Dictionnaire des proverbes (Quitard)/affaire

affaire. — Dieu nous garde d’un homme qui n’a qu’une affaire.

Parce qu’un homme qui n’a qu’une affaire, dit Leroux, en est ordinairement si occupé, qu’il en fatigue tout le monde. — La pensée suivante de Montesquieu semble avoir été écrite pour servir de commentaire à ce proverbe. « Les gens qui ont peu d’affaires sont de très grands parleurs : moins on pense, plus on parle. Ainsi les femmes parlent plus que les hommes : à force d’oisiveté, elles n’ont point à penser. »

Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints.

Il vaut mieux avoir affaire au roi qu’à ses ministres, et, en général, à un homme puissant qu’à ses subalternes.

Voltaire s’est amusé à rattacher l’origine de ce proverbe à un conte spirituel et plaisant, que je vais transcrire. « Il y avait autrefois un roi d’Espagne, qui avait promis de distribuer des aumônes considérables à tous les habitants d’auprès de Burgos, qui avaient été ruinés par la guerre. Ils vinrent aux portes du palais ; mais les huissiers ne voulurent les laisser entrer qu’à condition qu’ils partageraient avec eux. Le bonhomme Cardéro se présenta le premier au monarque, se jeta à ses pieds et lui dit : Grand roi, je supplie votre altesse royale[1] de faire donner à chacun de nous cent coups d’étrivières. Voilà une plaisante demande ! dit le roi ; pourquoi me faites-vous cette prière ? C’est, dit Cardéro, que vos gens veulent absolument avoir la moitié de ce que vous nous donnerez. Le roi rit beaucoup, et fit un présent considérable à Cardero : de là vient le proverbe qu’Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. »

Se non e vero, e bene trovato, si ce n’est vrai, c’est bien trouvé, mais trouvé pourtant après Straparole, qui, dans la troisième fable de sa septième Nuit, fait jouer au bouffon Cimaroste, introduit auprès du saint-père, un rôle pareil à celui que Voltaire fait jouer au bonhomme Cardéro. La seule différence notable qu’il y ait entre les deux narrations, c’est que le proverbe ne se trouve pas mentionné dans celle de l’auteur italien ; ce qui prouverait, s’il en était besoin, qu’il a dû sa naissance à quelque autre fait. Tout porte à croire qu’il a été imaginé par allusion aux saints gélifs ou saints vendangeurs, ainsi nommés parce que leurs fêtes, qui arrivent au mois d’avril, sont notées dans le calendrier populaire comme des jours où la gelée est pernicieuse aux semences et aux vignes. Ces saints, qu’on désigne aussi par les diminutifs Georget, Marquet, Jacquet, Croiset, Pérégrinet et Urbinet, étaient rendus responsables, autrefois, de la maligne influence de la saison, sur laquelle on croyait qu’ils avaient autorité ; et les agriculteurs ainsi que les vignerons à qui elle causait quelque dommage, regrettant de les avoir invoqués en vain, leur adressaient des reproches, qui se résumèrent dans la formule proverbiale : Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. Mais il est à remarquer qu’ils ne s’en tenaient pas d’ordinaire à une telle plainte. On lit, dans le Recueil des Statuts synodaux des églises de Cahors et Rhodez, par D. Martenne, que souvent ils fustigeaient et mutilaient leurs statues, lacéraient leurs images, les foulaient aux pieds et les traînaient dans la boue, à travers les ronces et les orties, jusqu’à la rivière, où ils les précipitaient, en poussant des cris d’insulte et de réprobation. Sanctorum imagines seu statuas irreverenti ausu tractantes, cum est intemperies aëris vel tempestatis, … in terra protrahunt, in orticis vel spinis supponunt, verberant, dilaniant, percutiunt et submergunt penitus reprobantes, etc.

Rabelais a dit, par plaisanterie sans doute, que François de Dinteville, évêque d’Auxerre, voulant faire cesser de tels désordres, avait eu la pensée de faire transférer les saints gélifs dans le temps de la canicule, et de mettre la mi-août au mois d’avril.

Un chapelain du cardinal de Richelieu fit une variante assez plaisante au proverbe Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. Un jour qu’il avait attendu longtemps son éminence, à qui des occupations importantes fesaient oublier la messe, il se crut dispensé de la dire, et, sortant de la chapelle, il entra dans une salle voisine, où deux de ses amis étaient à déjeuner. Invité à se mettre à table avec eux, il hésita d’abord, et puis il se laissa aller à la tentation. Mais à peine eut-il porté le premier morceau à la bouche qu’on vint le chercher pour remplir son ministère, chose que sa conscience lui défendait de faire, puisqu’il n’était plus à jeun. Comme il se lamentait sur l’alternative fâcheuse à laquelle il se trouvait réduit d’offenser Dieu ou de déplaire au cardinal, on lui conseilla d’aller s’excuser auprès du cardinal, qui entendrait facilement raison. Mais le pauvre abbé, qui connaissait bien son homme, n’envisagea qu’avec frayeur la démarche qu’on lui proposait, et il ne put s’empêcher, dit-on, de s’écrier : Oh ! j’aime mieux avoir affaire à Dieu qu’à monsieur le cardinal.

Les affaires font les hommes.

Pour signifier qu’une personne peu habile peut le devenir beaucoup à force de pratiquer les affaires. À demain les affaires.

C’est-à-dire, amusons-nous aujourd’hui sans penser à aucune affaire.

Pendant que Thèbes gémissait sous le joug des Spartiates, Archias, gouverneur de cette ville, fut invité un jour, avec ses principaux officiers, chez un riche citoyen, nommé Philidas, à un repas somptueux, après lequel de séduisantes courtisanes devaient se joindre aux convives pour célébrer avec eux la fête de Vénus qui avait lieu ce jour-là. Comme il était plongé dans les délices de la bonne chère, un messager lui apporta des lettres où se trouvait dévoilé le secret d’une conjuration qui était sur le point d’éclater ; il les rejeta en s’écriant : À demain les affaires sérieuses, et il demanda qu’on allât chercher les femmes promises à ses désirs ; mais à la place et sous le vêtement de ces femmes, les conjurés, dont son hôte était le complice et dont Pélopidas était le chef, furent introduits dans la salle du festin, et l’insensé, qui attendait des caresses, ne reçut que des coups de poignard. Cet événement, qui amena l’affranchissement de la Béotie, obtint une grande célébrité dans la Grèce, et la phrase à demain les affaires, passant de bouche en bouche, devint un proverbe que les insouciants et les amis de la joie affectent maintenant de prendre pour devise, et qu’ils feraient mieux de prendre pour leçon.

  1. Le titre d’altesse, dont la racine est le mot latin altissimus (très élevé), se donnait autrefois aux rois.