Dictionnaire des proverbes (Quitard)/nez

nez. — Avoir bon nez.

Avoir de la sagacité, prévoir les choses. — Métaphore prise des chiens de chasse habiles à découvrir et à suivre la trace du gibier par le moyen de l’odorat. On dit aussi : Avoir le nez fin. — Le nez était chez les Latins, comme chez nous, l’organe qui servait à caractériser la sagacité et la finesse. Olfactoriæ nares.Emunctæ nares.

Les Hébreux regardaient aussi le nez comme l’organe de l’intelligence et de la sagesse. Job assure que l’esprit de Dieu est dans ses narines, et Isaïe conseille de se reposer sur la prudence d’un homme dont l’esprit est dans ses narines.

Mener quelqu’un par le nez.

C’est lui faire faire tout ce qu’on veut. — Cette expression, qui était également usitée chez les Grecs et chez les Latins, est une allusion aux buffles que l’on conduit au moyen d’un anneau de fer passé dans leurs narines. — Notez qu’on disait autrefois embuffler, dans le même sens que mener par le nez, comme on peut le voir dans le dictionnaire de Cotgrave.

Saigner du nez.

« Cette expression, dit Laurent Joubert, vient de ce que la saignée affaiblit le cœur quand elle est copieuse ; car les forces consistent au sang et aux esprits qui se perdent insensiblement ; et, de cette perte, le cœur étant refroidi devient craintif, et l’on n’ose entreprendre ou exécuter ce où l’on voit quelque danger. »

Il y a une explication plus simple proposée par un médecin : C’est que la peur donne un saignement de nez à certains individus, de même qu’elle donne un flux de ventre à certains autres.

Voici une origine historique qui me semble très admissible :

Pendant la peste qui, après avoir dépouillé l’Afrique et l’Asie, ravagea l’Europe et particulièrement la France, vers le milieu du XIVe siècle, on remarqua, en divers endroits, que cette terrible maladie ne laissait aucun espoir de guérison, quand elle était accompagnée de quelque saignement de nez ; et comme un pareil symptôme causait alors les plus vives craintes et le plus triste abattement, on en prit occasion de dire au figuré : Saigner du nez, pour exprimer le manque de courage et de résolution.

Tirer les vers du nez à quelqu’un.

Tirer de lui un secret par des questions adroites. — Nicot dit que cette façon de parler vient des pipeurs charlatans qui font accroire aux simples gens beaucoup de telles riottes, afin d’avoir cependant le loisir de vider leur gibecière. Je pense qu’elle a une autre origine, et que le mot vers est ici un terme qui nous est resté de la langue romane, où il s’employait dans l’acception de vrai, comme l’attestent les deux exemples suivants, dont le premier est pris du roman de Rou de Robert Wace, et le second, d’une pièce du troubadour Armand de Marueil :

Mez veirs est ke li vilain dit,
Mais ce que dit le vilain est vrai.

Aisso saben tug que es vers,
Nous savons tous que ceci est vrai.

On aura dit primitivement li vers ; et, dans la suite, on aura traduit li vers par les vers, en attribuant à l’article un sens pluriel qu’il n’avait point en ce cas. Quant à l’expression tirer du nez, elle peut avoir été choisie par trois raisons : 1o parce qu’elle est au propre un équivalent du vieux verbe émoucher, auquel on donnait souvent, au figuré, la signification de tirer par adresse[1] ; 2o parce qu’elle réveille dans l’esprit, par une certaine analogie, une réminiscence de ce qu’on appelle mener par le nez ; 3o parce qu’elle offre cette espèce de singularité qui fait ordinairement le sel des phrases proverbiales. On sait que le peuple, dans son langage, est grand inventeur de ces formules curieuses où viennent se rallier, d’une façon pittoresque, des rapports éloignés que lui révèle si facilement son instinctive sagacité.

Ainsi, tirer les vers du nez, qu’on a substitué à émoucher li vers ou le vers, est la même chose que tirer par adresse le vrai ; et, ce qui me paraît confirmer cette explication, c’est qu’on trouve dans quelques auteurs du moyen-âge : Emungere aliquem vero, phrase d’une très bonne latinité, qui est sans doute l’original de la nôtre, et qui se traduit littéralement en vieux français par émoucher le vers ou le vrai, de quelqu’un ou à quelqu’un.

Les Allemands disent, pour exprimer la même idée : Den Hund vom Ofen locken ; attirer le chien de derrière le poêle, parce qu’il faut bien flatter cet animal, le bien amorcer par des caresses, pour lui faire quitter cette place chaude et commode, où il aime à se tenir couché.

Votre nez branle.

On fait accroire aux enfants que leur nez tombera, s’ils se permettent un mensonge ; et c’est ce qu’on rappelle par cette expression, quand on veut arracher à l’un d’eux l’aveu de quelque espiéglerie dont on le soupçonne d’être l’auteur et qu’il soutient n’avoir pas faite. — Érasme rapporte que, de son temps, on disait proverbialement : Nasus tuus arguit mihi te mentiri. Votre nez m’avertit que vous mentez. Mais cette façon de parler n’était point fondée, comme la nôtre, sur la supposition d’un branlement de nez ; elle avait sa cause dans une idée superstitieuse qui fesait prendre certaines pustules qui viennent au nez pour des effets et des indices de l’habitude de mentir. Les grecs désignaient ces pustules par le mot Ψεύσματα, mensonges, que Théocrite a employé dans un vers traduit ainsi en latin :

Non nihi nascentur nares mendacia supra.
Les mensonges ne se produiront pas sur mon nez.

Le peuple, en France, donne de même le nom de mensonges à certaines taches dont les ongles sont quelquefois marqués. (Voyez l’expression Avoir les ongles fleuris.)

Prenez-vous par le bout du nez.

C’est ce qu’on disait fréquemment autrefois, et ce qu’on dit quelquefois encore pour répondre à quelqu’un qui veut mettre sur le compte des autres les fautes dont il s’est rendu coupable. — Cette expression est fondée sur l’ancienne coutume de Normandie, d’après laquelle un homme convaincu d’avoir nui par de mauvais propos à la réputation de son prochain, était tenu de lui faire amende honorable en une église, dans un jour de solennité, et de se déclarer publiquement calomniateur en se prenant par le bout du nez. Ce qui s’appelait payer le laid dit.

Avoir un pied de nez.

C’est être honteux et confus. — Cette expression peut avoir eu la même origine que la précédente, car il était tout naturel de supposer qu’un individu condamné à se prendre par le bout du nez, à se tirer le bout du nez, devait, en sortant de cette épreuve, avoir le nez allongé, ou, comme on dit hyperboliquement, avoir un pied de nez. — Un physiognomoniste conjecture qu’elle est venue de ce que la confusion et le chagrin qu’éprouve un homme dont les projets ont échoué, dont l’ambition se trouve déçue, lui amaigrissent la figure et rendent ainsi son nez plus saillant. — Suivant presque tous les parémiographes, elle a eu pour fondement ce conte rapporté par Béroalde de Verville, dans son Moyen de parvenir (tom, ii, ch. 33) : Un chapelain se chauffant, un jour de grande fête, au feu de la sacristie, y fit griller du boudin, pendant qu’on disait matines. Averti d’aller encenser, il mit à la hâte son boudin dans sa manche et sortit pour remplir son devoir. Comme il n’avait pas bien boutonné sa manche, il arriva que, dans le mouvement du bras, elle se délia, de sorte que le boudin sauta au nez du doyen à qui le chapelain envoyait la sainte fumée, ce qui fit une plaisante figure et donna lieu de dire que M. le doyen avait eu un pied de nez, expression qui passa bientôt en proverbe.

  1. Comme ce verbe est très ignoré des lexicographes, dans l’acception que j’indique, je citerai pour preuve de cette acception tes deux vers suivants, extraits de la Trésorière, comédie de Jacques Grevin (Act. ii, sc. 2) :

    Si est-ce que j’ay espérance
    D’émoucher quelque argent de vous.