Dictionnaire des antiquités grecques et romaines/ABSENS


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ABSENS. — L’absent était, en droit romain, celui qui ne se rencontrait pas au lieu où sa présence était requise. L’absence peut être envisagée soit au point de vue du droit civil, soit au point de vue du droit public. I. Un grand nombre de textes régissent les effets de l’absence considérée comme simple non-présence. Ainsi les débiteurs qui se cachent pour ne pas être appelés en justice 1[1], et qui ne sont défendus par personne, donnent lieu à l’envoi en possession de leurs biens, suivi d’une vente en masse [missio in possessionem, emptio bonorum]. Le préteur, dans le cas où un absent avait achevé par son fermier une usucapion commencée, sans qu’on pût agir contre lui, venait au secours du propriétaire 2[2] qui n’avait pas eu le moyen de se faire envoyer à temps en possession des biens, et rescindait l’usucapion. Réciproquement, un citoyen absent pour un service public était autorisé par le préteur à revendiquer 3[3] (rescissa usucapione) un objet usucapé pendant ce temps par un tiers [usucapio]. Sur les effets de l’absence quant à la procédure, voyez contumacia et eremodicium 4[4].

Mais le droit romain n’avait pas organisé de système complet en vue du cas d’absence véritable, c’est-à-dire de l’hypothèse où un individu a disparu de son domicile, sans donner de ses nouvelles, ensorte que son existence est incertaine. Sans doute, en pareille hypothèse, on appliquait, quant à l’administration de ses biens, les règles relatives aux non-présents 5[5]. Aucun droit ne pouvait être réclamé à son profit sans la preuve de son existence ; et réciproquement nul ne devait, sans prouver la mort de l’absent, exercer un droit subordonné à son décès 6[6] sauf le cas où il était constaté que cent ans s’étaient écoulés depuis sa naissance. Au cas d’absence d’un père de famille, ses enfants pouvaient, après trois années, se marier sans son consentement 7[7] ; le jurisconsulte Julien assimile le cas de captivité à celui d’absence, et valide même l’union conjugale contractée par l’enfant avant ce délai, si l’on peut présumer, d’après la condition de l’époux, que le père n’eût pas refusé son consentement. La femme d’un individu soldat, en campagne ou captif, et dont on n’avait pas de nouvelles depuis cinq ans 8[8], était autorisée à se remarier. Constantin paraît avoir réduit ce délai à quatre années 9[9], mais ces prescriptions furent modifiées par Justinien 10[10].

II. Au point de vue du droit public, il n’était pas permis à un absent de solliciter comme candidat une magistrature romaine. Becker 11[11] pense toutefois que les restrictions en cette matière ne se présentèrent qu’après le commencement du vie siècle de Rome ; il cite un grand nombre d’exemples 12[12] qui prouvent la liberté presque illimitée laissée au peuple dans le choix des candidats [ambitus, magistratus]. On peut à cet égard adopter la distinction suivante proposée par Rein : Le peuple était maître d’élever au rang de consul ou de préteur, etc. un citoyen qui ne s’était point porté officiellement candidat (professio), puisque Cicéron 13[13] critique comme absolument nouvelle la disposition de la loi agraire de Rullus, qui exigeait qu’un citoyen fût présent pour être élu décemvir. Du reste, celui qui ne briguait pas une magistrature, était ultro creatus 14[14], ou non petens ; et, à ce point de vue, qu’il fût ou non présent à Rome, on disait qu’il pouvait être nommé en son absence 15[15]. Au contraire, l’usage avait in-


troduit la défense pour un absent de briguer un honneur à Rome ; cela fut transformé en loi et renouvelé peu de temps après, en 702 de Rome, dans une loi de Cn. Pompée 16[16], De jure magistratuum ; elle contenait en effet un chapitre quod a petitione honorum absentes summovebat. Ainsi, c’était la brigue seule (petitio honorum) qui se trouvait interdite.

Suivant Suétone 17[17], Pompée, sous prétexte d’avoir oublié d’écrire dans cette loi une exception en faveur de Jules César, l’y fit ajouter après que la table d’airain avait été déjà déposée à l’aerarium. Plus tard et pendant que César était dans les Gaules 18[18], un plébiscite, proposé par le tribun Cœlius et appuyé par Cicéron, renouvela ce privilège, ut ratio absentis Caesaris in petitione consulatus haberetur. Mais Marcellus fit décider par le sénat qu’on ne tiendrait aucun compte de cette loi, comme si Pompée avait abrogé un plébiscite. Voici comment M.Mommsen 19[19] explique la succession de ces faits assez obscurs : Pompée en 702 de Rome avait, pendant sa dictature, fait dispenser César, par le plébiscite de Cœlius, de la formalité prescrite aux candidats par une loi antérieure de présenter six mois à l’avance, et en personne, leur candidature. Lorsque plus tard vint l’époque des élections, la règle générale aurait été proclamée de nouveau, sans mentionner l’exception en faveur de César ; sur ses plaintes, elle fut ajoutée après coup à la loi Pompéia. Mais Marcellus argua de nullité cette addition.

L’absence ne dispensait pas des obligations du recensement [census]. G. Humbert.

Bibliographie. Becker. Handbuch der rom. Aiterthümer, Leipzig, 1846, II, 2, p. 47 à 49 ; Rein, in Pauly Real Encyclopädie, s. v. Absens, p. 20 ; 2e éd., 1862 ; Lange, Römische Alterthümer, I, § 20. p. 607, 2e éd., Berlin, 1863.

  1. ABSENS. 1 Gaius, Comm. III, 78 et 79, et Theophil. Ad Instit. III, 12 ; Demangeât, Cours élém. de droit rom. t. II, p. 136, sous ce titre des Institutes, 2e éd. Paris, 1867.
  2. 2 Fr. 12, § 2, Dig. De capt. XLIX, 15 ; fr. 21, § I ; fr. 23, § 4 ; 26, § 2, Ex quibus causis maj. Dig. IV, 6 ; Instit. Just. IV, 6, 5.
  3. 3 Fr. 2S, § 5 ; Dig. IV, 6 ; fr. 57, Mandati. Dig. XVII, 1.
  4. 4 Pour le cas de captivité, voy. Postliminium.
  5. 5 Villequez, De l’absence en droit romain, in Rev. hist. de droit, 1856, p. 210 et suiv. ; V. fr. 1 et 15, Dig. IV, 6 ; fr. 22 Dig. De rebus auct. judic. XLII, 6 ; Demante, Encyclopédie du droit, s.v. Absence, n° 3.
  6. 6 c. 4, Cod. Just, De postlim. rev. VIII, 51.
  7. 7 Fr. 11 Dig. De ritu nupt. XXIII, 2.
  8. 8 Fr. 6, De divori. Dig. XXIV, 2.
  9. 9 C. 7, Cod. Just. De repud. V, 17.
  10. 10 Novel. XXII, c. 14, et CXVII, c 11.
  11. 11 Handbuch der rom. Alterth. II, 2, p. 47 et suiv.
  12. 12 Tit. Liv. IV, 42, 48 ; VIII, S2 ; X, 22 ; XXII, 35 ; XXIII, 24 ; XXIV, 9, 43 ; XXVI, 22, 23 ; XL, 11 ; XXXI, 50 ; XL, 43.
  13. 13 De lege agrar. II, 9.
  14. 14 Tit. Liv. Epit. LVI.
  15. 15 Cicer. De Repub. V, 11 ; Pro Caelio, 2 ; Tit. Liv. IV, 42.
  16. 16 Cf. Tit. Liv. Epit. CVIII ; Sueton. J. Caesar, 28.
  17. 17 Suet. l. l. ; Dio Cassius, XL, 56.
  18. 18 Tit. Liv. Epit. CVIII ; Cic. Ad Attic. VII, 1, 3 ; Philip. II, 10 ; Ad familiares. XVI, 12.
  19. 19 Röm. Gesch. III, 9, p. 343, 2e édit., et Die Rechtsfrage zwischen Caesar und dem Senat, Breslau, 1357.