Dictionnaire des proverbes (Quitard)/argent

argent. — L’argent est un bon serviteur, mais c’est un mauvais maître.

Ce proverbe a été attribué au chancelier Bacon, mais il existait avant Bacon ; peut-être a-t-il été inspiré par ce vers d’Horace :

Imperat aut servit collecta pecunia cuique ;

ou bien par ce mot sur Caligula : « Il n’y eut jamais un meilleur esclave ni un plus mauvais maître. »

Il faut pouvoir dire de l’argent ce que le philosophe Aristippe disait d’une belle courtisane : « Je possède Laïs sans qu’elle me possède. »

L’argent fait tout.

Nummus vincit, nummus regnat, nummus imperat.

On lit dans l’Ecclésiaste : Pecuniæ obediunt omnia.

Les Italiens disent : Il danaro e un compendio del poter humano.

Argent comptant porte médecine.
pour signifier qu’il est d’un grand secours, qu’il guérit bien des maux.

L’argent est un remède à tout mal, hormis à l’avarice.

L’esprit, le temps, l’argent, sont trois grands médecins ;
L’argent seul !… est-il rien, excepté l’avarice,
Que ce doux élixir n’endorme et ne guérisse ?

(Piron, École des Pères, act. iii, sc. 3.)

Argent fait perdre et pendre gent.

Nos pères, qui aimaient les jeux de mots, disaient encore : Argent ard gent. Ard est la troisième personne du présent indicatif du vieux verbe ardre ou arder (brûler).

Les Italiens disent : Qui veut s’enrichir dans un an se fait pendre dans six mois.

Qui a de l’argent a des pirouettes (ou des cabrioles).

Ce proverbe signifie, au propre, que celui qui a de l’argent saute et danse volontiers, et, au figuré, qu’il a de quoi se réjouir, de quoi satisfaire ses fantaisies et se procurer tout ce qui lui plaît ; explication plus juste et plus naturelle que celle qu’on trouve dans la plupart des auteurs, qui disent seulement que celui qui a de l’argent a de tout, laissant à deviner pour quel motif il est question de pirouettes ou de cabrioles.

Chargé d’argent comme un crapaud de plumes.

Le proverbe précédent nous a montré l’homme qui a de l’argent plein de légèreté et prêt à entrer en danse ; celui-ci assimile l’homme sans argent à un lourd reptile : en effet, quand on a la bourse bien garnie, on se sent plus léger, comme si le contentement était une espèce de ressort secret qui favorise l’aisance des mouvements ; et quand on a la bourse vide, on se sent plus lourd, comme si la tristesse était un poids invisible sous lequel on ne peut avoir une allure dégagée : deux faits qui sont en raison inverse des lois du système de gravité. Il est probable que cette différence a été présente à l’esprit de l’homme qui le premier a imaginé de dire chargé d’argent comme un crapaud de plumes ; elle est du moins caractérisée dans cette expression. On sait que l’argent et les plumes se confondent sous une même idée, dans plusieurs façons de parler usitées parmi le peuple, comme se remplumer, plumer quelqu’un, avoir des plumes de quelqu’un au jeu, laisser ses plumes au jeu, etc.

Les Polonais disent : Nu comme un saint turc, parce que les dervis ou derviches, religieux turcs qui font profession de pauvreté, vont toujours les jambes nues et la poitrine découverte, à l’imitation des gymnosophistes indiens, qui avaient adopté la nudité comme emblème de leur amour pour la vérité nue.

L’argent est rond pour rouler.
Maxime des prodigues.
L’argent est plat pour s’entasser.
Maxime des avares.
Semer l’argent.

Cette expression fut d’abord employée littéralement pour désigner une prodigalité mémorable qui eut lieu dans une cour plénière tenue à Beaucaire par Raymond V, comte de Toulouse, en 1174. Le sire de Simiane, d’autres disent Bertrand de Raiembaus ou Raibaux, cherchant à surpasser en magnificence tous ses rivaux, fit labourer avec douze paires de taureaux blancs les cours et les environs du château, et y fit semer 30,000 sous en deniers, somme équivalente à 600 marcs d’argent fin, puis que 50 sous formaient alors un marc.

L’argent prêté veut être racheté.

C’est-à-dire que celui qui a prêté son argent a autant de peine à le recouvrer qu’il en aurait à le gagner, car on trouve presque toujours dans la main qui l’a reçu la main qui refuse de le rendre.

Ne prêtez point votre argent à un grand seigneur.

Proverbe pris des paroles de l’Ecclésiastique (ch. 9, v. 1) : Noli fænerari homini fortiori te : quod si fæneraveris quasi perditum habe. Ne prêtez point votre argent à un homme plus puissant que vous ; et si vous le lui avez prêté, tenez-le pour perdu.

Le conseil que donne ce proverbe se trouvait fort bon à suivre dans l’ancien temps, où les grands seigneurs pouvaient facilement abuser de leur position pour faire attendre longtemps tout créancier bourgeois qui réclamait son argent, et pour le punir de cette liberté grande : c’était alors un de leurs plaisirs et même un de leurs priviléges. Les registres du parlement et les taxes des chancelleries royales constatent qu’ils obtenaient quelquefois des lettres de non payer ; et l’on sait que Philippe de Valois, voulant se montrer reconnaissant envers ceux qui avaient aidé à son élévation, leur octroya de pareilles lettres, en grande quantité. Le témoignage de ces faits n’est pas consigné dans l’histoire seulement, il l’est aussi dans le langage, car on dit, en parlant d’un débiteur qui tarde à satisfaire à ses engagements : Il se croit dispensé de payer ses dettes.

Les Basques se servent du proverbe suivant : Ne prête pas ton argent à celui à qui tu serais obligé de le redemander le chapeau à la main.

Si vous voulez savoir le prix de l’argent, essayez d’en emprunter.

En ce cas, il faut payer l’argent au poids de l’or.

L’argent ne sent pas mauvais.

On dit aussi : L’argent n’a point d’odeur.

L’empereur Vespasien, ayant mis un impôt sur les latrines, contre l’avis de son fils Titus, prit une pièce du premier argent qu’il en retira, et l’approcha du nez de ce prince, en disant : « Cela sent-il mauvais ? » ce qui donna lieu au proverbe, dont Juvénal s’est servi :

Lucri bonus est odor ex re
Qualibet.

(Sat. 14, v. 204.)

L’argent qu’on gagne sent toujours bon, de quelque part qu’il vienne.

Ennius avait dit :

Unde habeas curat nemo, sed oportet habere.

Personne ne s’informe d’où vous avez, mais il faut avoir.

Les Anglais disent : Money is welcome, though it comes in a dirty clout. L’argent est toujours bien venu, quoiqu’il arrive dans un torchon sale.

Plaie d’argent n’est point mortelle.

Pour exprimer qu’un malheur est supportable lorsqu’on peut l’adoucir par quelque sacrifice d’argent.

Les Russes disent : Ce qu’on peut éviter à force d’argent n’est point un malheur ; le vrai malheur est d’avoir dans sa poche une bourse vide.

Qui n’a point argent en bourse ait miel en bouche.

Quand on est pauvre, il faut filer doux, n’avoir que d’agréables paroles, car si l’on passe au riche quelques grossièretés, on n’en passe aucune au pauvre.

Ne touchez point à l’argent d’autrui, car le plus honnête homme n’y ajouta jamais rien.

Avertissement qu’on donne, par manière de plaisanterie, à quelqu’un qui prend dans ses mains de l’argent qui ne lui appartient pas.

Avoir de l’esprit argent comptant.

Cette expression est littéralement traduite de l’expression latine Habere ingenium in numerato, dont l’empereur Auguste se servait pour caractériser le talent du célèbre Vinicius, et dont Quintilien a fait l’application à un orateur habile à improviser sur toute sorte de sujets. L’abbé Gedoin l’a rendue ainsi : Avoir toutes les richesses de son esprit en argent comptant.

Un vieux traducteur avait dit : En bonne pécune nombrée.

Argent sous corde.

On dit Jouer, payer argent sous corde, dans le même sens que Jouer, payer argent comptant, ou argent sur table. C’est une métaphore prise du jeu de paume, où l’on met l’argent sous la corde.