Dictionnaire des proverbes (Quitard)/Bray

bray. — Faire comme le curé de Bray.

« Le curé de Bray, dit M. A*** (l’abbé de Feletz) dans le Journal des Débats, avait tant applaudi aux travaux de l’assemblée constituante, qu’on ne doutait point que la constitution décrétée par cette assemblée n’eût obtenu le plus haut degré de son admiration. Il s’extasiait surtout sur la démocratie royale : on le croyait irrévocablement fixé à cette forme de gouvernement ; on n’imaginait point qu’il fût possible d’obtenir son assentiment pour une autre. Cependant le trône est renversé, et le curé de Bray est enchanté. La république est proclamée, il est transporté. La constitution de 1793 lui paraît le chef-d’œuvre de l’esprit humain. Le gouvernement révolutionnaire, qui suspend cette constitution, est à ses yeux une conception sublime. Le 9 thermidor, qui détruit ce gouvernement et renverse le comité du salut public, si cher au bon curé, sauve cependant la pairie. La constitution de l’an iii en fixe les destinées, et le directoire est à jamais le régulateur de la France, enfin libre et heureuse. Le curé de Bray n’avait pas manqué d’envoyer à tous ces gouvernements ses adhésions, ses soumissions, ses félicitations. Il en était là de ses variations politiques et de ses admirations toujours croissantes, lorsqu’un de ses paroissiens, zélé pour la gloire de son pasteur, et craignant qu’elle ne fût compromise par une pareille versatilité dans ses discours et sa conduite, tâcha de lui faire observer, avec beaucoup de ménagements, que peut-être cette rapide succession d’adresses à toutes les factions et de serments à toutes les constitutions pourrait enfin exciter quelques soupçons sur la fermeté de ses principes et le faire accuser à la rigueur de légèreté dans ses actions et d’inconstance dans ses opinions. « Moi, léger ! s’écria le curé tout étonné ; moi, inconstant et variable dans mes opinions, dans mes principes ! Eh ! j’ai toujours voulu être curé de Bray. Il n’y a pas d’homme au monde plus constant que moi. » Nous espérons que cette admirable constance et cette imperturbable ténacité de caractère ne se seront jamais démenties, et que M. le curé aura toujours regardé comme le meilleur des gouvernements, dans le meilleur des mondes possibles, tous ceux qui se sont succédé depuis le directoire, où finit son histoire. Nous espérons surtout qu’il est toujours curé de Bray. »

Cette spirituelle biographie expose très bien les titres en vertu desquels le curé de Bray est devenu le prototype de ces chevaliers de la circonstance, vulgairement appelés girouettes, qui savent si adroitement se prêter aux exigences de tous les événements et revêtir le caractère de tous les régimes ; mais elle pèche contre la vérité historique, en faisant de ce personnage un membre du clergé français auquel il n’a jamais appartenu. Il est anglais, témoin le proverbe : The vicar of Bray is the vicar of Bray still. Le curé de Bray est toujours le curé de Bray. Il a dû sa célébrité à une chanson dans laquelle il explique lui-même les motifs qui l’ont porté à changer quatre fois de religion en passant du catholicisme au protestantisme, et vice versa, sous les règnes successifs de Charles II, de Jacques II, de Guillaume III et de la reine Anne. Voici le refrain de cette chanson :

And this is law, I will maintain
Until my dying day, sir,
That what souver king shall reign,
I will be vicar of Bray, sir.

Et ceci est ma loi, je la soutiendrai jusqu’au jour de ma mort, que, quel que soit le roi qui règne, je serai vicaire de Bray[1].

  1. Bray est un village de Berkshire, dans l’Angleterre proprement dite.