Dictionnaire des proverbes (Quitard)/charbonnier

charbonnier. — La foi du charbonnier.

Le diable déguisé en docteur de Sorbonne entra un jour dans la cabane d’un charbonnier qu’il voulait tenter, et lui dit : Que crois-tu ? — Je crois ce que croit la sainte Église. — Et que croit la sainte Église ? — Elle croit ce que je crois. L’esprit malin vit échouer toutes ses ruses contre de telles réponses, et fut obligé de renoncer à son projet. De ce conte est venue, dit-on, l’expression de la foi du charbonnier, pour signifier une foi simple et sans examen.

Charbonnier est maître chez soi.

François Ier s’étant égaré à la chasse entra, à la nuit tombante, dans la cabane d’un charbonnier dont il trouva la femme seule et accroupie auprès du feu. C’était en hiver, et le temps était pluvieux. Le roi demanda à souper et à passer la nuit ; mais il fallut attendre le retour du mari, ce qu’il fit en se chauffant assis sur l’unique chaise qu’il y eût dans la cabane. Arrive enfin le charbonnier, las de son travail, tout mouillé et fort affamé. Le compliment d’entrée ne fut pas long. À peine eut-il salué son hôte et secoué son chapeau couvert de pluie, qu’il se fit rendre le siége que le roi occupait, et prit la place la plus commode en disant : J’agis ainsi sans façon, parce que c’est mon habitude et que cette chaise est à moi.

Or, par droit et par raison,
Chacun est maître en sa maison.

François Ier applaudit au proverbe, et s’assit sur une sellette de bois. On soupa, on régla les affaires du royaume. Le charbonnier se plaignait des impôts, et voulait qu’on les supprimât. Le prince eut de la peine à lui faire entendre raison. Eh bien ! soit, répondit notre homme ; mais ces défenses rigoureuses contre la chasse, les approuvez vous aussi ? Je vous crois fort honnête homme, et je pense que vous ne me dénoncerez pas. J’ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre, mangeons-le ; et que le grand nez[1] n’en sache rien. François Ier promit tout, soupa avec appétit, se coucha sur des feuilles sèches et dormit bien. Le lendemain, sa suite l’ayant rejoint, il se fit connaître au charbonnier qui se crut perdu ; il lui paya généreusement l’hospitalité qu’il en avait reçue et lui permit la chasse. C’est à cette aventure, rapportée dans les Commentaires de Blaise de Montluc, qu’on attribue le proverbe Charbonnier est maître chez soi, qui n’est qu’une variante de celui dont le charbonnier se servit.

  1. C’est le nom que le peuple donnait à François Ier, dont le nez était un remarquable morceau d’histoire naturelle. Louis Aleaume, lieutenant-général d’Orléans et bon poëte latin, a dit de ce prince :

    Occupat immenso qui tota numistnata naso.