Dictionnaire des proverbes (Quitard)/eau

E

eau.Il n’est pire eau que l’eau qui dort.

Ce proverbe nous est venu des anciens, car on lit dans Quinte-Curce (liv. vii) que les Bactriens disaient : Altissima flumina minimo sono labuntur, les fleuves les plus profonds sont ceux qui coulent avec le moins de bruit. Il se trouve avec explication dans les vers suivants extraits du livre iv des Distiques de Caton, qui furent composés dans le viie ou le viiie siècle par un moine dont on ignore le vrai nom :

Demissos animo et tacitos vitare memento :
Quod flumen tacitum est forsan latet altius unda.

Évite les gens sournois et taciturnes, car il n’y a peut-être pas dans le fleuve d’eau plus profonde que l’eau dormante.

L’eau échauffée prend plus vite la gelée.

C’est une opinion depuis longtemps répandue parmi le peuple, que l’eau qui a bouilli est plus susceptible de passer à l’état de congélation. Ce que Descartes, dans son traité des Météores (discours 1er), explique de la manière suivante : « On peut voir par expérience que l’eau qu’on a tenue longtemps sur le feu se gèle plus tôt que d’autre, dont la raison est que celles de ses parties qui peuvent le moins cesser de se plier (d’être liquides) s’évaporent pendant qu’on la chauffe. » — De là le proverbe employé figurément pour signifier que la trop grande ardeur qu’on met à faire une chose est sujette à se refroidir bien vite, ou que le caractère le plus prompt à se livrer à l’emportement est aussi le plus prompt à en revenir.

Croyez cela et buvez de l’eau.

Dicton qu’on adresse à une personne qui a l’air de croire ou de vouloir faire accroire quelque nouvelle dénuée de vraisemblance. C’est comme si on lui disait : La chose est difficile à avaler, et puisque vous voulez bien l’avaler, buvez de l’eau pour la faire passer.

Mettre de l’eau dans son vin.

C’est revenir de son emportement, rabattre de ses menaces ou de quelque résolution excessive, rentrer dans les bornes de la modération. — On peut regarder, au premier aperçu, comme une singularité frappante les éloges unanimes que les philosophes et les historiens grecs ont consacrés à la découverte du vin trempé, comme si elle eût été de nature à mériter l’admiration de la postérité ; mais si l’on déroule la grande liste des crimes que l’ivresse a produits, il est impossible de ne pas approuver leur opinion, et de ne pas applaudir à la sagesse des peuples antiques qui érigèrent des statues à celui qui leur apprit à mêler de l’eau dans le vin pour modérer, comme dit Platon, une divinité furieuse par la présence d’une divinité sobre[1], ou pour calmer, comme dit Plutarque, les ardeurs de Bacchus par le commerce des nymphes. Ces peuples pensaient qu’un service si important ne pouvait leur avoir été rendu par un homme sans l’inspiration de quelque dieu. Ils en attribuaient l’idée à Bacchus lui-même, et l’exécution à divers personnages. Pythagore cite Achéloüs comme le véritable inventeur, dans ses Apothéoses qui commencent en ces termes : « Crotoniates, gardez la mémoire d’Achéloüs, magistrat suprême d’Étolie, qui le premier mit de l’eau dans le vin. » Pline le naturaliste nomme un certain Staphilus. Quelques écrivains parlent d’Amphyction, roi d’Athènes, et quelques autres de Cranaüs, également roi de la même ville. Montaigne, adoptant cette dernière tradition, a dit dans ses Essais (liv. iii, ch. 13) : « Cranaüs, roy des Athéniens, fut inventeur de cet usage de tremper le vin, utilement ou non, j’en ai vu desbattre. »

Voici une application plaisante de l’expression proverbiale. Deux personnes disputaient un jour chaudement sur ce vers où il est parlé des Romains :

Ils buvaient le falerne et les larmes du monde.

L’une d’elles soutenait qu’il était fort beau, et à chaque explication qu’elle en donnait, l’autre ne répondait que par ces mots : Qu’est-ce que cela prouve ? Le poëte Lemière, témoin de la discussion, dit : Cela prouve évidemment que les Romains mettaient de l’eau dans leur vin.

L’eau trouble est le gain du pêcheur.

Les pêcheurs prennent beaucoup plus de poissons dans l’eau trouble que dans l’eau claire ; de même, les intendants font leur profit dans l’administration d’un bien où le maître lui-même ne met pas bon ordre. De là ce proverbe, et l’expression proverbiale Pêcher en eau trouble, c’est-à-dire tourner à son avantage les désordres qui se présentent, ou ceux même qu’on a suscités exprès dans les affaires, soit publiques, soit particulières. — Les Grecs disaient dans le même sens : Troubler l’eau du lac pour pêcher des anguilles. Ce qu’Aristophane applique à un mauvais citoyen excitant des troubles dans l’état afin de s’enrichir aux dépens du public.

Ne faire que de l’eau claire.

C’est s’occuper sans succès de quelque affaire, y perdre son temps et sa peine. — Le malin Furetière donnait pour devise à l’Académie française un iris causé par les rayons du soleil qui lui était opposé, avec ce quatrain :

Pendant que le soleil m’éclaire
Je parais de grande valeur ;
Mais ma plus brillante couleur
Ne fait que de l’eau toute claire.

Revenir sur l’eau.

C’est rétablir ses affaires, recouvrer du crédit, rentrer en faveur. Cette expression est une métaphore prise de l’écorce du liége qu’on ne peut enfoncer dans l’eau sans qu’elle remonte à la surface, aussitôt qu’elle cesse d’être retenue par la main.

Pindare, dans ses Pythiques (ode 2), s’est comparé à cette écorce qui surnage toujours au milieu de l’agitation des flots ; immersabilis undis, comme dit Horace.

Les eaux sont basses.

Cette façon de parler métaphorique s’emploie pour signifier que la bourse d’une personne est à peu près sans argent, parce que les eaux basses sont ordinairement sans poisson.

  1. Longin reproche à Platon d’avoir appelé l’eau une divinité sobre. Cette expression, dit La Harpe, est en effet ridicule.