Dictionnaire des proverbes (Quitard)/loup

loup. — Avoir vu le loup.

Cette expression s’applique à un homme, pour signifier qu’il a vu le monde, qu’il est aguerri et expérimenté ; mais elle s’applique à une femme pour lui reprocher une conduite déréglée. Dans ce dernier cas, c’est comme si l’on disait : cette femme est une louve ; dénomination qu’on donnait autrefois aux prostituées, afin de les rendre odieuses par une comparaison convenable à leur vie brutale. On lit dans l’Amphithéâtre sanglant par P. C., évêque de Bellay : « Ces malheureuses louves (c’est-à-dire ces femmes débauchées) sont toujours prêtes à la curée et souffrent une faim canine de la chair humaine. » Les Latins employaient le mot lupa, louve, dans la même acception, comme on peut le voir dans le discours de Cicéron pro Milone. Acca Laurentia, qui allaita Romulus et Rémus, avait reçu cette qualification de ses voisins, à cause de la voracité de son appétit charnel. Lupanar signifiait lieu de prostitution.

Savoir la patenôtre du loup.

Lorsqu’on veut faire entendre à quelqu’un qui fait des menaces qu’on saura bien l’empêcher de les effectuer, on dit qu’on sait la patenôtre du loup, par allusion à une prière ainsi nommée à laquelle la superstition du moyen-âge attribuait la vertu d’éloigner les loups des bergeries. Voici cette singulière oraison telle que le curé Thiers l’a rapportée : « Au nom du Père🞡 du Fils🞡 et du Saint-Esprit🞡. Loups et louves, je vous conjure et charme : je vous conjure au nom de la très sainte et sursainte, comme Notre-Dame fut enceinte, que vous n’ayez à prendre ni écarter aucune des bêtes de mon troupeau, soit agneaux, soit brebis, soit moutons (on nomme les bestiaux que l’on veut préserver des loups), ni à leur faire aucun mal. » (Traité des superstitions, liv. vi, ch. 2.)

On croit encore à l’efficacité de la patenôtre du loup dans plusieurs hameaux du département de l’Aveyron, et il y a de prétendus sorciers appelés louvetiers qui, fesant métier de la dire, jouissent d’un grand crédit auprès de certains métayers.

Enfant de loup, qui n’a jamais vu son père.

Lorsque les louves sont en chaleur, dit Buffon, ce qui arrive en hiver, plusieurs mâles suivent la même femelle et cet attroupement est sanguinaire, car ils se la disputent cruellement. Ils grondent, ils frémissent, ils se battent, ils se déchirent, et il arrive presque toujours qu’ils mettent en pièces celui qu’elle a préféré. De là cette expression proverbiale par laquelle on désigne un bâtard.

Quand on parle du loup on en voit la queue.

Proverbe dont on fait l’application, lorsqu’il survient une personne au moment où l’on parle d’elle. Cette personne est probablement assimilée au loup, parce que sa présence inattendue déconcerte et fait taire, de même que l’apparition subite du loup produit un étonnement et une crainte qui coupent d’abord la parole. Mais pourquoi est-il question de la queue du loup, au lieu de la tête qui semblerait plus convenablement rappelée ? C’est peut-être parce que cet animal, qui aperçoit ordinairement l’homme avant d’en être aperçu, se détourne rapidement pour s’enfuir, et ne se laisse voir que par derrière, et peut-être aussi parce que le mot queue forme une assonance, une sorte de rime, avec le mot leu (loup), qui figura primitivement dans le proverbe.

Les Latins disaient : Lupus est in fabulâ. Le loup est dans le discours. Ce qui doit être fondé sur la même raison que le proverbe français. Cependant il y a des parémiographes qui prétendent que lupus in fabulâ signifie proprement le loup dans la comédie, et fait allusion à une antique tradition romaine qui rapporte qu’un jour où l’on représentait, en plein air, sur le bord du Tibre, une pièce de théâtre, dans laquelle il s’agissait de Romulus et de Rémus allaités par une louve, on vit paraître un loup qui étonna comme un prodige, les spectateurs interdits. Mais ce fait est évidemment apocriphe, et ce qui prouve que fabula doit se traduire ici par discours, et non par comédie, c’est qu’on trouve dans Plaute et dans d’autres auteurs : Lupus est in sermone.

Le peuple parisien n’emploie guère que dans une acception de blâme le proverbe Quand on parle du loup on en voit la queue. Toutes les fois qu’il veut montrer de la politesse ou s’exprimer dans un sens d’éloge, il ne manque pas d’y substituer une de ces phrases poétiques : Quand on parle du soleil on en voit les rayons. — Quand on parle de la rose on en voit le bouton.

À chair de loup dent de chien.

Proverbe qui s’applique dans le même sens que : À rude âne rude ânier. — À méchant méchant et demi. Les Danois disent très originalement : Dur contre dur, s’écriait le diable en opposant son derrière au tonnerre.

Il faut hurler avec les loups.

Il faut s’accommoder aux mœurs, aux manières des gens avec lesquels on vit, avec lesquels on se trouve lié, quoiqu’on ne les approuve point. — Ce proverbe correspond au proverbe latin qu’on trouve dans les Bacchides de Plaute (act. iv, vers 10) : Versipellem frugi convenit esse hominem pectus cui sapit. Il convient qu’un homme sage et avisé change quelquefois de peau ; mot à mot, devienne versipellis. Les Latins entendaient par versipellis le loup-garou, c’est-à-dire l’homme à qui la superstition populaire attribue le pouvoir de se transformer en loup, et de revenir ensuite à sa première forme. Ainsi quand on dit : Il faut hurler avec les loups, c’est à peu près comme si l’on disait : Il faut savoir se faire loup-garou.