lacroze, du 1er. mars 1704. Bayle dit : « Il n’y a plus lieu de douter que Léon l’Hébreu ne fût le fils d’Abrabanel ; et, puisqu’il a été chrétien, il faut dire qu’il se convertit. Un de ses frères, comme je l’ai rapporté dans le texte de l’article, fit la même chose ; mais il est surprenant que ni Bartolocci, ni Nicolas Antonio n’aient point parlé de la conversion de Léon l’Hébreu. »
  1. Acta Lipsiens. mens. nov. 1686, pag. 529.
  2. a et b N. Ant. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627, et tom. II, pag. 686.
  3. Ou Scheveth Jehuda.
  4. a et b Comment. in Zachar., cap. XI, fol. 293, et in II Reg., cap. XXV, fol. 305 ; apud Acta Lips. Nov. 1686, pag. 528.
  5. Le Scheveth Jehuda, f. 11 et seq. apud Acta Lips. Nov. 1686, pag. 528.
  6. Acta Lips. Nov 1686, pag. 529.
  7. Huetii Demonstr. Evangel. pag. 708. edit. Lips. An 1694, in-4.
  8. Idem, ibidem.
  9. Acta Lips. 1686, pag. 529.
  10. Nico Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627
  11. Idem, tom. II, pag. 686.
  12. Ex Actis Lipsiens. Nov. 1686, pag. 529. Voyez aussi le P. Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 874.
  13. Act Lips. Nov. 1686, pag. 530. Bartolocci Biblioth. Rabbinica, tom. III, pag. 874.
  14. Comment. in Libros Regum, init. apud Nicol. Anton Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627.
  15. Apud Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 627.
  16. Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. II, pag. 689.
  17. Il était le IIe. de ce nom. Il succéda à Ferdinand le Bâtard, et eut pour successeur Ferdinand II.
  18. Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 875.
  19. Idem, ibidem.
  20. Il fallait dire 71.
  21. Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. II, pag. 686.
  22. N. Anton. Bibl. Hispan., tom. I, pag. 630.
  23. Bartulocci, Bibl. Rabbin., tom. III, pag. 880.
  24. Bartolocci, Bibl. Rabbin., pag. 881.
  25. Idem, ibidem.
  26. Idem, ibidem, pag. 688, ex Reg. Davide Ganz.
  27. Idem, ibidem, pag. 881.
  28. Acta Lips. Nov. 1686, pag. 531.
  29. C’est-à-dire, Caput Fidei. Il a été traduit en latin par Guillaume Vorstius, et imprimé avec ses notes à Amsterdam, en 1638. Nicol. Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 629.
  30. C’est-à-dire. Ouvrages de Dieu. Il y traite doctement de la création du monde et examine d’où Moïse a pris tout ce qui est écrit dans le livre de la Genèse. Simon, Hist. crit. du Vieux Test., pag. 537.
  31. Spizelii Specimen. Bibl. Universal.
  32. Histoire critique du Vieux Testament, pag. 537.
  33. Dans les Acta Lipsiens. Nov. 1686, pag. 528, et seq.
  34. Nic. Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 628.
  35. Buxtorf. de Abbreviat, Hebræor., pag. 115. edit. secund.
  36. Bartoloc., Biblioth. Rabbin., tom. III, pag. 688.
  37. Bartolocci, Biblioth. Rabbin., tom. III, pag. 876, 879.
  38. Idem, ibidem, pag. 878.

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