Dictionnaire de théologie catholique/YVAN Antoine

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1046-1048).

YVAN Antoine, peut être considéré comme prêtre de l’Oratoire, bien qu’il n’ait appartenu effectivement à la congrégation que de. 1630 à 1642.

I. Vie.

Avant l’entrée à l’Oratoire.

Les aventures

de sa vie, écrit Batterel, semblent un peu tenir du roman. Mém. dom., t. ii, p. 110. Il est né à Rians, qui dépendait alors du diocèse d’Aix-en-Provence, le 10 novembre 1576, cinq ans avant saint Vincent de Paul, un an après le P. de Bérulle. De famille très pauvre, il est obligé de se faire aider par ses camarades pour apprendre à lire ; à dix ou onze ans, il est engagé comme domestique par les Pères Minimes de Fourrières ; entre deux occupations, il apprend à écrire, graver, peindre ; après deux ou trois ans, il séjourne quelque temps à Pertuis, fait et vend des images pour gagner sa vie. En 1591, le duc de la Valette assiégeant la ville, il s’enfuit et chemine de pays en pays pendant près de quinze ans : on le voit à Arles, à Avignon où il connaît César de Bus, le P. Romillion, avant la scission qui (levait séparer celui-ci et les Pères de la Doctrine chrétienne (1602) ; il voit aussi l’archevêque Tauruguy de l’Oratoire de saint Philippe de Néri, qui lui inspire une vive dévotion pour le fondateur qu’il se plaisait à appeler : Il min padre Filippo. Il reste plusieurs années à Carpentras, où il donne des leçons pour vivre, tout en étudiant la théologie ; puis à Lyon. A Aix, où il arrive en 1604, il reçoit la tonsure et les ordres mineurs ; le sous-diaconat à Fréjus, le diaconat a Marseille, la prêtrise à Senez, le 20 mars 1606. Pendant six mois, il fait la classe aux enfants de Rians ; pendant vingt-trois mois, il exerce les fonction 1 ; de curé à La Verdtère ; il devient ensuite vicaire à Cotignac, près du sanctuaire de Notre-Dame de Grâces, desservi par les Philippins depuis 1599 ot qui le sera par le P. de Bérulle en 1615 ; il s’y rend tous les jours, y rencontre le P. Paul, très dur à lui-même, qui achève de le former. Il y reste cinq ans ; en 1612, par dégoût du monde et du bruit, il s’enfuit, se retire dans l’ermitBge de Salnt-Roch près de Hians. An boni rie quatre ans, une voix lui dit : Plus d’amour et moins de rigueur ; le 7 octobre 1618, il est nommé vicaire de Brignolea, devient supérieur des Ursulines

de la ville, qui plus tard, en 1636, mais sous ses ans pires, feront des vu ux. le 20 février 1620, il reçoit la

cure de Saint Piene de iirignoles : le bénéfice lui étant

refusé, il se fixe à Aix pour être chapelain de Beauveser.

À l’Oratoire.

Ii connaissait de longue date le

P. Romillion ; en 1617, il s’était affilié à son Oratoire de Provence, avant qu’il ne fût uni à celui du P. de Bérulle (1619). Curé de Sainte-Madeleine, il est calomnié auprès de l’archevêque, frère de Richelieu, qui lui interdit la prédication ; en butte à l’opposition de ses collaborateurs, il se réfugie à l’Oratoire de France pour réaliser le désir qu’il avait toujours eu de travailler au relèvement du cierge. À l’âge de 54 ans, il ne pouvait avoir qu’une vocation de passage, qui établit pendant quelque temps un équilibre ingénieux entre son désir de retraite et son besoin de changement.

Heureusement, la fondation de l’ordre de Notre-Dame de la Miséricorde va tenir une grande place dans les vingt dernières années de sa vie ; en 1631, une toute jeune fille (elle était née le 3 juin 1612), Madeleine Martin, se présenta à son confessionnal ; il la reconnaît sans l’avoir jamais vue ; avant la fin de 1632, elle comprend que Dieu l’appelle à fonder un nouvel ordre de religieuses pour les filles des nobles, des bourgeois et des marchands ruinés qui n’ont rien pour se marier, ni pour entrer en religion. Le 29 septembre 1636, huit jeunes filles font des vœux ; mais le monastère inauguré le S septembre 1638 est très éloigné de la maison de l’Oratoire ; Yvan demeure dans une tour voisine du couvent, lorsqu’une décision du conseil, 19 janvier 1639, lui interdit de demeurer hors de la résidence des Pères ; il semble bien qu’après le bref favorable à son institut, du 12 juillet 1642, il ne fut plus qu’en marge de la congrégation. Après les fondations d’Avignon et de Marseille, celle de Paris où il se rend en 1645, iM. Olier l’attire à lui pour l’aider à son séminaire, et lui rend beaucoup de services dans l’établissement des Misérieordiennes. tandis que le Père oublie tout pour ne plus penser qu’à la solitude.

Il revint à Aix en 10 48 et mourut au cours d’un second voyage à Paris le 8 octobre 1653. Il avait fait plusieurs miracles dans sa vie ; après sa mort, même les images faites par lui en ont opéré beaucoup ; le Il juillet 1787, le corps fut retrouvé intact ; des fouilles pratiquées récemment n’ont pas donné de résultat.

II. ÉcniTs.

Dès les premières années de son ministère, le P. Yvan s’était mis à îédigcr de petits billets qu’il ne cessa de retoucher pour les adapter au besoins des âmes qu’il avait a diriger, en particulier des Ursulines, sieurs aînées des Misiricordtehnem. Un petit recueil fut imprimé de son vivant : Conduite à lu perfection chrétienne par l’état septénaire de l’âme transformer en J. -(’… selon chaque jour de la semaine. tomme aussi par la pratique dis plus imitantes vertus. Avignon d’abord, Aix ensuite, in 24, 1649, En 165 1. le P. Léon, canne qui avait prononcé son ", funèbre, le réimprima sous ce titre : Le premiei recueil /les traités spirituels du vrai serviteur de Dieu, le / ?. P. A idoine Yvan, prêtre provençal, fondateur de l’ordre de* religieuses de la Miséricorde. Paris, Pasdeloup,

1654. Il y joignit plusieurs traités : La verge de Moyse ; Divers conseils et instructions pour conduire l’âme à la perfection chrétienne ; Derniers conseils pour les personnes obligées à la compagnie ; Pratique des plus éminentes vertus qui conduisent à la perfection ; Alphabet spirituel conduisant l’âme à un grand renoncement de soi-même ; Testament, protestations et vœux authentiques d’une âme dévote qui sont une vive image de son intérieur. Gondon son historien a publié : La trompette du ciel qui éveille les pécheurs et les excite à se convertir. Recueilli des écrits d’Antoine Yvan, etc., Paris, 1662, in-8° ; rééd., Lyon 1685, Rouen 1700, in-12. Madeleine Martin ne tarda pas à rechercher les lettres du P. Yvan, qui parurent en deux volumes : L’amoureux des souffrances et de Jésus-Christ crucifié ou les lettres spirituelles du V. P. A. Yvan, prêtre, fondateur et instituteur de l’ordre des religieuses de Notre-Dame de Miséricorde, recueillies par maître Gilles Gondon…, Paris, Jean Boullard, 1661. Le t. ii, qui a le même titre est de 1666, Paris, Pasdeloup.

H. Bremond apprécie beaucoup la spiritualité du P. Yvan qu’il appelle « admirable mystique » ; il pense que « c’est le livre de Benoît de Canfeld qui l’a formé à la vie intérieure ; la Règle de la perfection… réduite au seul point de la volonté divine ». L’Invasion mystique, p. 158. Il dit sa doctrine simple, solide, profonde, dure, tout en étant consolante. Le P. Léon dans son panégyrique est encore plus élogieux ; il l’égale à Bérulle, Condren, Renty, Jean de Saint-Samson, Bernard, sainte Chantai, Marguerite d’Arbouze, Marie de l’Incarnation. Il résume ainsi sa doctrine : « Toute sa conduite roulait sur ces trois points : se séparer de tout pour mourir à soi-même ; s’unir plutôt aux hontes et aux souffrances d’un Dieu, réservant pour le paradis les gloires et les consolations de la divinité ; et, par un amour pur, désintéressé, très généreux et très héroïque, le servir en esprit et en vérité. » Rien de rare sans doute dans cette division adoptée par tant de docteurs, mais ces vérités « sont ici comprises, senties, vécues avec tant d’intensité, exprimées d’un tel élan, qu’elles paraissent originales, neuves, hardies même et qu’on peut placer sans hésiter ce prêtre ignorant à côté des Bérulle, des Olier, des Condren. » H. Bremond, La Provence mystique, p. 151, 152.

Détachement.

« Ce qui est en nous, il faut qu’il

soit comme mort afin que rien n’empêche Dieu. » Lettres, i, 200. Tel est le programme de cette désappropriation, mot dont se sert fréquemment l’École française. Entrons dans le détail : « Quand vous ne paraîtrez et ne serez plus vous, ni humaine, ni nature, ni vie, ni vouloir, alors il y aura quelque bonne espérance en vous de miséricorde. » i, 174. Un peu dans le même sens, mais plus intéressant encore : « Vous souciant aussi peu de ce qui est ici-bas qu’un séraphin, vous souvenant aussi peu de tout ce qui est créé et qui n’est point Dieu, comme d’une chose qui n’a jamais été parmi les personnes. » i, 3-4. « Soyez comme avant que Dieu vous créât, toute seule avec lui, dans lui : sans aucun être que le sien, toute rien et toute Dieu. » Premier recueil, 80. Par conséquent, ne rechercher aucune faveur spirituelle : « Les personnes qui veulent les consolations sont incapables de Dieu crucifié. » Lettres, i, 153. « Il ne faut pas une jouissance expérimentale, ni des lumières perceptibles, ni élancements, mais il faut vous tenir en Dieu par vive foi et amour. » ii, 105, 106. Sa direction est en conséquence : « Je ferai tout ce que je pourrai pour vous chasser du Paradis terrestre, avec le glaive de feu d’amour, pour vous faire gagner le céleste à la sueur de votre visage. » Premier recueil, 59. « Il vaut mieux une lancette d’acier que de sucre. » Lettres, i, 216. Rien de convenu, dans ces expressions ; ce bouil lonnement de mots sort vraiment du fond de son âme.

Adhésion pratique aux mystères de la Passion.


Cette désappropriation si rigoureuse ne peut s’obtenir que par l’exemple de Jésus crucifié : « O fille, si vous étiez Notre-Seigneur crucifié, vous auriez autant de soin de vous comme… d’un barbare, d’un loup et d’un chien mort. » Lettres, i, 3, 4. Il voit dans Adam, Noé, Joseph, Daniel, Jérémie, les saints de l’ancienne loi, des « figures de l’état souffrant, crucifié, de Monseigneur Dieu et Maître Jésus-Christ. » Lettres, i, 146, 147. Il dit des âmes qu’il dirigeait : Je les voulais toutes transformées en Jésus-Christ. » i, 149. En faire autant de crucifix : « Vous n’avez à étudier qu’à vous transformer aux délaissements, amertumes, douleurs et souffrances du Fils de Dieu. » Premier recueil, 112. « La Passion, les douleurs… de Notre-Seigneur… soient votre cœur, vie, affection, joie ; vos richesses, couronnes, trésors, paroles, états, entretiens, jouissances, suavités ; votre demeure, religion, couvent, chambre, oratoire et paradis. » Ibid., 41. « Ma fille, il faut être tout à fait crucifiée et dedans et dehors. » Lettres, i, 21. « Croyez-moi, ne soyez plus vous, mais le Crucifix pâtissant, ensanglanté, cloué, crucifié, délaissé, tout nu, pauvre, seul, moqué, bouffonne, etc. » i, 61.

L’amour pur.

Ces paroles le supposent déjà ;

non seulement, il croit à sa possibilité, mais il le recommande : « Ne faites rien par crainte de l’enfer, pour le paradis, ni pour avoir des grâces, ni pour aucun contentement, mais pour le seul contentement de ce tout, tout, tout amour, amour, tout Dieu. Amour, amour 1 Hé, ma fille, brûlez et soyez toute Jésus-Christ. N’attendez point à demain, mais tout maintenant. .. Que ne brûlé-je, que ne meurs-je d’amour et pur amour 1 O beaux et tout enflammés chérubins, que ne brûlé-je de votre feul » ii, 286, 287. Il cite ceux qui se sont approprié « la jouissance de Dieu et sa gloire », Simon le Mage, Lucifer, Eve, Saùl, Osias, Coré, Dathan, Abiron et conclut : « Le Verbe éternel se désappropria en quelque façon de sa gloire… Hélas 1 pauvrets devant Dieu, se croire mériter quelque chose ; cela fait trembler les spirituels et les personnes de grâce devant Dieu. » i, 119, 120. « N’avoir point de Dieu, même pour vous, mais le tout pour le seul contentement et gloire de Dieu : purement, sans qu’il s’y trouve une seule petite goutte pour nous, ni pour récompense, ni pour intérêt particulier, ni pour aller en paradis, ni pour éviter l’enfer. » Premier recueil, 140-141 ; cf. Lettres, i, 201.

Avec une doctrine si élevée, sa direction ne pouvait être que très exigeante ; il savait la tempérer par des paroles affectueuses qui la rendaient plus consolante que décourageante : « Ma fille, je vous salue en Notre-Seigneur, et vous désire toutes les bénédictions éternellement et veux du plus bas de mon cœur que vous soyez toute lui, humble, mansuète, patiente, bénigne, crucifiée, paisible, véritable, charitable, amoureuse, miséricordieuse, pauvre de volonté et fille du Très-Haut. » i, 35, 36. Il faut, dit son historien Gondon, le comparer « à une ruche de mouches à miel dont le dehors est rude, raboteux et mal poli ; mais qui ne laisse pas de contenir au dedans de la cire et du miel, faits avec une merveilleuse industrie. » P. 139.

Son style est d’un écrivain qui n’a jamais eu la prétention d’écrire, ni pris le soin d’être toujours correct, mais qui, dit Bremond, a laissé « les lettres les plus directes, les plus jetées, les plus impétueuses que je connaisse… souverainement à l’aise dans la manifestation des vérités les plus profondes et atteignant, sans jamais la chercher, à la plus haute éloquence. » Op. cit., p. 151.

Ce qu’il exigeait des autres, il le pratiquait sévèrement, car le P. Yvan était très mortifié : « Il ne por

tait point, écrit Cloyseault, de linge que son collet et son mouchoir, sa chemise était une haire de fer blanc, sa ceinture, une grosse chaîne de fer entrelacée de pointes. Son lit était la terre et des ais, et son chevet une poutre ou une pierre et quelquefois un livre. Il ne mangeait que du pain, des herbes et quelques mauvais fruits dont il se privait les mercredis, vendredis et samedis, se contentant de pain et d’eau ; outre cela, il faisait quatre carêmes l’année pendant lesquels il ne mangeait que de deux jours en deux jours. » Vies de quelques Pères, t. ii, p. 127.

Le vrai serviteur de Dieu. Éloge du R. P. Antoine Yvan, prêtre provençal, fondateur des religieuses de la Miséricorde, par le R. P. Léon, ex-provincial des Carmes réformés de Touraine et prédicateur ordinaire de Leurs Majestés, Paris, Pasdeloup, 1654 ; L’imitateur de Jésus-Christ ou la vie du vénérable P. Yvan, prêtre, instituteur de l’ordre des religieuses de N.-D. de Miséricorde… par maître Gilles Gondon, prêtre et docteur en théologie… Paris, Jean Boullard, 1662, in-4° de 600 p. ; La vie de ta V. Mère Marie-Madeleine de la Très Sainte Trinité, fondatrice de l’ordre de N.-D. de Miséricorde… par le P. Alexandre Piny…, Annecy, Jacques Clerc, 1679 ; La vie de la sœur Marie-Madeleine de la Trinité, fondatrice des religieuses de N.-D. de Miséricorde. .. par le R. P. Grozes, Lyon, 1695 ; L’histoire de la fondation du monastère de la Miséricorde de la ville d’Arles, par le R. P. Alexandre d’Arles, Alx, Jean Altbert, 1705 ; Cloyseault, Le P. Antoine Yvan, dans Vies de quelques Pères…, t. ii, Paris, 1882, p. 121 ; Ingold, Bibliographie et iconographie de l’ordre des religieuses augustines de Notre-Dame de Miséricorde, Paris, 1888 ; Buathier a fait paraître de 1889 à 1892, environ les deux tiers de la vie, dans le Bulletin mensuel de la Garde d’honneur du Sacré-Cœur de Jésus ; Batterel, Le P. Antoine Yvan, dans Mémoires domestiques, Paris, 1903, t. ii, p. 110 ; H. Bremond, La Provence mystique au XVII’siècle, Antoine Yvan et Madeleine Martin ; il cite plusieurs documents inédits, en particulier un manuscrit de l’Arsenal, Paris, 1908, in-8°.

A. Molien.