Dictionnaire des proverbes (Quitard)/baise-main

baise-main. — À belles baise-mains.

On dit faire une chose, recevoir une grâce à belles baise-mains, pour signifier avec soumission et reconnaissance. Baise-mains n’est féminin que dans cette expression adverbiale, venue de la coutume de rendre hommage à une personne, soit en lui baisant la main, soit en se baisant la main.

Cette coutume, très ancienne et presque universellement répandue, a été également partagée entre la religion et la société. Dans l’antiquité la plus reculée, on saluait le soleil, la lune et les étoiles en portant la main à la bouche. Job assure qu’il n’a point donné dans cette superstition : Si vidi solem cùm fulgeret aut lunam incedentem clarè, et osculatus sum manum meam ore meo.

On lit dans l’Écriture : « Je me suis réservé, dit le Seigneur, sept mille hommes qui n’ont point fléchi les genoux devant Baal, et qui ne l’ont point adoré en baisant la main. »

Salomon rapporte que les flatteurs et les suppliants de son temps ne cessaient point de baiser les mains de leurs patrons jusqu’à ce qu’ils en eussent obtenu les faveurs qu’ils désiraient. Priam baisait les mains d’Achille, teintes du sang de son fils Hector, pour le conjurer de lui rendre le corps de ce malheureux fils.

Les Romains adoraient les dieux en portant la main droite à la bouche : In adorando, dit Pline, dexteram ad osculum referimus. Ils fesaient de même, dans les premiers temps de la république, pour témoigner leur respect ; mais ce n’étaient que des subalternes qui agissaient ainsi à l’égard des supérieurs ; les personnes libres se donnaient simplement la main ou s’embrassaient. L’amour de la liberté alla si loin, dans la suite, que les soldats mêmes ne rendaient pas volontiers ce devoir à leurs généraux, et l’on regarda comme quelque chose d’extraordinaire la démarche des soldats de l’armée de Caton, qui allèrent tous lui baiser la main, lorsqu’il fut obligé de quitter le commandement. Plus tard, ils devinrent moins délicats : la grande considération dont jouirent les tribuns, les consuls et les dictateurs, porta les particuliers à vivre avec eux d’une manière plus respectueuse ; au lieu de les embrasser comme auparavant, ils étaient trop heureux de leur baiser la main, et c’est ce qu’ils appelaient accedere ad manum. Sous les empereurs, cette conduite devint un devoir essentiel, même pour les grands dignitaires, car les courtisans d’un rang inférieur devaient se contenter d’adorer la pourpre, ce qu’ils faisaient en se mettant à genoux pour toucher la robe impériale avec la main droite qu’ils portaient ensuite à leur bouche ; mais cet honneur devint avec le temps le partage exclusif des consuls et des premiers officiers de l’état. Il ne fut permis aux autres de saluer l’empereur que de loin, en portant la main à la bouche de la même manière que dans l’adoration des dieux. Dioclétien fut le premier qui se fit baiser les pieds.

Fernand Cortez trouva l’usage des baise-mains établi au Mexique, où plus de mille seigneurs vinrent le saluer, en touchant la terre avec leurs mains qu’ils portaient ensuite à la bouche.

En France, les courtisans étaient admis à l’honneur de baiser la main du roi, les vassaux baisaient celle de leur suzerain, et les fidèles baisaient celle du prêtre, lorsqu’ils allaient à l’offrande, ce qui a fait désigner l’offrande par le nom de baise-main. Cette dernière pratique a été remplacée par le baisement de la patène ; les deux autres n’existent plus. On regarde aujourd’hui comme une trop grande familiarité ou comme une trop grande bassesse de baiser la main de ceux avec qui on est en société. Aussi Je vous baise les mains, qui était autrefois une expression de civilité, n’est plus qu’une formule ironique.