Dictionnaire des proverbes (Quitard)/pendu

pendu. — Avoir de la corde de pendu.

C’est avoir un bonheur constant et inaltérable, particulièrement au jeu. — Pline le Naturaliste, nous apprend (liv. xxviii, ch. 4) qu’à Rome, le peuple croyait que la corde qui avait serré le cou d’un pendu possédait plusieurs vertus merveilleuses, entre autres celle d’apaiser une violente migraine, dès l’instant qu’on se l’appliquait sur les tempes. Chez nos bons aïeux, la crédulité était plus grande encore : on pensait que la fièvre quarte, la colique, la sciatique, le mal de dents et d’autres maux ne pouvaient manquer de céder à l’efficacité d’un tel spécifique. On se figurait surtout qu’il suffisait d’avoir dans la poche un petit bout de cette précieuse corde, pour se ménager toutes les chances favorables du jeu, et c’est là ce qui donna naissance à l’expression proverbiale. Les joueurs aujourd’hui ne sont pas moins superstitieux. Ils ne portent plus de la corde de pendu, parce qu’on a cessé de pendre ; mais ils ont foi à d’autres amulettes. Les paysans qui vont jouer aux foires et aux fêtes de village, ont soin de mettre dans leurs habits une plume de roitelet, persuadés que cette plume doit être un gage infaillible de bonheur ; et, s’ils perdent, malgré cela, n’allez pas vous imaginer que leur persuasion en soit affaiblie. Ils s’accusent tout simplement d’avoir exposé leur enjeu contre des gens qui s’étaient munis comme eux et mieux qu’eux de la plume gagnante. Ainsi, l’influence du roitelet n’est jamais en défaut. Eh ! comment pourrait-elle l’être ! Le roitelet, disent-ils, est l’oiseau du bon Dieu ; il assistait à la naissance de l’enfant Jésus ; il fesait son nid au bord de la crèche ; et c’est pour rappeler cette tradition qu’il paraît tous les ans à Noël.

L’influence que nos paysans attribuent au roitelet est attribuée, en Allemagne, à la chauve-souris, témoin cette expression proverbiale qui correspond à la nôtre : Ein Fledermaus Herz haben. Avoir un cœur de chauve-souris.

L’espoir du pendu, que la corde casse.

Autrefois on fesait grâce à un condamné, si la corde rompait pendant l’exécution, parce que l’on pensait que l’indulgence du ciel avait permis cet incident en faveur du repentir, et le peuple ne souffrait point qu’on dérogeât à cette coutume, dont nos vieilles chroniques rapportent plusieurs exemples. Mais comme elle devint très abusive, elle fut abrogée par tous les parlements, à l’exemple de celui de Bordeaux, dont un fameux arrêt, du 24 avril 1524, disait expressément que toutes les condamnations capitales, au supplice de la corde, contiendraient à l’avenir cette formule : Pendu, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Il ne faut point parler de corde dans la maison d’un pendu.

Il ne faut point parler de choses qui peuvent être reprochées à ceux devant qui on parle. — Ce proverbe était autrefois ainsi : Il ne faut point parler de corde devant un pendu, parce que, grâce à l’usage dont il est question dans l’article précédent, il y avait un assez grand nombre de pendus sauvés par la rupture de la corde. Le célèbre calligraphe Hamon de Blois était un de ces échappés de la potence, qu’on voyait se promener et voyager librement, portant dans leur poche, pour passe-port, l’extrait du procès-verbal de leur exécution.

Aussitôt pris, aussitôt pendu.

On prétend que cette locution proverbiale est une allusion à la malheureuse destinée de Barnabé Brisson, de Claude Larcher, tous deux conseillers au parlement, et de Jean Tardif, conseiller au Châtelet, qui furent arrêtés par la faction des Seize, le 15 novembre 1591, à neuf heures du matin, confessés à dix et pendus à onze. Mais c’est une erreur ; car l’expression existait avant l’exécution de ces trois nobles défenseurs de l’autorité royale. Elle a dû son origine à la juridiction policielle de la maréchaussée. Cette milice, dont les attributions étaient autrefois beaucoup plus étendues qu’aujourd’hui, avait des magistrats, des procureurs du roi et des greffiers qui chevauchaient avec elle, et qui, dans le cas de délits commis sur les grands chemins, se constituaient sur le champ en tribunal pour les juger. Rien n’était plus expéditif que cette justice ambulante, déjà organisée du temps de Charles V ; et malheur au coupable qu’elle appréhendait : Aussitôt pris, aussitôt pendu.

Qui est destiné à être pendu n’est jamais noyé.

Le gibet ne perd jamais ses droits. — Pendant les guerres d’Italie, sous Louis XII, Gaston de Foix, duc de Nemours, chef de l’armée française, ayant entendu parler, à Carpy, d’un fameux astrologue de cette ville, le fit appeler pour le consulter. Plusieurs officiers, qui se trouvaient en ce moment auprès du prince, voulurent se faire tirer leur horoscope. Il y avait parmi eux un aventurier, nommé Jacquin Caumont, à qui l’astrologue prédit qu’il serait pendu avant trois mois. Deux jours après, ledit Jacquin passant de nuit sur un mauvais pont de bois qui joignait les deux bords d’un canal profond, tomba au milieu de l’eau, où il aurait infailliblement péri, si des bateliers ne l’en eussent retiré. Mais il n’échappa à cette mort que pour en subir une autre plus malheureuse. Il ne fut pas noyé, parce qu’il devait être pendu ; et c’est ce qui lui arriva dans les limites du temps marqué par la prédiction. Le seigneur de La Palisse, appelé au commandement de l’armée en remplacement du duc de Nemours, tué à la bataille de Ravenne, fit accrocher notre homme à une potence, dans cette ville, en plein marché, pour le punir de s’être rendu coupable de pillage. Estienne Pasquier (Recherches, liv. viii, ch. 41) rapporte avec beaucoup de détails ce fait, qui a donné, dit-il, naissance au vieux proverbe : Qui a à pendre n’a à noyer.

Rabelais (liv. iv, chap. 24) fait plaisamment allusion à ce proverbe : « Par le digne froc que je porte, dist frère Jean à Panurge, durant la tempeste tu as eu paour sans cause et sans raison, car tes destinées fatales ne sont à périr en eaue. Tu seras hault en l’aer certainement pendu ou bruslé….. Panurge, mon amy, n’aye jamais paour de l’eaue, je t’en prie ; par élément contraire sera ta vie terminée. — Voire, respondit Panurge ; mais les cuisiniers des diables resvent quelquefois et errent en leur office, et mettent souvent bouillir ce qu’on destinoit pour roustir. »

Les Danois disent : Han drukner ikke som henge skal, uden vandet gaaer over galgen. Celui qui doit être pendu ne sera pas noyé, à moins que l’eau ne déborde jusqu’à la potence.

Comme le proverbe est aussi ancien en Danemark qu’en France, on peut en conclure qu’il n’a pas eu l’origine qui lui est assignée par Pasquier, et qu’il a été imaginé pour exprimer l’action de la fatalité. Le philosophe Posidonius avait déjà signalé cette action dans l’histoire d’un homme à qui les oracles avaient prédit qu’il périrait sous les eaux, et qui, échappé à tous les dangers de la mer, se noya dans un ruisseau.