Dictionnaire historique de Feller/Nlle éd., Pérennès, 1848/Sophocle

SOPHOCLE, célèbre poète grec, surnommé l’Abeille et la Sirène attique, naquit à Colonos ou Colone, bourg aux portes d’Athènes, l’an 495 avant J.-C., 2e année de la 71e olympiade. Il se distingua de bonne heure par ses talens pour la poésie et pour le gouvernement. Élevé à la dignité d’archonte, il commanda en cette qualité l’armée de la république, et signala son courage en diverses occasions. Il partagea avec Euripide les suffrages des Athéniens. Ces deux poètes étaient contemporains et rivaux, et leur rivalité a paru dégénérer en inimitié, quoiqu’un auteur moderne en ait jugé plus favorablement, du moins par rapport à Sophocle. « La rivalité de Sophocle, dit-il, était celle d’un homme de génie, d’un grand homme qui ne rougit point de trouver des égaux, et qui ne fait consister son orgueil que dans la gloire de les combattre et de les vaincre. » L’auteur de la Vie d’Euripide rend également justice aux sentimens généreux de Sophocle, « qui, apprenant la mort de son émule au moment même où il était prêt à monter sur le théâtre, et que le spectacle allait commencer, prit sur-le-champ un habit de deuil, et ordonna à ses acteurs d’ôter leurs couronnes ». Les pièces de Sophocle sont plus conformes aux règles de l’art dramatique que celles de son concurrent, quoiqu’il les viole aussi dans les points essentiels. L’ingratitude des enfans de Sophocle est fameuse. Ennuyés de le voir vivre, et impatiens de s’emparer de son héritage, ils le déférèrent aux magistrats comme incapable de pouvoir régir ses biens. Quelle défense oppose-t-il à ses enfans dénaturés ? Il montre aux juges son Œdipe, tragédie qu’il venait d’achever, et ses enfans perdent à l’instant leur procès et leur honneur. Dans le sein du paganisme, Sophocle avait des idées justes sur l’unité de Dieu. Athénagore et Eusèbe en rapportent les vers suivans, qui sont une réfutation énergique du polythéisme :

Impietas templis tollet et urbe Deum :
Unus profecto, unus eut tandem Deus,
Marisque fluctos, vimque terræ globum,
Plerique nostrum, mente sed capti, Deum
Simulacra nobis, cen mali solatium,
Cum saxea atque acerna consecravimus,
Sive aureas eburneasque imagines,
Saeris et istos colimus, bis festos dies
Agimus : pios hoc esse nos remur modo.

On dit qu’ayant remporté le prix aux jeux olympiques, malgré son grand âge, il en mourut de joie, l’an 405 avant J.-C. D’autres le font mourir en récitant des passages de son Antigone. Il avait été couronné vingt fois et avait composé un grand nombre de tragédies. L’auteur anonyme de sa vie lui en attribue cent treize, Suidas cent vingt-trois, et Samuel Petit soixante-six. Nous avons les titres et des fragmens d’environ cent deux, recueillis par Brunck dans sa belle édition. Il ne nous en reste que sept entières, Ajax, Électre, Œdipe, Antigone, Œdipe à Colonne, les Trachiniennes et Philoctète. Nous avons un grand nombre d’éditions des tragédies de Sophocle ; celle de Richard Brunck est une des plus estimées, Strasbourg, 1789, 4 vol. in-8o ou 2 vol. in-4o. Voyez, pour connaître les diverses éditions de Sophocle, celle que nous venons de citer. On peut aussi consulter l’histoire de la littérature grecque par M. Schœll. Dacier a donné en français Électre et Œdipe, avec des remarques, in-12, 1692. Le père Brumoy a traduit ou analysé les pièces de Sophocle dans son Théâtre des Grecs. Louis Dupuy, de l’académie des belles-lettres, en a traduit quatre, que le père Brumoy n’avait fait qu’analyser. Rochefort, de la même académie, et Laharpe, ont donné en vers français, le premier Électre et le second Philoctète. On fait assez de cas de la traduction française de Rochefort, 1788, 2 vol. La vie de Sophocle traitée par Lessing (en allemand) 1790, est un morceau de critique admirable ; malheureusement il est resté incomplet.