Dictionnaire des proverbes (Quitard)/diable

diable.La beauté du diable.

C’est la fraîcheur de la jeunesse qui prête quelque agrément à la figure la moins jolie. La raison de cette expression est une énigme dont le mot se trouve dans ce proverbe : Le diable était beau quand il était jeune. Le temps de la jeunesse du diable est celui où il était au rang des anges du ciel d’où il fut banni et précipité dans l’enfer à cause de sa rébellion.

Le diable n’est pas si noir qu’on le fait.

Pour signifier qu’une personne n’a pas autant de vices ou de défauts qu’on lui en suppose. — Nos anciens poëtes, dit Fauchet, appellent le diable malfez ou maufez (mal fait), et les peintres le représentent horrible et hideux, comme s’il avait perdu cette beauté qui fit monter Luciabel en si grand orgueil.

Crever l’œil du diable.

Parvenir en dépit de l’envie. — Le diable est ici l’envieux, dont le regard passe pour nuisible, d’après une vieille superstition que nous ont transmise les anciens, et que Virgile a rappelée dans ce vers de sa troisième églogue :

Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.

Envoyer quelqu’un au diable de Vauvert.

Le château de Vauvert (vallon vert) était autrefois regardé comme un repaire de diables. On y entendait toutes les nuits des hurlements horribles et un bruit affreux de chaînes traînées, disait-on, par des spectres. Saint Louis donna ce château inhabité aux Chartreux qui le lui avaient demandé, et aussitôt que ces religieux en eurent pris possession, le sabbat fut à jamais conjuré. Mais le souvenir de la terreur qu’il avait fait naître se conserva dans l’expression proverbiale : Envoyer ou Aller au diable de Vauvert, et par corruption, au diable vert.

Le château de Vauvert était situé hors des murs de Paris, dans une prairie, vers l’entrée de la grande allée qui se dirige du jardin du Luxembourg à l’Observatoire. L’ancienne rue de Vauvert qui conduisait à ce manoir infernal prit le nom de rue d’Enfer, qu’elle porte encore.

Quand le diable dit ses patenôtres, il veut te tromper.

Lorsqu’un méchant parle ou agit comme un homme de bien, il médite quelque perfidie.

Le crime prend souvent l’accent de la vertu.

(Gresset.)

On appelle patenôtres du diable, les prières de l’hypocrite qui, sous le nom de Dieu, commet toute sorte de mal, comme dit le proverbe hébreu. Il y a une vieille épigramme anglaise intitulée : Patenôtre ou Pater du diable (the devil’s Pater), dont le principal mérite consiste à être en vers, soit qu’on la lise en allant de gauche à droite, soit qu’on la lise en revenant de droite à gauche, avec cette différence qu’elle exprime des bénédictions d’un côté et des malédictions de l’autre.

Le diable chante la grand’messe.

Ce proverbe, employé par Rabelais, s’applique à l’hypocrite.

Les Portugais disent : Detras de la cruz esta el diablo ; le diable est derrière la croix.

Les Espagnols : Por las haldas del vicario sube el diablo al campanario ; par les pans de la robe du vicaire, le diable monte au clocher.

Les Anglais : Were god has his church, the devil will have his chapel ; il n’y a point d’église où le diable n’ait sa chapelle.

Les Italiens comme les Anglais : Non si tosto si fa un tempio a Dio che il diavolo ci fabbrica una cappella appresso.

Les Allemands : O uber die schlaue Sunde, die einen Engel vor jeden Teufel steltt ; que le crime est rusé ! il place un ange devant chaque démon. Ce qui revient à l’expression française : Couvrir son diable du plus bel ange, dont la reine de Navarre s’est servie dans sa Nouvelle douzième.

L’Évangile compare l’hypocrite à un sépulcre blanchi, plein d’éclat au dehors et de pourriture au dedans.

Le diable n’est pas toujours à la porte d’un pauvre homme.

Un homme malheureux ne l’est pas toujours.

Les Turcs disent : Ne meurs pas, ô mon âne ! le printemps viendra, et avec lui croîtra le trèfle.

Tirer le diable par la queue.

Avoir de la peine à subsister ; ne pouvoir chasser la misère.

Il faut procéder, dans l’explication de certaines locutions proverbiales, comme au jeu du baguenaudier. Elles sont tellement enchaînées l’une à l’autre, rentrent si bien l’une dans l’autre, qu’il est nécessaire d’avoir la clef de celle-ci pour trouver la clef de celle-là. Veut-on, par exemple, découvrir la raison du dicton : Tirer le diable par la queue, on doit la chercher en prenant pour point de départ un proverbe antérieur qui nous apprend que le diable, c’est-à-dire le malheur personnifié dans l’être infernal, est souvent à la porte d’un pauvre homme. Ce proverbe a fait supposer entre le diable et le pauvre homme une lutte dans laquelle celui-ci, n’osant attaquer de front son adversaire, sans doute à cause des cornes et des griffes, le saisit par derrière afin de l’éloigner de son logis ; et l’inutilité de ses efforts a été rendue par une métaphore empruntée de ces bêtes récalcitrantes qui s’obstinent à avancer au lieu de reculer quand on les tire par la queue.

Le mitron qui tire le diable par la queue, est un symbole de la lutte incessante de l’homme contre le malheur, et du travail opiniâtre auquel il est condamné pour se procurer de quoi vivre.

On connaît cette phrase originale que M. Victor Hugo, dans sa Lucrèce Borgia, a mise dans la bouche de Gubetta : « Il faut que la queue du diable lui soit soudée, chevillée et vissée à l’échine d’une manière bien triomphante, pour qu’il résiste à l’innombrable multitude de gens qui la tirent perpétuellement. »

Le comte de Conflans plaisantait un jour le cardinal de Luynes de ce qu’il se fesait porter la queue par un chevalier de Saint-Louis. L’éminence piquée au jeu répondit que tel avait été toujours son usage, et que parmi ses caudataires il s’en était même trouvé un qui prenait le nom et les armoiries des Conflans. — Il n’y a rien d’étonnant en cela, repartit le comte avec gaieté : dans ma famille on a été réduit plus d’une fois à tirer le diable par la queue.

Le diable bat sa femme et marie sa fille.

Ce dicton, employé fréquemment pour signifier qu’il pleut et qu’il fait soleil à la fois, a pour fondement une tradition mythologique que je vais rapporter, d’après un fragment de Plutarque qu’Eusèbe nous a conservé dans sa Préparation évangélique (liv. iii, ch. 1). — Jupiter était brouillé avec Junon qui se tenait cachée sur le mont Cythéron. Ce dieu, errant dans le voisinage, rencontra le sculpteur Alalcomène qui lui dit que, pour la ramener, il fallait la tromper et feindre de se marier avec une autre. Jupiter trouva le conseil fort bon et voulut le mettre sur l’heure en pratique. Aidé d’Alalcomène il coupa un grand chêne remarquable par sa beauté, forma du tronc de cet arbre la statue d’une belle femme, lui donna le nom de Dédala, et l’orna de la brillante parure de l’hyménée. Après cela, le chant nuptial fut entonné, et des joueurs de flûte, que fournit la Béotie, l’accompagnèrent du son mélodieux de leurs instruments. Junon instruite de ces préparatifs descendit à pas précipités du mont Cythéron, vint trouver Jupiter, se livra à des transports de jalousie et de colère, et fondit sur sa rivale pour la maltraiter ; mais ayant reconnu la supercherie, elle changea ses cris en éclats de rire, se réconcilia avec son époux, se mit joyeusement à la tête de la noce qu’elle voulut voir achever, et institua, en mémoire de l’événement, la fête des dédales ou des statues qu’on célébra depuis, tous les ans, en grande pompe, à Platée en Béotie.

La dispute du Jupiter et de Junon est une allégorie de la lutte du principe igné représenté par ce dieu, et du principe humide représenté par cette déesse. Lorsque ces deux principes, ne se tempérant pas l’un par l’autre, ont rompu l’harmonie qui doit régner entre eux, il y a trouble et désordre dans les régions atmosphériques. La domination du premier produit une sécheresse brûlante, et celle du second amène des torrents de pluie. Ce dernier accident survint sans doute dans la Béotie qui fut inondée, ainsi que l’indique le séjour de Junon sur le Cythéron ; et lorsque la terre dégagée des eaux eut reparu, on dit que la sérénité rendue à l’air par le calme était l’effet de la réconciliation des deux divinités, comme le mauvais temps avait été l’effet de leur division.

Après cette explication, il est presque superflu d’ajouter que Jupiter qui triomphe du courroux de Junon, ou, suivant l’expression de Plutarque, le principe igné qui se montre plus fort que le principe humide, est le diable qui bat sa femme, qui l’emporte sur sa femme, tandis que le même dieu qui fait la noce de la statue, dont il est l’auteur ou le père, est le diable qui marie sa fille. On sait que Jupiter a reçu le nom de diable et de grand diable dans le langage des chrétiens.

Les Italiens se servent du dicton le nozze del diavolo, les noces du diable, pour marquer cette coïncidence du soleil et de la pluie dans l’atmosphère qui tend à reprendre sa sérénité.

Faire le diable à quatre.

C’est faire beaucoup de bruit ou de désordre, s’emporter à l’excès. Les Italiens disent : Far el diavolo e la versiera, faire le diable et la sorcière.

Dans l’enfance du théâtre français, où l’on jouait les saints, la vierge et Dieu, on jouait aussi les diables. Les pièces qui représentaient ces êtres infernaux s’appelaient petites diableries ou grandes diableries ; petites, lorsqu’il y avait moins de quatre diables, et grandes, lorsqu’il y en avait quatre. De là l’expression Faire le diable à quatre.

Cette sorte de spectacle populaire, dit le savant Huet, se donnait aux grandes fêtes et dans les cimetières des églises. Il était surtout en usage dans les villes du Poitou, où il avait été imaginé pour frapper de terreur les pécheurs endurcis et les ramener à la religion.

Il y a un ancien recueil de Diableries, qui a été publié par un nommé Brigadier. C’est une collection curieuse à laquelle sa rareté donne aujourd’hui beaucoup de prix.

Le diable devenu vieux se fit ermite.

On voit dans la légende que plusieurs diables fatigués de leur méchanceté y ont renoncé en vieillissant pour embrasser l’état monastique. Par exemple, le diable Puck est entré au service des dominicains de Schewerin dans le Mecklembourg, ainsi que l’atteste le livre intitulé : Veridica ratio de dæmonio Puck ; le diable Bronzet s’est fait moine dans l’abbaye de Montmajor près d’Arles ; et le diable que les Espagnols appellent Duende a porté aussi le capuchon[1]. C’est probablement à cette démonologie que se rattache le proverbe. Peut-être aussi fait-il allusion à l’histoire de Robert-le-Diable, père de Richard-sans-Peur, duc de Normandie. Robert-le-Diable, ainsi nommé à cause de sa conduite pleine de désordre et d’irréligion, se convertit vers la fin de ses jours, et se retira dans un désert pour y faire pénitence, comme on le voit dans le livre intitulé : Vie du terrible Robert-le-Diable, lequel après fut surnommé l’Omme-Dieu ; in-4o gothique. Lyon, Mareschal, 1496.

Le proverbe s’adresse aux hommes qui viennent à résipiscence après une jeunesse dissipée ; mais la malignité l’applique particulièrement aux femmes que la vieillesse fait tourner du côté des litanies, et qui trouvent dans une dévotion, feinte ou réelle, le refuge d’une galanterie repentante ou répudiée.

On dit de ces pénitentes retardataires qu’elles offrent à Dieu les restes du démon, pensée originale que j’ai prise pour fondement de l’épigramme suivante :

La vieille Arsinoé, fuyant les railleries
Des amants échappés à ses galanteries,
Dévote par dépit, dans un mystique lieu,
Fait des restes du diable un sacrifice à Dieu.

Martyr du diable.

Cette expression, autrefois proverbiale, a été employée dans un sermon latin de Jean Gerson, pour désigner un homme livré à l’ensorcellement des niaiseries, fascinationi nugarum, et continuellement tourmenté dans des agitations pleines de l’esprit du monde mais vides de l’esprit de Dieu. — Elle pourrait s’appliquer très bien à ces petits-maîtres et à ces petites-maîtresses qui mettent leur corps à la torture pour paraître avec plus d’éclat sous les livrées de la mode, ainsi qu’à ces êtres blasés qui poursuivent si laborieusement de coupables voluptés, et qui portent presque toujours la peine de leurs plaisirs.

M***, presque septuagénaire, s’est avisé de prendre une épouse de dix-huit ans. Il cherche à racheter par des excès de jeune homme son insuffisance de vieillard. Il promène en tous lieux madame qui a besoin de distractions ; il l’accompagne aux spectacles et aux bals ; il ne prend de repos ni le jour ni la nuit, il est condamné aux plaisirs forcés. C’est vraiment un martyr du diable.

C’est le valet du diable, il fait plus qu’on ne lui commande.

Cette façon de parler, qui se prend d’ordinaire en mauvaise part, s’applique à un homme qui, par zèle ou par tout autre motif, fait plus qu’on n’exige de lui. Elle est probablement venue de ce que, dans les mystères et les diableries, les valets de Satan, étaient souvent représentés allant au delà de ses ordres, afin de signaler leur dévouement pour ses intérêts.

Il a les quatre poils du diable.

Autrefois, lorsqu’on voulait attacher aux contrats de vente ou de donation un caractère spécial de validité, c’était l’usage que les vendeurs ou les donateurs offrissent trois ou quatre poils de leur barbe, qui étaient insérés dans les sceaux des titres remis aux acquéreurs ou aux donataires, comme l’atteste la formule suivante citée par Ducange, au mot barba : « Pour que cet écrit reste à toujours fixe et stable, j’y ai apposé la force de mon sceau, avec trois poils de ma barbe. » C’est par allusion à cet usage qu’on dit en certains endroits, notamment du côté de la Suisse, pour désigner un rusé fripon qui vient à bout de tout ce qu’il entreprend, comme s’il avait fait pacte avec l’esprit infernal : Cet homme a les quatre poils du diable.

Ce qui vient du diable retourne au diable.

Ce qui est acquis par des moyens illégitimes ne se conserve pas, ou ne fait aucun profit. — Richard-Cœur-de-Lion avait coutume d’employer ce proverbe en parlant de sa famille qui, depuis Robert-le-Diable, père de Guillaume-le-Conquérant, s’était souillée de toutes sortes de vices et de crimes. Du diable nous venons, disait-il, et au diable nous retournons. Saint Bernard avait dit le même mot en, parlant de Henri II, père de Richard-Cœur-de-Lion. De diabolo venit et ad diabolum ibit ; il vient du diable, et au diable il retournera. (J. Bronton, Ap. scr. fr., xiii, 215.)

Quand il dort le diable le berce.

Mot proverbial dont on se sert en parlant d’un homme inquiet, impatient, malicieux, qui ne songe qu’à tourmenter les autres, et qui se tourmente lui-même. Les Allemands nous ont pris ce mot pour nous l’appliquer. Quand le Français dort, disent-ils, le diable le berce. Ce qui est parfaitement vrai, si l’on en restreint l’application à la vivacité française pour laquelle le repos est un état violent et incommode.

Si le diable sortait de l’enfer pour se battre, il se présenterait aussitôt un Français pour accepter le défi.

Et c’est le cas de dire que le diable aurait affaire à forte partie.

L’ardeur guerrière du Français est très bien caractérisée dans ce vieux proverbe.

De jeune ange vieux diable.

On a observé que les caractères pleins de douceur dans le premier âge ont, en général, beaucoup de vivacité et de malice dans un autre âge. Ce changement est peut-être moins un effet de la nature que de l’éducation. C’est ainsi que le rosier, qui nait sans épines sur les hautes Alpes, se hérisse de pointes acérées lorsqu’il est cultivé dans nos jardins.

C’est le diable à confesser.

Expression très usitée en parlant d’une personne dont on ne peut tirer quelque aveu, ou dont on ne peut obtenir ce qu’on désire, et par extension, d’une chose très difficile, presque impossible.

Loger le diable dans sa bourse.

Un homme n’ayant plus ni crédit ni ressource,
Et logeant le diable en sa bourse,
C’est-à-dire n’y logeant rien.

(La Fontaine, fable 16 du livre ix.)

On a prétendu que cette expression devait son origine à une anecdote qui est racontée fort agréablement dans l’épigramme, suivante de notre vieux poëte Saint-Gelais :

Un charlatan disait en plein marché
Qu’il montrerait le diable à tout le monde.
Si n’y eust nul, tant fust-il empesché,
Qui ne courust pour voir l’esprit immonde.

Lors une bourse assez large et profonde,
Il leur déploye et leur dit : Gens de bien,
Ouvrez vos yeux, voyez, y a-t-il rien ?
— Non, dit quelqu’un des plus près regardans.
— Et c’est, dit-il, le diable ; oyez-vous bien
Ouvrir sa bourse et ne voir rien dedans ?

Ce n’est point de là certainement que l’expression est venue. Elle a précédé l’anecdote qui lui doit une bonne partie de son sel, et elle est née à une époque où toutes les monnaies étaient frappées à l’effigie de la croix, signe très redouté du diable, comme chacun sait : ce qui donna lieu d’imaginer que si le diable voulait se glisser dans une bourse, il fallait nécessairement qu’il n’y eût ni sou ni maille. Cette explication se justifie par un vieux proverbe fort original que voici : Le plus odieux de tous les diables est celui qui danse dans la poche, quand il n’y a pas la moindre pièce marquée du signe de la croix pour l’en chasser.

Les menteurs sont les enfants du diable.

Le diable est nommé le père du mensonge dans l’Écriture sainte, et le mot grec διάϐολος, d’où dérive le nom du diable, signifie calomniateur.

Envoyer quelqu’un à tous les mille diables.

On croit que cette expression proverbiale fait allusion à une bande de voleurs qui exercèrent un fameux brigandage, en 1523, dit l’historien Duplex, et se firent nommer les mille diables.

  1. On lit dans la Dama Duende, comédie de Calderon de la Barca : « C’était un diable si petit ; et il portait un capuchon si petit, qu’à ces signes je crois que c’était le diable-capucin. » Cobaruvias dit que le nom de duende a été formé par contraction de dueno de casa, maître de la maison.