Dictionnaire historique Juigné/6e éd., 1661/Espitre


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A LA REYNE


MERE DV ROY


ADAME,


Ceux qui ont publié l’excellence de la vérité ont divinement dit, que Dieu estoit toute vérité, & que si son essence merveilleuse se pouvoit representer en un estat visible, il auroit pour corps la lumière, & la vérité pour ame ; Ainsi ne seroit autre chose en effet, qu’une verité splendissante & connuë. C’est de cette vive & primitive source que découlent ces belles veritez, qui arrousent le champ spacieux de toutes les sciences, tant divines qu’humaines. Mais d’autant quelles passent par tant de lieux, qu’il est impossible qu’elles n’en reçoivent diverses impressions, & qu’elles y arrivent en leur pureté ; mesmes que la malice & l’ignorance des hommes en rompent le cours, ceux qui en desirent traiter, mandient, d’ordinaire le secours de quelque authorité puissante & souveraine, non seulement pour couvrir les deffauts de leur propre infirmité, mais aussi pour preuenir & estouffer la peruersité & foiblesse estrangere. Or si jamais y eut Livre qui ait besoin d’estre éclairé de quelque eminente lumière de vérité, & soustenu d’une favorable assistance, c’est celuy qui s’ose maintenant faire voir à vostre Maiesté, tant pour la difficulté que pour la diversité de ses sujets. Cest pourquoy n’ayant assez de suffisance pour le conduire à perfection, ny de courageuse vertu pour surmonter l’ignorance & l’enuie ordinaire de ceux qui censurent les ouvrages d’autruy : I’ay creu avoir besoin des rayons d’un puissant Soleil, & pour me feruir de fanal en mes obscuritez, & pour dissiper les malignes humeurs qui troublent la veuë de la pluspart des hommes, & empeschent l’acoisition de sa lumière. Ainsi, MADAME, ay-je choisi le tres-puissant appuy de vostre grandeur, mais dont la gloire incomparable offusque mes sens & mes pensées ; si bien qu’à mesure qu’un ardent desir me porte à ce recours, une juste froideur m’en retire, craignant que ce premier abord ne m’esblouisse la veuc par les éclairs de sa presence, voire qu’il ne l’esteigne du tout, si je la tiens par trop fichée sur la pleine & brillante clarté. Et qui peut supporter la splendeur de tant & de si luisantes vertus ? Les faueurs & benedictions extraordinaires du Ciel qui vous accompagnent, attirent sur vous les yeux de tout le mondc avec rauiffement, vous ayant fait naistre pour la gloire de vostre fexe, & la honte du nostre. La pluspart des loüanges que l’on donne maintenant aux personnes, font, ou feintes, ou auancées, par efperance ou desir devant le temps de leur mérite : mais les vostres feruent de véritable & prefent patron à celles que l’on pourroit feindre en des personnes les plus parfaites : Car comme si vous estiez née pour les félicitez plus defirables de l’une & de l’autre vie, vostre condition vous fait pleinement posseder icy bas les biens qu on appelle de fortune ; & quant à ceux du corps & de l’efprit, tant naturels qu’acquis, ils vous feruent de gage, & vous rendent digne du dernier bien qui vous attend là haut. Car fans mettre en compte ce grand-heur d’estre née, iffuë & alliée des Maisons les plus illustres du monde, de Florence, d’Austriche, & de France ; Chacun void & admire les grâces dont la Nature vous a si libéralement doüée ; cette naïue douceur dont elle a tempéré votre Royale grauité & cette grande viuacité d’efprit jointe à la folidité du iugement dont elle vous a ornée ; Et par-dessus tout, cette rare pieté qui reluist en toutes vos actions parmy les plus puissans objects de la vanité. Mais toutes ces rares qualitez qui font au dessus des plus hautes louanges, font d’autant plus estimables, qu’elles n’ont leur fondement sur vne foible apparence & le faux iugement des hommes, mais sur la folide approbation que Dieu en a fait par fes plus fingulieres benedictions ; voire qui se descouurent iournellement en vous avec miracle, estant ainsi que le temps qui destruit la gloire des autres, fait paroistre avec plus d’éclat celle que vous auez fi iustement acquife. C’est cette celeste faueur qui vous a rendue pendant l’heureufe conduite de vostre Régence, autant redoutable aux Eftrangers, qu’agréable & falutaire à vos fujets : Car sous les ieunes ans de nostre Roy, vous auez fortifiée l’Eftat, & preuenu sa ruine (ce que vous faites encore par vos dignes Conseils) donnant à connoistre à tous que la foiblesse de vostre Sexe n’empesche point la grandeur

a ii j de voſtre courage & de voſtre prudence. Que ſi l’on doit rapporter à la cauſe, le bien, & l’heureux euenement des choſes, vous l’eſtes de preſque tout le bien qui se voit au monde, en ce que vous portez cet Impérieux titre de Mere, à l’honneur duquel le reſpect & l’humilité ont de tout temps eſté grauez dans l’ame des François. Car ayant eſté l’Eſpouſe d’vn des plus grands Roys de la terre, vous n’en auez rien voulu produire que des Roys & des Reynes, qui commandent à la France, l’Eſpagne, & l’Angleterre, qui font les plus ſignalez Royaumes de l’Europe, voire de la Chreſtienté : Si bien que l’on peut dire que voſtre famille fait la plus grande & honorable part de la Maiſon de Dieu, & que mettant la paix entre vos enfans, vous la faites naiſtre en toute l’Europe. Mais puis que l’honneur que vous auez mérité par tant de merveilleux effets, ſe partage entre une infinité de différentes vertus & heureux ſuccés ; Ioint que la renommée a deſia preuenu le deſir que l’on auroit de les faire connoiſtre : I’aime mieux les venerer & admirer avec le ſilence, que de les profaner par la temérité d’un langage ſoible & trop précipité. Excuſez toutesfois, MADAME, ſi i’oſe ietter mes yeux débiles ſur le Soleil de voſtre principale gloire, qui eſt voſtre debonnaireté, & ſi franchiſſant toute crainte, ie me ſerts d’icelle, afin d’offrir à voſtre grandeur ce bouquet tiſſu de toutes ſortes de fleurs, que i’ay recueillies dans le champ uniuerſel de ce monde. Ie n’euſſe pris cette hardieſſe de vous interrompre dans l’occupation des plus importantes affaires de cet Eſtat, à moins de vous preſenter la meilleure & la plus belle partie des choſes que les ſiecles paſſez ont produit, & qui se voyent encore en tout l’Vniuers. Et puis qu’en vous font comprifes comme un tableau racourcy, toutes les grâces & tout le bonheur dont Dieu peut combler une personne qu’il veut tres-dignement honorer : C’est bien raison que ce recueil qui contient comme en un abrégé, tous les faits héroïques & plus rares euenemens, vous foit dedié. Ie represente donc icy devant les yeux de vostre Maiesté, le portrait des auentures diverfes qui reluifent en la fortune des hommes, les vertus & les vices, la grandeur & la baffeffe, l’honneur & l’infamie, le bonheur & le malheur de la pluspart de ceux qui se font faits renômer auec plus d’esclat dans le monde, afin que vous foyez arbitre de leur vie, & de leurs actions. Et comme il n’appartient qu’aux âmes vrayement Royales, de déchiffrer les mysterieux fecrets de la vérité : Cest à vous d’y mettre la main, qui en poffedez une auec eminence, pouvant à plus juste titre donner le prix d’honneur à la vertu & à la perfection, puis que vous en auez le patron en vous mefmes. Mais, MADAME, si ie lose dire, vous pouvez adjouster à vos autres qualitez & perfectionsvl’une des plus excellentes, tres-digne de vostre foin & de vostre grandeur : C’est dembraffer & favorifer les estudes de la paix, entre lefquelles les lettres y tiennent le premier rang, côme celles qui poliffent les efprits, ciuilifent les mœurs, & conseruent la Religion & la Iustice. Leur dignité mérite bien d’estrc en vostre particulière protection ; & spécialement en faueur de ceux qui portent en titre les ornemens de la vertu de leurs Ancestres, lesquels & par la condition de leur naiffance & de leur bonne éducation, ont une cer- certaine inclination à l’inftruction, à l’honneur, & à la generosité, qui sont toutes parties conuenables à l’acquisîtion des Sciences. Lors que la terre estoit cultiuée par les mains victorieufes des plus grands Roys & vaillans Capitaines ; icelle toute glorieufe de fentir un Laboureur triomphant, ouvroit libéralement son fein fe rendant féconde & fertile en toute forte de fruits : Là où maintenant n’estant labourée que par des mains feruiles & : roturières, elle fe montre fterile & indigente pour faire paroistre son dédain au mépris que l’on fait de sa dignité. Quand à femblable les plus nobles Sciences qui font les vrayes femences de nos efprits, estoient chéries par les Empereurs & autres grands Princes de la terre, elles se voyoient en leur pleine & entière majestéj dont toutesfois depuis elles se font trouvées décheuës, lors qu’en les dédaignant ils en ont quitté l’affection & l’employ à des personncs abjectes & de baffe condition. La grandeur & nobleffe des sciences libérales requièrent vn courage ferme, libre & généreux ; Les efprits des Gentils-hommes estans remplis par tout de vigueur & de valeur, fi l’on leur commet ce noble exercice, poufferoient fans doute des eflans extraordinaires de connoiffancc & de vertu. Car comme l’on a veu nos anciens François animez d’vn courage inuinciblc, porter leurs armes glorieufes dans les Nations estrangercs & fort efloignées, y faifant des conqueftes qui furpaffent toute croyance : Ainfi verroit-on les efprits releuez de ceux qui ont fuccedé à leur generofité, auancer leurs conceptions au delà du commun dans la recherche non encore tentée des choses, & penetrer par leur viuacité les plus difficiles & abstrus secrets des sciences. C est là, MADAME, cette autre moisson de gloire qui se presente à vostre Majesté, estant la plus grande d’entre les Reynes Chrestiennes, tout ce qu’il y a de grand & singulier doit estre l’objet de vostre genereuse ambition : Ainsi vostre juste ialousie ne permettra qu’aucun luy rauisse cette palme des mains. Epoint d’vn pur desir & de l’attente que ces considerations porteront coup en la douceur de vostre bon iugement : I’ay voulu à l’abry de vostre grandeur, donner à la Noblesse Françoife un auant goust de cette facilité qui paroist en l’apprentissage des sciences que plusieurs estiment de rude & espineux accez. L’opinion que i’ay eu de faire choses qui leur soit vtile & à vous agréable, m’a rehaussé le courage par dessus mes forces ordinaires, esperant que cet œuvre reussira sous l’authorité de vostre nom tres-auguste, & que vous estant à gré, il fera bien receu du public. Que si pour marque de cette approbation vous m’honorez de vos commandemens, alors mon esprit se surmontant soy-mefme par l’inspiration de vostre faueur, s’ose promettre de produire à l’aduenir quelque plus grand fruit qui authorisera pleinement l’hommage d’vne parfaite obeïssance que vous desire rendre,

MADAME,


De Vostre Majesté,
Le tres-humble, tres-obeïssant,
& tres-fidele seruiteur & subject
D. de Ivigne'
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