Dictionnaire des proverbes (Quitard)/Médard

médard. — S’il pleut le jour de saint Médard,
médard. — Il pleut quarante jours plus tard.

Je regarde saint Médard comme un des meilleurs saints du paradis, et je ne puis croire qu’il soit l’auteur des longues pluies qui tombent trop souvent dans les mois de juin et de juillet. Est-il croyable, en effet, qu’après s’être montré constamment le bienfaiteur des habitants de la campagne, durant son séjour sur la terre, il cherche à leur nuire, depuis son installation dans le ciel, et se donne là-haut le singulier passe-temps d’amonceler des nuages pour noyer leurs fruits et leurs blés ? D’ailleurs sur quoi se fonderait une imputation pareille ? Toutes les observations météorologiques ont constaté que saint Médard, arrivant à une époque où la nature ne songe point encore à devenir variable, ne saurait produire, ni présager aucune intempérie dans la saison. C’est le 8 juin qu’échoit régulièrement la fête de cet aimable fondateur de la rosière de Salency, lorsque les roses brillent dans toute leur pompe ; et une circonstance si peu suspecte ferait plutôt penser que, s’il avait quelque autorité sur l’atmosphère, il aimerait mieux en préparer les plus pures influences, ne fût-ce que pour ces belles fleurs qu’il a destinées à couronner la vertu. Un si doux emploi paraîtrait du moins assorti aux habitudes de sa vie. Pourquoi donc a-t-on imaginé de lui assigner un rôle tout opposé ? À quel propos l’a-t-on représenté triste et sombre auprès d’un long baromètre qui marque une pluie de quarante jours ? J’ai lu quelque part, que cela pourrait avoir eu pour premier fondement une anecdote rapportée par les légendaires. Cette anecdote dit, que saint Médard se trouvait un jour au milieu des champs en nombreuse compagnie, lorsqu’une forte averse fondit tout à coup d’un ciel sans nuage. Tout le monde en fut mouillé jusqu’à la peau, et lui seul n’en reçut pas la moindre goutte, attendu qu’un aigle officieux vint déployer ses vastes ailes au-dessus de sa tête, et lui servir de parapluie jusqu’au logis paternel. Mais pour rattacher à ce fait l’origine du préjugé établi à l’égard de notre saint, il aurait fallu supposer que c’était lui qui avait fait pleuvoir sur son prochain, supposition que le récit de ses pieux biographes n’autorise nullement. Il est beaucoup plus probable que si l’on a fait de saint Médard un intendant des eaux pluviales, un maître du déluge, magister diluvii, comme l’ont appelé de vieilles chroniques, c’est parce que, avant la réformation du calendrier, il avait sa fête plus rapprochée du solstice d’été, dont la présence influe réellement sur le temps. Cependant cela n’indique point la raison des quarante jours de pluie énoncés dans le proverbe. Reste à examiner ce que marque ce nombre de jours qui paraît ne pas avoir été précisé sans dessein. Ne serait-ce point une allusion au déluge ? Ce grand cataclysme, suivant une tradition répandue dans le moyen-âge, commença l’année 600 de l’âge de Noé, au dix-septième jour du second mois nommé chez les Juifs Iiar, ou Zéus, quantième correspondant au 10 mai de notre calendrier, et il finit l’année suivante, après une durée de 394 jours, dont on fait ainsi le calcul.

Durée de la pluie, 40 jours.
Durée de l’augmentation des eaux, 150 jours.
Durée de la diminution des eaux, 150 jours.
Intervalle du dessèchement de la terre, 40 jours.
Attente pour le premier envoi de la colombe, 7 jours.
Attente pour le second envoi de la colombe, 7 jours.
Total 394 jours.

En rappelant ce nombre de jours à l’année solaire, on trouvera que les 365, dont elle se compose, sont compris dans l’espace du 10 mai 600 au 10 mai 601, et que les 29 restants, comptés à partir de cette dernière date (10 mai), aboutissent juste au 8 juin, anniversaire de l’époque où Noé sortit de l’arche et de la fête de saint Médard ; et c’est ce qui a peut-être donné lieu d’imaginer que, s’il vient à pleuvoir ce jour-là, on est menacé d’une pluie de 40 jours ou d’un second déluge.

Ces explications sur l’influence attribuée à saint Médard sont les meilleures qu’il m’ait été possible de donner. Elles s’accordent assez bien avec les mœurs du moyen-âge, où les clercs, seuls possesseurs de quelque science, en rattachaient toutes les observations à des faits religieux vrais ou faux. Je n’ose me flatter toutefois qu’on ne me reprochera point d’avoir laissé un peu la certitude en souffrance. Et qui pourrait se flatter de dire au juste pourquoi le saint du jour fait la pluie et le beau temps ?

Ris de saint Médard.

Grégoire de Tours, chapitre 95 de la Gloire des confesseurs, nous apprend que saint Médard ayant le don d’apaiser le mal de dents, était représenté la bouche entr’ouverte, laissant un peu voir ses dents, pour avertir ceux qui auraient ce mal de recourir à lui. Comme ce saint, entr’ouvrant ainsi la bouche, paraissait rire, mais d’un ris forcé, de là est venue l’expression ris de saint Médard, pour dire un ris à contre-cœur.

Regnier a employé cette expression dans ce vers de sa 8e satire :

D’un ris de saint Médard il me fallut respondre.