Dictionnaire des antiquités grecques et romaines/PICUS


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PICUS. — Cette personnification divine, objet d’un culte agreste dans l’antique Latium, appartient au groupe des génies champêtres que la vénération publique éleva au rang des dieux, dont l’evhémérisme des Annalistes fit des rois fondateurs et guerriers. C’est dire que Picus est à mettre en compagnie de Mars, de Faunus, de Latinus auxquels il est d’ailleurs apparenté par la légende. Mais tandis que les Romains mettaient la qualité de roi au point de départ pour en tirer celle de dieu par l’apothéose et celle d’oiseau par la métamorphose 1[1], les mythologues modernes expliquent Picus, dieu et roi, par l’oiseau pivert, originairement consacré à Mars, à raison de ses allures mystérieuses 2[2]. Nous le trouvons, en effet, mêlé au culte de ce dieu sur un des plus anciens monuments de l’histoire religieuse du Latium, sur la table d’Iguvium, sous le vocable de Martius Picus 3[3]. Une tradition tout aussi vénérable veut qu’il se soit posé sur l’étendard des Sabins, partis en colons, avec le cérémonial du Ver sacrum, pour les régions de la Campanie où ils s’établirent sous le nom de Picentins 4[4]. A Tiora Matiena, dans le pays des Aeques, un pivert au sommet d’une colonne en bois rendait des oracles 5[5] ; dans tous ces cas, l’oiseau était symbolique de la divinité de Mars, identifié à l’origine avec elle, ensuite devenu l’interprète de ses facultés prophétiques 6[6]. C’est pour cela que les hellénisants de Rome et à leur suite les poètes du siècle d’Auguste, firent de Picus un augure et un devin, comme ils faisaient de lui un roi et un guerrier 7[7]. Ses rapports avec l’oiseau s’expliquèrent par les procédés de la métamorphose : amant de Pomone ou de la nymphe Canens, il inspire une vive passion à la magicienne Circé qui, dédaignée, le change on pivert. Ovide a tiré de cette légende des développements dont son imagination peut revendiquer la meilleure part 8[8].

Dans la religion agricole, Picus se confond avec Picumnus, lequel a lui-même pour compagnon Pilumnus. Tous les deux passaient pour être des génies du mariage : conjugates dii, et intervenaient lors de la naissance d’un enfant. Ils avaient également un rôle dans les travaux des champs. Picumnus avait inventé les engrais pour l’amélioration du sol ; Pilumnus (rad. pilum) avait appris aux hommes à écraser le grain dans un mortier à l’aide du pilon 1[9]. Les attributions stercoraires de Picus paraissent avoir été dérivées de la nature de la huppe, oiseau fréquemment confondu avec le pivert et qui se plaît sur les fumiers 2[10]. C’est à ce titre que l’on expliquait son apothéose par des services rendus à l’agriculture et qu’on le mettait en relations généalogiques avec Sterces, Sterculius, le dieu des engrais 3[11].

Dans la religion politique, Picus anobli devient roi des Aborigènes, fils de Saturne, père de Faunus qui passait lui-même pour le père de Latinus 4[12]. Sous cette forme, il possède toutes les qualités du souverain primitif ; il est agriculteur, dompteur de chevaux, chasseur, guerrier et doué de la science augurale 5[13]. Virgile et Ovide, qui l’ont surtout chanté, lui donnent l’allure héroïque, en y mêlant un fort élément de rusticité. L’un lui assigne pour demeure les montagnes et les bois et raconte ses amours avec sa métamorphose ; l’autre décrit un palais de Picus, à Laurente, la métropole religieuse des Latins 6[14] ; c’est un monument auguste, abrité dans un bois touffu au point culminant de la ville et orné des images d’anciens héros topiques, Italus, Sabinus, et des dieux Saturnus et Janus. Picus y figurait avec le lituus, vêtu de la tunique courte et portant au bras gauche le bouclier échancré des Saliens (ancile) 7[15]. Ce que l’on sait des scrupules archéologiques du poète permet d’affirmer que ce n’est pas là un tableau de fantaisie, mais qu’il a été composé sur des documents et sans doute des monuments réels [{{sc|faunus, latinus]. J.-A. Hild.

  1. PICUS. 1 Cf. Carter, chez Roscher, Lexik. d. Mythol, III, p. 2495, et Wissowa, Ibid. I, p. 1454.
  2. 2 Déjà un objet d’étonnement pour les Grecs qui le nommaient δρυκολάπτηζ ; Voir Arist. Hist. anim. IX, 9 ; Aristoph. Av. 479, 979 ; Anton. Lib. 14. Pour les Latins, voir Plaut. Asin. II, I, 14 ; Plin. Hist. nat. X, 18, 20 ; Front. Strat. IV, 3, 14 ; Fest. p. 193 ; Plut. Quaest. rom. 21 ; Ov. Mét. XIV. 390. Certains Germains lui rendaient des honneurs divins. Voir Grimm, Deutsch. Mythol. p. 388. Quand il frappe de son large bec le tronc des ormes et des chênes, le bruit qui retentit à intervalles mesurés dans les solitudes silvestres éveille des craintes superstitieuses. Le pivert fait pendant, comme animal symbolique de Mars, au loup ; cf. Schwgler, Roem, Gesch. p. 415, note 3.
  3. 3 Buecheler, Umbrien, 5, B. 9 et 15 : cf. Aufrecht et Kirchhoff, Umbrische Sprachdenkm, II, p. 356 sq.
  4. 4 Paul. D. p. 212 ; Strab. V, 4, 2 ; Sil. Ital. VIII, 439.
  5. 5 Dion. Hal. 1, 14, 5. Le nom de Tiora Matiena est interprété par Roscher, Lexik. II, p. 2431, par turris Murtiana et la ville ainsi rattachée au culte de Mars.
  6. 6 Il est mêlé à la légende des origines de Rome et de la naissance des jumeaux : Plut. Fort. Rom. 8 ; Ov. Fast. 11, 37, etc.
  7. 7 Fab. Pict. chez Non. Marc. p. 518 ; Fest. 197 : Oscines : Serv. Aen. VII, 190 ; Arnob. V, I ; Isid. Orig. XII, 7, 47, qui rapporte une tradition en vertu de laquelle le pivert serait de nature divine, parce qu’aucun clou ne saurait tenir dans un arbre où il a établi son nid.
  8. 8 Serv. Aen, VII, 190 ; Ov. Mét. XIV, 312, 303. Dans les Fastes (Lib. III, 291 ; cf. IV, 049 sq.|, ce poète mêle Picus avec Faunus à la légende de Jupiter Elicius que le roi Numa se rend favorable par leur intermédiaire : cf. faunus, p. 1022.
  9. 1 Serv. Aen. IX, 4 ; X, 76 ; Aemilius Macer et Varr. ap. Non. Marc. p. 318, 528 ; Plin. Hist. nat. XVIII, 3.
  10. 2 Cf. Preller-Jordan, Roem. Mythol. I, p. 376.
  11. 3 Aug. Civ. Dei, XVIII, 15 ; Serv. Aen. X, 76 ; Macr. I, 7, 25 ; Lact. Inst. 1, 20 ; V, 36 ; Tert. Ad Nat. II, 9.
  12. 4 Schwegler, Roem. Gesch. I, p. 214 : Aug. Loc. cit. ; Virg. Aen. VII, 48 ; Sil. Ital. VIII, 439 ; Fest. p. 209, etc.
  13. 5 Ov. Mét. XII, 321, 343 ; Virg. Aen. VII, 189. avec la note de Servius ; Aug. Loc. cit. ; Plut. Quaest. rom. 21 ; Fest. p. 197.
  14. 6 Virg. Aen. VII, 170 sq. et la note de Servius à 188 ; Ov. Met. XIV, 320 sq.
  15. 7 Virg. Loc. cit. 187, fait lui-même le rapprochement quand il orne Picus de l’insigne (quirinali lituo) qui fut celui du dieu Mars et de Picus avant de passer à Romulus Quirinus ; voir Serv. à ce vers.