Dictionnaire des proverbes (Quitard)/botte

botte. — À propos de bottes.

Régnier Desmarais dit dans sa grammaire : « À propos est entièrement du style familier ; et non-seulement il s’emploie fort ordinairement dans la conversation à la liaison de deux choses qui ont d’ailleurs quelque convenance ensemble, comme, À propos de cela je vous dirai ; à propos de ce que vous dites ; à propos de tableaux, je sais un homme qui en a de beaux à vendre, mais on s’en sert aussi à lier des choses qui n’ont aucun rapport l’une avec l’autre, comme, À propos, j’avais oublié de vous dire. Et c’est de l’abus qu’on fait de cette sorte de conjonction de transition qu’est venue la phrase proverbiale À propos de bottes, qui se dit comme par reproche d’un pareil abus. »

Il se peut qu’elle soit venue de là, ainsi que celle des Italiens, A propositio di un chiodo di carro, à propos d’un clou de charrette ; mais elle peut avoir eu une origine historique que je vais rapporter.

Un seigneur de la cour de François Ier venait de perdre un procès. Le roi lui demanda quel était le prononcé du jugement. — Sire, répondit-il, le jugement porte que je dois être débotté. — Débotté, dites-vous ? — Oui, sire ; j’ai bien compris ces mots : Dicta curia debotavit et debotat dictum actorem, etc. — Ah ! je vous entends, reprit le monarque en riant ; vous me signalez un abus toujours subsistant, malgré mes ordonnances[1] ; l’avis n’est pas à dédaigner. Colin, lecteur royal, était présent à ce dialogue. Il s’éleva contre l’usage barbare de rendre la justice en latin, et depuis, toutes les fois que l’occasion s’en offrit, il soutint la même thèse en répétant le debotavit et debotat à l’appui de ses arguments. La plaisanterie eut un bon effet. Elle porta François Ier à donner l’ordonnance de Villers-Cotterets, qui prescrivit que dorénavant tous les arrêts judiciaires seraient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. Cette célèbre ordonnance, à l’exécution de laquelle on tint la main, excita le mécontentement des gens de pratique dont elle bouleversait le protocole. Ils crurent en faire une grande critique en disant qu’elle était venue à propos de bottes, et c’est alors que fut mise en vogue cette expression pour signifier une chose faite ou dite hors de propos, sans motif raisonnable. Je dis seulement fut mise en vogue, car elle existait déjà. Je me souviens de l’avoir trouvée dans un livre antérieur au règne de François Ier, avec une annotation marginale qui en a rapporté l’origine à une autre époque et à une autre cause. L’époque est celle de l’occupation de la France par les Anglais, et la cause est le caprice des officiers de leur armée dans la manière d’imposer certaines villes et certains villages que leur roi leur avait assignés comme fiefs. Non contents d’en percevoir les revenus ordinaires, ils se fesaient payer encore assez fréquemment de fortes sommes pour leurs souliers et pour leurs bottes, ce qui introduisit l’expression proverbiale par allusion à une telle bizarrerie.

Mettre du foin dans ses bottes.

Au temps des chaussures à la poulaine, dont la grandeur était proportionnée au rang de ceux qui les portaient, on garnissait ordinairement de foin les vides que les pieds ne devaient pas remplir dans ces chaussures ; et c’est ce qui donna lieu à l’expression proverbiale, Il a mis du foin dans ses bottes, qu’on emploie en parlant d’un homme devenu riche par des moyens peu honnêtes. C’est comme si l’on disait : voilà un homme dont les bottes n’ont pas été faites pour lui ; ou bien, en passant du sens propre au sens figuré, voilà un homme dont la fortune ne lui est pas venue légitimement.

Il y a laissé ses bottes.

Il y est mort. — Métaphore tirée des hommes de guerre d’autrefois, qui partaient bien bottés et bien éperonnés pour des expéditions dangereuses d’où ils ne revenaient pas toujours. Il y a laissé ses houseaux est absolument la même métaphore, car les houseaux étaient une espèce de bottines ou de brodequins qui se fermaient avec des boucles et des courroies. Ces deux expressions ne s’employèrent primitivement qu’en parlant des nobles ou chevaliers auxquels une pareille chaussure était spécialement affectée, parce qu’ils combattaient seuls à cheval. Les roturiers combattaient à pied, et portaient des guêtres ; ce qui donna naissance à la locution, Il y a laissé ses guêtres, plus communément usitée aujourd’hui que les deux autres.

Graisser ses bottes.

Ce qui a été dit dans l’article précédent explique pourquoi cette façon de parler signifie se préparer à la mort, être sur le point de faire le grand voyage.

  1. Avant l’ordonnance que François Ier rendit à Villers-Cotterets, au mois d’août 1539, il en avait rendu deux autres sur le même sujet, celle de 1532 et celle de 1529. Il s’était montré en cela imitateur de Louis XII, qui avait prescrit par un arrêt de 1512 d’employer le langage françois uniquement et exclusivement à tout autre dans les actes publics, et Louis XII lui-même n’avait fait que suivre l’exemple de Charles VIII, dont un décret daté de 1490 exigeait que les dépositions judiciaires fussent écrites en français. Mais l’usage de cette rédaction en langue maternelle remonte beaucoup plus haut. Il était assez fréquent sous le règne de Louis IX ; et il y a des preuves irrécusables qu’il existait du temps de Philippe-Auguste, même du temps de Louis VII.