Dictionnaire des mœurs/Texte entier/E
E
Ébauché = Combien d’hommes ne ſont qu’ébauchés ; & auroient été des monſtres, ſi leur éducation avoit été plus finie !
Éblouir = Art plus facile à exercer avec les perſonnes ſenſibles qu’avec les ſots. Le ſentiment eſtime trop ; la bêtiſe n’eſtime pas aſſez.
Ébranlement = Souvent il donne de nouvelles forces, empruntées de l’amour-propre. Quelquefois on feint d’être ébranlé, la victoire alors en devient plus certaine.
Écart = Il fait toujours ſuppoſer de l’eſprit ; & ce préjugé l’empêche de nuire abſolument à la réputation.
Écervelé = Homme que le ſentiment plaint ; que la bonté épargne ; & que la raiſon la plus ſévere ne peut placer qu’au rang des fous.
Échafaud = Théâtre des ſeules Tragédies où l’homme ſoit repréſenté au naturel.
Échauffer = Il eſt des ames froides qui ſemblent vouloir faire la critique du ſentiment par leur procédé continuel ; elles en font enſuite mieux l’éloge qu’aucune autre, quand elles ont ſenti la chaleur bienfaiſante qui fond les glaces de l’indifférence : mais il faut un foyer bien ardent pour les échauffer.
Échouer = C’eſt un événement qui intéreſſe la réputation encore plus que la fortune ; & le ſeul peut-être où l’orgueil prouve l’eſprit. La fierté qu’il inſpire eſt favorable à l’ordre, en ce qu’il prévient les outrages auxquels le malheur & la foibleſſe doivent toujours s’attendre.
Éclaboussure = Elle ne peut tacher que l’habit d’un galant homme, lorſqu’elle vient de la voiture d’un fat.
Éclairer = C’eſt le meilleur, ou le plus mauvais ſervice que l’on puiſſe rendre à un homme ſenſible & conſéquent. La raiſon n’a pas de plus ſage parti à pendre ; & la méchanceté de plus terrible reſſource à employer.
Éclat = Les occaſions ſeules peuvent le juſtifier. Sans leur autorité, comme ſplendeur il eſt orgueil ; comme bruit, il devient ſcandale.
Éclipser = C’eſt un avantage momentané qui ne peut attirer que la conſidération des ſots, s’il naît de l’art ; & qui expoſe alors à toute la ſupériorité de l’homme d’eſprit. Un homme prudent ne cherche jamais à éclipſer perſonne, parce qu’il fait que dans ce genre de combat la victoire eſt ſouvent plus à craindre que la défaite.
École = Il en eſt pour tous les âges. La raiſon a le droit d’inſtruire dans tous les temps : mais l’erreur & la paſſion prennent ſouvent le maſque de la raiſon ; & à cet égard les beſoins de l’homme ſe perpétuent par les ſecours, parce que ſes dangers augmentent par la confiance.
Éducation = Premier beſoin de l’homme, & qui l’expoſe à recevoir des ſecours plus dangereux que la privation. Il vaut mieux être ſans principes, que d’en avoir de mauvais : le faux eſprit eſt plus à craindre que le mauvais naturel.
Effaroucher = Abus de la vertu, mal-adreſſe de la raiſon. On écarte à jamais de la bonne route un objet que ſes propres réflexions y auroient peut-être conduit. Il ne manque à la ſévérité que l’indifférence des peines qu’elle cauſe, pour caractériſer un être barbare.
Efféminé = Rebut de la nature, lorſqu’il eſt connu ; fléau de la beauté, lorſqu’il prend ſes prétentions pour des deſirs.
Égalité = Celle des plaiſirs ſupplée à celle des conditions.
Égarement = Celui du cœur fait ſuppoſer une trempe d’eſprit vicieuſe ; & celui de l’eſprit eſt fort ſouvent racheté par un bon cœur.
Élégance = Celle du diſcours eſt toujours plus honorable que celle des manieres ; elle eſt malheureuſement moins néceſſaire dans le monde.
Élévation = Honneur qu’on fait plus ſouvent au vice qu’à la vertu : quelquefois la négligence ou la fierté de l’une, y contribue autant que l’artifice de l’autre ; le ſcandale n’en exiſte pas moins.
Éloge = Celui des perſonnes injuſtement ſoupçonnées eſt plus intéreſſant, & que celui des perſonnes néceſſairement reſpectables.
Éloquence = Lorſque c’eſt un art d’habitude, il n’en impoſe guere au ſentiment ; & il fait ſoupçonner de peu de ſenſibilité.
Émouvoir = Faire naître une foibleſſe momentanée, à laquelle ſuccede ſouvent une dureté raiſonnable.
Empiéter = Talent que la probité ne connoît point ; & qui vient de l’audace plus que de l’eſprit.
Empire = Avantage dont il eſt rare que l’on n’abuſe point, & dont on devroit être extérieurement moins jaloux ; car dès qu’un objet eſt ſubjugué, on devient, aux yeux de la multitude, reſponſable de ſes fautes, & comptable de ſes peines.
Emploi = Les Charges s’achetent par de l’argent ; les emplois par des vices.
Employé = Homme généralement occupé à racheter la baſſeſſe par l’inſolence.
Empressement = Il faut être généralement bien ſûr de ſa vertu, pour ſouffrir d’en être l’objet.
Encens = Tribut qu’on ne doit qu’à la vertu, & qu’elle ſe voit ſouvent contrainte de payer au vice.
Endurci = Homme qui donne un triſte ſpectacle, & une bonne leçon.
Endurer = Homme qui ſacrifie la vanité à la raiſon, ou la ſenſibilité à la vertu.
Engagement = État qui exige ſouvent des qualités d’autant plus pénibles & reſpectables, qu’elles fatiguent la nature ſans faire eſpérer le bonheur.
Ennemi = Homme plus reſpectable que le ſage paiſible, lorſqu’il a des procédés généreux qu’on peut attribuer à des principes.
Ennobli = Homme placé entre le ridicule & l’impertinence ; & qui prouve des qualités ſupérieures, s’il échappe à l’un & à l’autre.
Ennui = État qui rend le galant homme intéreſſant ; & l’homme de plaiſir odieux. Maladie de l’ame qui exige plus de force que le malheur.
Enorgueillir (s’) = Rendre viſible au public, la médiocrité d’eſprit, ou la petiteſſe d’ame, qu’une circonſtance pouvoit cacher.
Enrichir (s’) = Faire aſſez généralement le métier d’avare ou de frippon ; & quelquefois les deux enſemble.
Entétement = Plaiſir de l’eſprit dont la raiſon paie preſque toujours les frais.
Enthousiasme = État de délire où l’on eſt puni par les ſots, du mal que l’on peut faire aux gens d’eſprit.
Envie = Paſſion de l’ame qui eſt un diminutif du vol, & un équivalent de la haine.
Épanchement = C’eſt la confiance miſe en action par le ſentiment ; ou la duplicité miſe en évidence par la ſurpriſe.
Épigramme = Sorte de trait avec lequel on bleſſe plus ou moins ſenſiblement, ſuivant le tempérament qu’on rencontre.
Époux = Homme qui a ſoumis ſolemnellement ſa liberté à la loi, & ſon deſtin au caprice.
Équitable = Homme qui donne de l’intérêt à la vérité, de l’étendue au ſentiment, du reſſort à la vertu, & de la nobleſſe à l’habitude.
Équivalent = Il y en a peu pour l’ambition ; il n’y en a point pour l’amour.
Équivoque = Voile qui peut être tiſſu avec beaucoup d’art, ſans prouver beaucoup d’eſprit.
Ériger = Rendre la vertu tributaire de l’envie, ou le vice vainqueur de l’opinion.
Espérance = Plaiſir qui eſt ſouvent le réſultat de la crédulité, & le principe de l’infortune.
Espion = Inſtrument vil dont l’eſprit ſe ſert pour tromper le génie.
Esprit = Qualité dont on ne peut eſtimer la valeur que par l’uſage ; propriété qui ne procure des avantages ſolides qu’autant qu’elle a des bornes.
Estime = Prix de la vertu, qui ne peut jamais être un don, parce qu’il n’eſt pas libre de le refuſer.
Étiquette = Tribut d’uſage qui favoriſe bien des vices, & cache bien des tourments.
Étourdi = Homme peu capable de fauſſeté, & peu ſuſceptible de repentir.
Évaluation = Combinaiſon que l’eſprit fait quelquefois avec beaucoup de peine, & le ſentiment avec beaucoup de facilité.
Exactitude = Image de la vertu, qui n’eſt ſouvent qu’en combinaiſon du vice.
Exemple = Source de biens peu conſultée par le beſoin.
Exhérédation = Action cruelle qu’un très-petit eſprit fait avec vanité, en ſongeant qu’il triomphe de la nature.
Exigence = Principe de beaucoup d’actions honnêtes, ou honorables, faites par des gens qui n’avoient ni honnêteté, ni honneur.
Exil = Il eſt auſſi ſouvent le prix des vertus, que la punition des fautes. Il commence quelquefois l’exiſtence d’un fat, & le néant d’un héros.
Existence = On la diſtingue de la vie ; & ce ſont les ſots ſans ſentiment qui ont donné lieu à cette diſtinction.
Expérience = Premier Juge de nos actions ; premier maître de nos eſprits ; école ouverte à tout le monde, ou peu de gens entrent avec la capacité de s’inſtruire.
Exploit = Action qui donne ſouvent de l’utilité au déſeſpoir, & de la nobleſſe à la férocité.
Expression = Une ſeule peut décider du deſtin de deux perſonnes.
Extérieur = Art dont on ne ſe défiera jamais aſſez, quoiqu’il ne ſoit pas difficile de l’appercevoir.
Extreme = Caractere qui ſera toujours favorable à la célébrité, parce qu’il impoſe.