Dictionnaire grammatical de la langue françoise/1re éd., 1761/Epitre

A MONSEIGNEUR LE COMTE
DU CHATELET-
LOMONT,

MENIN DE MONSEIGNEUR LE DAUPHIN,

Gentilhomme de la Chambre de S. M. le

Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar,

Se son Grand Chambelland en survivance,

Maréchal des Camps & Armées du Roi

très-Chrétien, & son Ambassadeur près

leurs Majestés Impériales & Royales.


MONSEIGNEUR,

IL semble qu'il doit y avoir du rapport entre le caractère d’un Ouvrage & celui du Mécène, sous les auspices duquel on le fait paroitre. Un Dictionnaire Grammatical paroit peu digne d’être offert à un Seigneur distingué & un illustre Militaire. Mais nous ne sommes plus dans ces siècles nébuleux , où la Noblesse s’honoroit de son ignorance ; & il est aujourd'hui des Seigneurs & des Guerriers aussi bons juges du stile & du langage, que les Académiciens & les Littérateurs de profession.

Ceux, qui ont l'honneur d’approcher Votre Excellence, savent, Monseigneur, que Vous faites estimer aux Esrangers une Langue, qui est celle de toute l’Europe, autant que Vous leur faites respecter le nom François par Votre valeur, & que Vous le leur faites aimer par Votre humanité & Votre générosité. Ils trouvent dans Vous le digne Fils de cette illustre Emilie, la gloire de son sexe & l’honneur de la Nation , qui a montré plus efficacement qu’aucune Dame savante, qu’il n’est rien de si élevé dans les Sciences humaines, où ne puisse atteindre cette moitié du genre humain, dont on a borné les prétentions a l’empire de la Beauté & des Grâces. Ses Ouvrages immortels réunissent tout ce que les Mathématiques & la Physique ont de plus profond avec ce que l’élocuîion a de plus pur & de plus délicat. Vous auriez marché sur ses traces, Monseigneur, & Vous Vous seriez fait un aussi grand nom dans la carrière des Sciences & des Lettres, si la Naissance, le génie & la valeur ne Vous avoient appellé aux exploits & aux triomphes des Héros : mais Vous n’êtes pas de ceux qui pensent , que les Héros doivent négliger la pureté & l’exactitude du langage, & qui renvoient aux Littérateurs ces minuties grammaticales. Vous pensez au contraire, qu’un illustre Guerrier, en s’attachant à bien faire, ne doit pas dédaigner de savoir bien parler & bien écrire. Ainsi Vous servez doublement l’Etat , & Vous contribuez de plus d'une manière à la gloire de la Nation.

En présentant à Votre Excellence cet Ouvrage dont je suis l’Editeur, j’aquitte, Monseigneur, les devoirs de ma reconnoissance , & je mets en œuvre une occasion, que je cherchais depuis long-tems de Vous assurer des sentimens qu’ont produit en moi Vos généreuses bontés, lorsque servant SA MAJESTÉ sous Vos ordres, j’éprouvai personnellement ce quont éprouvé tant d’autres, que l’éclat de la Naissance, la grandeur des talens, le lustre des honneurs, la gloire des exploits, & l'estime publique, bien loin de nuire à l'humanité & à l’affabilité , ne font que les augmenter dans Vous & rendre ces qualités précieuses plus chères & plus respectables.

J’ai donc bien de l’obligation à l’Auteur de ce Dictionnaire, de ce qu’il m’est permis de Vous l’offrir & de le faire paroitre sous Vos auspices : j’ai encore plus de reconnoissance pour la bonté que Vous avez eu d’en accepter l’hommage, puisqu’elle me procure l’avantage de Vous témoigner publiquement le tres-profond respect , l’éternelle gratitude & le dévouement inviolable, avec lesquels j’ai l’honneur d’être,


MONSEIGNEUR,


DE VOTRE EXCELLENCE,
Le très-humble & très-
obéissant Serviteur Giraud.