Dictionnaire des proverbes (Quitard)/esclave

esclave. — Être esclave de sa parole.

Chez les Germains et chez les Francs, les guerriers qui se piquaient d’une valeur à toute épreuve, avaient l’habitude de s’attacher une chaîne de fer autour d’un bras ou autour des flancs, et juraient solennellement de ne la déposer qu’après avoir accompli quelque fait d’armes extraordinaire, voulant prouver ainsi qu’ils étaient capables de pousser l’héroïsme au point d’aliéner le plus précieux de leurs biens, la liberté, afin de la racheter par un triomphe digne d’elle[1]. À leur imitation, les chevaliers et les pèlerins du moyen âge adoptèrent cet emblème de la servitude, comme le signe spécial des emprises, c’est-à-dire des entreprises qu’une promesse irrévocable les obligeait d’exécuter. En voici un exemple remarquable : Jean de Bourbon, duc de Bourbonnais, jaloux de fuir l’oisiveté, d’acquérir de la gloire et de mériter la bonne grâce de sa dame, rassembla dans son palais, en 1414, seize chevaliers et écuyers de nom et d’armes qui, animés des mêmes sentiments, firent vœu avec lui, devant les autels, de porter tous les dimanches, la jambe gauche, un anneau de prisonnier en or pour les chevaliers, et en argent pour les écuyers, jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé à combattre contre un nombre égal de chevaliers et d’écuyers anglais. L’expression Être esclave de sa parole est probablement un reste de cet usage qu’on retrouve chez presque tous les peuples, même chez les sauvages, qui entourent leur nez de petites plaques de métal, pour se souvenir des engagements qu’ils ont pris. Il se peut aussi qu’elle soit venue d’un usage semblable observé à l’égard des débiteurs, qui devenaient esclaves lorsqu’ils n’acquittaient pas leurs dettes selon la parole qu’ils avaient donnée, comme l’atteste le passage suivant des Assises de Jérusalem (ch. 119) : « Si aucun autre que chevalier doit dète…., il doit estre livré à celui à qui il doit ladite dète ; et il le peut tenir comme son esclaf, tant que il ou aultre pour lui ait paié ou faict son gré de ladite dète, et il le doit tenir sans fer, mais que un anneau de fer au bras pour reconnoissance que il est à pooir d’autrui pour dète. »

Quelques auteurs ont fait dériver l’expression Être esclave de sa parole de ce que, chez les Gaulois, le débiteur insolvable allait trouver son créancier, lui présentait une paire de ciseaux, et devenait son esclave en se laissant couper les cheveux.

Le mot esclave a aussi une origine historique. Il est formé de sclavus, sclave, esclavon ou slave, nom d’un peuple originaire de la Scythie, parce que beaucoup de Slaves faits prisonniers, soit à l’époque de leur établissement sur les côtes de l’Adriatique, soit à l’époque de leur irruption sur les frontières françaises, sous le règne de Dagobert, furent vendus comme serfs dans les principaux marchés de l’Italie et de la France[2]. Ce mot doit être ajouté à la liste de ceux qui ont dégénéré ; car dans la langue d’où il a été tiré il signifie illustre, glorieux.

  1. Les guerriers macédoniens portaient une ceinture de cuir, qu’ils ne devaient quitter qu’après avoir tué un ennemi ; alors seulement ils devenaient de vrais guerrière, des hommes libres.
  2. L’usage barbare de vendre les prisonniers faits à la guerre n’était pas encore tout à fait aboli au dix-septième siècle. M. de Chateaubriand a remarqué que dans les guerres des Anglais contre Charles Ier, pour la liberté des hommes, on vit ces fameux niveleurs vendre comme esclaves les royalistes pris sur le champ de bataille.