Dictionnaire des Arts et des Sciences/1re éd., 1694/Préface

PREFACE.

E Dictionnaire qui fut imprimé en Hollande en 1688. ayant fait voir le goust du Public pour la connoissance des termes des Arts, quelques Particuliers de l’Académie Françoise n’ont pû souffrir ce que publioient les partisans de l’Auteur, qu’avec quelque exactitude qu’elle fist le sien, il seroit tousjours moins recherché, parce qu’il ne contient que les mots de l’usage ordinaire de la langue, au lieu que l’autre est universel, & qu’outre ces mesmes mots, il explique fort au long les termes des Arts. Ainsi on commença à examiner ce Dictionnaire, & en cherchant le mot Barometre, on eut de la peine à le trouver, parce qu’on le cherchoit dans son ordre naturel aprés Barlong, & avant Baron, qui est l’endroit où il devroit estre. Cependant l’Auteur l’a placé aprés Barriere, & a écrit Barrometre, sans faire reflexion qu’il vient du Grec βάροζ, Poids, qui n’a point un double ρ.

Cela ne donneroit pas sujet de conclure que la langue Grecque luy fust inconnuë, si lors qu’il explique Estiomene, terme de Medecine, il n’avoit dit que c’est un mot que l’on a pris de l’Arabe. Jamais terminaison ne fut moins Arabe. Estiomene est un mot Grec, Εσθιομɖνοζ participe passif d’έσθιɖν, Manger, devorer.

Il a confondu de mesme la langue Espagnole & l’Italienne, en disant que Media noche est un terme venu depuis peu d’Italie. C’est un mot entierement Espagnol, & on dit Mezza notte en Italien. En parlant de Vare, sorte de mesure d’Espagne, il écrit Varre, & place ce mot aprés Varlope, sans songer qu’il vient du mot Espagnol Vara, Verge, baguette, qui s’écrit seulement avec une r.

On veut bien passer par dessus ces fautes  ; mais il y en a quantité d’autres qui embarrassent beaucoup davantage. Voicy par exemple ce qu’il dit sur le mot Thonnine. Chair de Thon coupée & salée. La Thonnine la plus maigre est la meilleure. Dans les Jours caniculaires il fait dangereux d’en manger, à cause que les Thons sont alors picquez d’un certain aiguillon, comme une mouche, qui les rend si furieux, qu’il les fait quelquefois sauter dans les Vaisseaux. Personne n’a pû comprendre comment la Thonnine, qui est de la chair de Thon qu’on aura coupée & salée fort long-temps avant les Jours Caniculaires, peut devenir dangereuse à ceux qui en mangent pendant ces jours-là. Il a confondu ce que Matthiole a dit des Thons, & non pas de la Thonnine, que durant les Jours Caniculaires les Thons ont un certain aiguillon qui les agite, comme celuy des Taons tourmente les boeufs, ce qui les oblige quelquefois à se lancer hors de l’eau & à se jetter dans les Vaisseaux  ; qu’alors ils sont venimeux, & qu’il seroit fort dangereux d’en manger. Cela n’a rien de commun avec la Thonnine, qu’on peut manger en tout temps sans aucun peril.

Quelle méprise n’a-t-il point faite quand il a parlé du Tamarin, qui est un petit fruit aigrelet, ou une sorte de datte sauvage qui vient des Indes, & dont on se sert à divers usages dans la Medecine ? Voicy ce qu’il en a dit, en citant Dioscoride. Fruit à noyau que porte un arbre des Indes, semblable aux dattes. Il croist dans les eaux mortes. Il porte son fruit comme une fleur cotonnée. Il y en a de domestique & de sauvage. Le domestique porte son fruit comme une noix de galle. Dioscoride a dit tout cela, à l’exception de Fruit à noyau que porte un arbre des Indes, semblable aux dattes  ; mais il l’a dit du Tamarisc qu’il dit estre un arbre vulgaire, & connu de tous, & non pas du Tamarin, dont il n’a parlé en aucune sorte. Tamarin & Tamarisc sont deux choses differentes, & l’Académie Françoise les a tres-bien distinguées dans son Dictionnaire, en disant que le Tamarin est une sorte de datte sauvage qui vient des Indes Orientales, & le Tamarisc une sorte de plante, ou de petit arbre, dont le fruit, le bois & l’écorce servent à divers usages dans la Medecine. Ainsi le Tamarin n’est ny comme une fleur cotonnée ny comme une noix de galle, ce qui ne convient qu’au fruit du Tamarisc, comme l’a marqué Dioscoride. Les Tamarins, que l’on appelle aussi Tamarindes, sont des fruits qui viennent sur de grands arbres branchus dans des gousses brunes & tannées, & puisque Dioscoride n’en a rien dit non plus que de la Casse & des Girofles, il y a grande apparence que de son temps, qui estoit celuy d’Antoine & de Cleopatre, dont on tient qu’il fut le Medecin, le commerce dans les Indes n’estoit pas commun.

On seroit trop long si on rapportoit les autres fautes qu’on a remarquées dans cet Ouvrage, comme de dire que la Zedoaire est une graine, quoy que ce soit une racine, ainsi que tous les Auteurs en conviennent. Tant de personnes s’en sont apperceuës, qu’on en parleroit inutilement. Les plaintes qui en ont esté faites, & quantité de matieres traittées imparfaitement, ayant fait connoistre l’avantage que le Public pourroit recevoir d’un Dictionnaire des Arts & des Sciences qui fust & plus ample & plus correct, on resolut de s’appliquer sans aucun relâche à ramasser tout ce qui en a esté écrit jusqu’icy de plus curieux, afin que ceux qui souhaiteroient cette sorte de supplément à l’Ouvrage de l’Académie, eussent sujet d’estre satisfaits. C’est dans cette veuë qu’on a travaillé, & l’on peut dire qu’il n’y a point de matiere que l’on n’ait pris soin d’étendre, en y ajoûtant une infinité d’articles nouveaux qu’on ne trouve point dans le Dictionnaire, pretendu Universel.

On n’a rien cité d’aucun Auteur, qu’on n’ait consulté l’original, & c’est dans la source que l’on a puisé tout ce qu’on a dit des Plantes dont Dioscoride & Matthiole ont écrit. On ne s’est pas contenté d’en faire la description, on a crû devoir marquer quel en est l’usage, afin que l’utilité se trouve jointe au plaisir de la lecture, ce qui ne se trouve pas dans l’autre Dictionnaire. Le mesme motif a fait qu’on s’est étendu sur la Medecine, & le sçavant Ettmuller en a fourny de longues remarques.

On s’est aussi attaché à donner comme un abregé de l’histoire naturelle des animaux, des oiseaux & des poissons, non seulement de ceux qui nous sont connus, mais encore de quantité d’autres que les Voyageurs ont veus dans les pays les plus éloignez.

Tous les Ordres, tant Religieux que militaires, sont icy decrits avec le temps de leur institution, & ce qui leur est ordonné par leurs Statuts. On a suivi la mesme methode pour tous les Heresiarques, afin de contenter ceux qui veulent sçavoir l’origine & le progrez des diverses heresies qui ont affligé l’Eglise. On n’a pas oublié les Dignitez & les Charges tant anciennes que modernes, & on en a fait connoistre les diverses dependances.

Comme la lecture des livres du vieux langage, est une lecture qui plaist à beaucoup de gens, on a expliqué un fort grand nombre de vieux mots, à quoy on a ajousté des exemples, ou du Roman de la Rose, ou des plus anciens Poëtes.

Quand on a parlé de mots qui appartiennent à l’Anatomie, comme Coeur, Cerveau, & autres semblables, ou qu’il a esté question de quelques termes qui ont leur principale signification dans l’usage commun de la Langue, comme Buisson, Noyau, Ouye, on s’est servi des definitions de l’Académie sans y ajouster aucun exemple, pour en donner une premiere notion  ; & afin de faire connoistre qu’elles sont tirées du Dictionnaire de l’Académie, aux sentimens de laquelle on s’attache entierement, on les a fait imprimer en caractere Italique avec ces lettres Capitales, Acad. Fr. Outre quantité de livres qu’on a leus exprés avec grande attention sur les diverses matieres dont ce Dictionnaire est composé, on s’est servi des lumieres de plusieurs Académiciens, & des plus habiles dans chaque art. On a suivi pour les termes de Chymie un petit Dictionnaire manuscrit de feu Monsieur Perrault, Docteur en medecine de la Faculté de Paris, & l’un des plus grands ornemens de l’Académie des Sciences. L’excellent ouvrage de Monsieur Felibien sur l’Architecture, la Sculpture & la Peinture, a esté aussi d’un fort grand secours, quand il a fallu parler des termes qui dépendent de ces Arts. Enfin on n’a épargné ny soins ny peines pour ne laisser rien à souhaiter au lecteur de ce qu’il pourroit apprendre dans tous les autres Dictionnaires, & mesme dans les plus anciens, dont on a conservé les termes, parce que le langage que l’on parloit du temps de Nicot n’est pas encore aujourd’huy sans grace.

Cependant on ne peut se défendre d’avouër que quelque application que l’on ait euë dans ce grand travail, il est impossible qu’on ne soit tombé dans quelques fautes, soit pour n’avoir pas assez bien compris les termes de certains Arts, soit pour n’en avoir pas donné des idées assez nettes, & qui puissent empescher qu’on ne tombe dans l’erreur, soit mesme parce que les Auteurs qu’on a suivis ont pû se tromper eux-mêmes. Comme il n’y a que le Public qui sçache tout bien parfaitement, c’est au Public à donner les corrections & les augmentations qu’il jugera à propos qu’on fasse. On asseure que toutes celles qu’on voudra bien envoyer au Sieur Coignard seront receuës avec beaucoup de reconnoissance, & qu’on se fera une gloire de faire connoistre qu’on en aura profité, si on fait une seconde édition de ce Dictionnaire.