Dictionnaire des Arts et des Sciences/1re éd., 1694/Lemmer

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LEMMER. s. m. Sorte de petite beste, qui est en beaucoup de choses semblables à une souris, dont elle differe pour la couleur, estant rousse, marquetée de noir. Elle a aussi la queuë fort courte & couverte de poils serrez. On trouve ces bestes par troupes dans la Laponie, où on les appelle Souris de montagnes & Lemblar. Elles n’y paroissent pas regulierement tous les ans, mais tout d’un coup dans de certains temps, & en telle quantité, que se répandant par tout, elles couvrent toute la terre. On a observé que cela arrive quand il fait orage, & qu’il pleut abondamment ; ce qui a fait croire à quelques-uns qu’elles tombent avec la pluye, soit que le vent les enleve, & les apporte des Isles les plus éloignées, soit qu’elles se forment dans les nuées mesmes. D’autres disent que l’on s’est persuadé que cet animal se formoit en l’air d’un temps pluvieux, à cause qu’il n’abandonne son trou qu’aprés les pluyes, n’ayant point paru auparavant, ou parce qu’il se remplit d’eau, comme croit Strabon, ou qu’il croist & grossit fort à la pluye. Ces petites bestes sont hardies & courageuses, & loin que le bruit des passans les fasse fuir, elles vont au devant de ceux qui les viennent attaquer, crient & jappent comme de petites chiennes, & sans se soucier ny de bastons ny de halebardes, sautent & s’élancent sur leurs Ennemis en les mordant de colere. Elles se tiennent toûjours le long des costeaux & dans les brossailles, sans entrer jamais dans les maisons ny dans les cabanes. Ces animaux se font quelquefois la guerre les uns aux autres, & se partagent comme en deux armées rangées en bataille le long des lacs & des prez, ce que les Lapons prennent pour des presages des guerres qui doivent arriver en Suede. S’ils les voyent venir du costé de l’Orient, ils concluent qu’ils auront la guerre avec les Russiens, & s’ils remarquent qu’ils soient venus du costé de l’Occident, ils tiennent pour infaillible qu’ils seront attaquez par les Danois. Ces petites bestes ont pour ennemis les hermines qui s’en engraissent, les renards qui les attrapent & les trainent dans leurs tanieres, où quelquefois ils en gardent des milliers dont ils se nourrissent, & enfin les Rennes, qui mangent aussi de cette espece de Souris de montagnes, & particulierement en Esté. Outre que le grand nombre en diminuë fort par là, elles se font aussi mourir elles-mesmes, ou en mangeant l’herbe qui a repoussé depuis qu’elles l’ont mangée la premiere fois, ou en montant sur les arbres où elles se pendent à quelque branche fenduë, ou en se jettant dans l’eau aprés s’estre assemblées par troupes à la maniere des hirondelles quand elles veulent partir, ce qui fait qu’on les trouve souvent par milliers dans un mesme endroit mortes & entassées les unes sur les autres.