Dictionnaire des proverbes (Quitard)/aimer

aimer. — Il faut aimer pour être aimé.

Proverbe rapporté par Sénèque, Si vis amari, ama, et très bien expliqué dans ce passage de J.-J. Rousseau : « On peut résister à tout, hors à la bienveillance, et il n’y a pas de moyen plus sûr de gagner l’affection des autres que de leur donner la sienne… On sent qu’un tendre cœur ne demande qu’à se donner, et le doux sentiment qu’il cherche vient le chercher à son tour. »

La bonté, dit Bossuet, est le premier attrait que nous avons en nous-même pour gagner les autres hommes. Les cœurs sont à ce prix, et celui dont la bonté n’est pas le partage, par une juste punition de sa dédaigneuse insensibilité, demeure privé du plus grand bien de la vie humaine, c’est-à-dire des douceurs de la société.

C’est trop aimer quand on en meurt.

Ce proverbe est du moyen âge, dont il atteste la simplicité. Il n’a plus d’application dans notre siècle égoïste. On dit, au contraire, aujourd’hui : Mort d’amour et d’une fluxion de poitrine.

Mieux vaut aimer bergères que princesses.

On a voulu chercher une origine historique à ce proverbe qui est né peut-être d’une réflexion naturelle, et l’on a trouvé cette origine dans l’affreux supplice que subirent deux gentilshommes normands, Philippe d’Aunai et Gautier, son frère, convaincus d’avoir eu, pendant trois ans, un commerce adultère avec les princesses Marguerite et Blanche, épouses des deux fils de Philippe-le-Bel, Louis et Charles. Les chroniques en vers de Godefroy de Paris (manuscrits de la Bibliothèque royale, no 6812) nous apprennent que les deux coupables furent écorchés vifs, traînés, après cela, dans la prairie de Maubuisson tout fraîchement fauchée, puis décapités et pendus par les aisselles à un gibet. Quant aux deux princesses, elles furent honteusement tondues et incarcérées. Marguerite fut étranglée, dans la suite, au château Gallard, par ordre de son mari Louis-le-Hutin, qui voulut se remarier, en montant sur le trône. Blanche languit dans une longue captivité.

Aimer mieux de loin que de près.

Expression qui a beaucoup de rapport avec ce vers qu’Alcyone adresse à Céix (Métamorph. d’Ovid., liv. ix) :

Jam via longa placet, jam sum tibi carior absens.

Il est très vrai qu’on aime mieux certaines personnes lorsqu’on n’est plus auprès d’elles, parce que leurs défauts, rendus moins sensibles et presque effacés par l’éloignement, ne contrarient plus la tendre impulsion du cœur. Mais ce n’est point là ce qu’on entend d’ordinaire quand on dit aimer mieux de loin que de près. Cette phrase ne s’emploie guère que pour signifier qu’on ne se soucie point d’avoir un commerce assidu avec une personne.

Feindre d’aimer est pire que d’être faux monnayeur.

Il n’est pas besoin d’observer que ce proverbe est du temps des Amadis.

Il faut connaître avant d’aimer.

Maxime bonne pour l’amitié, mais inutile pour l’amour, qui n’est jamais déterminé par la réflexion.

Aime comme si tu devais un jour haïr.

Ce mot, que Scipion regardait comme le plus odieux blasphème contre l’amitié, est attribué à Bias par Aristote, qui dit dans sa Rhétorique : « L’amour et la haine sont sans vivacité dans le cœur des vieillards ; suivant le précepte de Bias, ils aiment comme s’ils devaient haïr un jour ; ils haïssent comme s’ils devaient un jour aimer. » Cependant Cicéron ne peut croire que la première partie de cette sentence appartienne à un homme aussi sage que Bias : la seconde, en effet, est seule digne de lui. Il est probable, comme le remarque M. Jos-Vict-Leclerc, que le philosophe de Priène s’était contenté de dire : Haïssez comme si vous deviez aimer, et qu’on a ajouté le reste pour former antithèse et pour appuyer une fausse maxime d’une grande autorité. Quoi qu’il en soit, cette maxime n’en est pas moins passée en proverbe, par une espèce de fatalité qui, trop souvent, fait retenir ce qui est mal et oublier ce qui est bien. Mais ce n’a pas été pourtant sans une forte opposition. Tous les auteurs qui ont écrit sur l’amitié se sont attachés à la combattre. Les deux meilleures réfutations qu’on en ait faites sont ce mot de César, J’aime mieux périr une fois que de me défier toujours, et ces vers de Gaillard que La Harpe a cités dans son Cours de Littérature :

Ah ! périsse à jamais ce mot affreux d’un sage,
Ce mot, l’effroi du cœur et l’effroi de l’amour :
« Songez que votre ami peut vous trahir un jour ! »
Qu’il me trahisse, hélas ! sans que mon cœur l’offense,
Sans qu’une douloureuse et coupable prudence,
Dans l’obscur avenir, cherche un crime douteux.
S’il cesse un jour d’aimer, qu’il sera malheureux !
S’il trahit nos secrets, je dois encor le plaindre.
Mon amitié fut pure et je n’ai rien à craindre.
Qu’il montre à tous les yeux les secrets de mon cœur ;
Ces secrets sont l’amour, l’amitié, la douleur,
La douleur de le voir, infidèle et parjure,
Oublier ses serments comme moi son injure.

Vivre avec nos ennemis, dit La Bruyère, comme s’ils devaient être un jour nos amis, et vivre avec nos amis comme s’ils pouvaient devenir nos ennemis, n’est ni selon la nature de la haine, ni selon les règles de l’amitié. Ce n’est point une maxime de morale, mais de politique.

Qui m’aime, me suive.

Philippe vi de Valois était à peine sur le trône de France qu’il fut engagé à la guerre contre les Flamands. Comme son conseil ne paraissait pas approuver cette guerre qu’il embrassait avec une extrême avidité, il porta sur Gaucher de Châtillon[1] un de ces regards qui semblent vouloir enlever les suffrages. « Et vous, seigneur connétable, lui dit-il, que pensez-vous de tout ceci ? Croyez-vous qu’il faille attendre un temps plus favorable ? — Sire, répondit le guerrier, qui a bon cœur, a toujours le temps à propos. « Philippe, à ces mots, se lève transporté de joie, court au connétable, l’embrasse et s’écrie : Qui m’aime, si me suive ! Saint-Foix, qui rapporte le fait, prétend que ce fut l’origine du proverbe ; mais il est sûr que ce n’en fut que l’application. Le proverbe existait longtemps auparavant, puisqu’il se trouve dans ce vers de Virgile :

Pollio, qui te emat veniat quo te quoque gaudet.

Il remonte jusqu’à Cyrus, qui exhortait ses soldats en s’écriant : Qui m’aime, me suive !

Qui bien aime, bien châtie.

Qui benè amat, benè castigat.

Le conseil exprimé par ce proverbe, étranger aux mœurs actuelles, fut un des points fondamentaux de la méthode du stoïcien Chrysippe pour l’éducation des enfants. Il paraît même avoir fait partie de la doctrine socratique, si l’on en juge par la quatrième scène du cinquième acte des Nuées d’Aristophane, où un disciple de Socrate est représenté battant son père, en disant : « Battre ce qu’on aime est l’effet le plus naturel de tout sentiment d’affection ; aimer et battre ne sont qu’une même chose. Τοῦτ ἔς̓ ευνοεῖν τὸ τυ҆πτειν. »

Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a.

Proverbe qui se trouve dans presque toutes les langues, tant la vérité qu’il exprime est généralement reconnue. Il n’y pas de maladie plus cruelle, disaient les Celtes, que de n’être pas content de son sort.

Aime-moi un peu, mais continue.

Pour dire qu’on préfère une affection modérée mais durable, à une affection excessive qui est sujette à passer promptement.

Qui aime Bertrand aime son chien.

Pour signifier que quand on aime quelqu’un, il faut aimer aussi tout ce qui l’intéresse.

  1. Ce guerrier magnanime, disent les historiens, avait eu l’honneur de recevoir l’ordre de chevalerie des mains de saint Louis, et s’était montré, pendant sept règnes consécutif, le plus ferme appui du trône de ses maîtres.