Dictionnaire des proverbes (Quitard)/vierges
vierges. — Amoureux des onze mille vierges.
On appelle ainsi celui qui devient amoureux de toutes les femmes qui s’offrent à sa vue. — Cette expression rappelle la légende des onze mille vierges. Voici ce que dit M. Salgues sur cette légende, qui passe aujourd’hui pour apocryphe : « Croyez-vous que sainte Ursule soit partie de Londres pour la Basse-Bretagne, avec onze mille vierges qui devaient épouser les onze mille soldats du capitaine Conan, son fiancé, et peupler le pays ? Croyez-vous qu’une tempête miraculeuse les ait jetées dans les bouches du Rhin, et qu’elles aient remonté le fleuve jusqu’à la ville de Cologne, alors occupée par les Huns, qui servaient l’empereur Gratien ? Croyez-vous que ces impertinents aient voulu leur faire la cour un peu trop brusquement, et qu’irrités d’être repoussés avec trop de fierté, ils les aient mises à mort pour leur apprendre à vivre ? Nos bons aïeux le croyaient certainement, puisqu’ils célébraient annuellement, le 22 octobre, la fête de ces chastes héroïnes. Mais comme il n’est rien dans le monde sans contradiction, des critiques sourcilleux et difficiles ont contesté la vérité de ces récits. Ils ont fait d’abord observer que le nombre de onze mille vierges était un peu fort, qu’on aurait eu de la peine à les trouver dans les meilleurs temps du christianisme, et que le martyrologe de Wandelbert, composé en 850, et l’un des plus estimés des connaisseurs, n’en a porté le nombre qu’à mille, ce qui est encore beaucoup. Ensuite, ils ont soutenu qu’il fallait pousser la réduction encore plus loin, et ils ont porté l’esprit de réforme jusqu’à effacer d’un trait de plume dix mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf vierges ; de sorte qu’ils n’en ont voulu accorder que onze, ce qui doit laisser beaucoup de places vacantes en paradis. Ils se sont autorisés d’une inscription qu’ils ont interprétée à leur manière : Sancta Ursula et XI. M. V. Ceux qui tiennent pour les onze mille vierges ont traduit : Sainte Ursule et onze mille vierges. Mais nos critiques assurent que cette interprétation est fautive et erronée, et veulent que l’on traduise : Sainte Ursule et onze martyres vierges. Pour appuyer leur prétention, ils citent un catalogue de reliques tiré du Spicilège du père D. Luc d’Acheri, dans lequel on lit : De reliquiis SS. undecim virginum ; des reliques des onze vierges.
Réduire ainsi onze mille vierges à onze, c’est déjà beaucoup. Cependant d’autres critiques, plus sévères encore, ont prétendu enchérir sur les premiers, et porter la soustraction bien plus loin ; car ils ne veulent absolument que deux vierges. Ils protestent qu’on a très mal lu les anciens martyrologes qui portaient : SS. Ursula et Undecimilla virg. mart., c’est-à-dire SS. Urtule et Ondecimille, vierges, martyres. Des copistes ignorants ont pris un nom de femme pour un nom de nombre, et se sont imaginé que Undecimilla était une abréviation de undecim millia.
Voilà ce que pense le savant père Simon. Je ne sais s’il se trompe. Il est au moins constant qu’on a peu de renseignements exacts sur l’histoire de sainte Ursule et de ses compagnes. Baronius avoue que les véritables actes de son martyre ont été perdus. »