Dictionnaire de théologie catholique/VICTORINUS AFER. IV. Les sources de la foi

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 685-688).

IV. Les sources de la foi.

L’enseignement chrétien.

Il contient des « présupposés » rationnels, col. 1063 D, données élémentaires de la religion naturelle, pietas, loc. cit., ou même principes métaphysiques que la raison nous demande de « professer », col. 1096 D, 1027 A, 1035 A, 1074 A, 1115 A. Mais l’essentiel de la confessio porte sur des vérités révélées par Dieu, col. 1063 D, 1089 B, qui laissent leur objet mystérieux : fidem habemus, omnigenam lamen de te ignorationem habentes, col. 1036 B. Là-dessus encore, il y a des vérités admises de tous et des points controversés, col. 1088 D, 1089 D, 1020 C ; il y a surtout les simples données de la foi et puis la doctrine ; c’est un enseignement à deux degrés.

1. La simple foi.

Elle a pour objet le « mystère » ; la grande nouveauté de l’initiation chrétienne, c’est le Fils incarné et sauveur. Ainsi le mot mysterium chez Victorin désigne à la fois l’acte du salut opéré par le Christ, aclum, col. 1089 A, 1169 A, et l’expression de cette mission, revelatum, mis en lumière surtout par saint Paul. Col. 1239 A. Chez ce penseur avide de spéculation, mais récemment converti du déisme pur, la quintessence du christianisme se résume « en la chair du Christ, sa croix, sa mort, sa résurrection ; c’est là ce qu’il faut croire ». Col. 1240 C. On a fait remarquer l’archaïsme de ces articles et on l’a rapproché de la terminologie d’Augustin à Cassiciacum. R. Cadiou, dans Recherches de science relig., 1937, p. 611. Disons que voilà deux baptisés, riches de la courte professio ftdei du baptême romain, qui la voient s’épanouir en une révélation « sur Dieu et sur eux-mêmes ». Col. 1239 B. Car « le mystère engage d’une part la toute-puissance de Dieu, col. 1263 A, et sa volonté » : « le mystère nous enseigne donc ce qu’est le Père, ce qu’est l’Esprit, ce qu’est la vie spirituelle, etc. ». Col. 1240 B. De plus. « il a été accompli pour notre libération et résurrection à nous », col. 1169 A ; ainsi ce mystère central est tout le christianisme, nihilque præterea : c’est toute notre espérance de salut, tout le secret de la grâce de Dieu : notre foi se centre autour du Christ, et elle consiste à croire qu’il est le Fils de Dieu, qu’il a souffert pour nous, qu’il est ressuscité, et qu’en conséquence nous ressuscitons, nous aussi, avec la rémission des péchés : voilà le véritable évangile ». Col. 1149 A. Or, « l’acte de foi établit entre nous et le Christ une parenté d’intelligence, et par le Christ avec Dieu », col. 1240 C ; de là « tout un effort pour comprendre notre foi ». Col. 1240 D.

2. La science de la foi.

Par-delà le mystère qu’on assimile par la fides, il y a la cognitio, Vagnitio Christi, « effort intellectuel », col. 1248 A, « qui nous fait saisir à plein », col. 1248 A, « le mystère de sa vie et tout ce qui se trouve dans l’Évangile ». Col. 1173 A.

a) Objet. — Il est double : d’abord l’intelligence profonde de tel mystère chrétien, comme la résurrection, col. 1250 B, et de tous les mystères en un inventaire complet et une vision d’ensemble, col. 1248 C ; puis, pour une part au moins, la démonstration raisonnée des dogmes : « il avait la confiance d’avoir lui-même défini 1’ôfi.ooLiat.ot ;, d’avoir montré que la foi est ainsi », col. 1076 B ; mais il rêvait « d’un traité plus approfondi, scicntite labor », non pas pour supprimer le mystère, col. 1019 C, mais pour « en écarter les limites et embrassant tout le mystère du Christ : voilà le programme immense assigné à la chétive intelligence corporelle de l’homme intérieur ». Col. 1270 A.

b) Rôle. — Il est de défendre la foi vis-à-vis des incroyants, col. 1125 B ; et chez le croyant lui-même, col. 1276 B-1277, de fortifier la foi et aussi la charité : ce sera le salut, col. 1 125 B. Car la connaissance théorique doit s’achever en science spirituelle, la gnose de Clément d’Alexandrie, col. 1270 B. On passe de ce « sens chrétien », qui n’est pas encore une science achevée, à la connaissance parfaite et à la perfection de la vie. Col. 1205 C.

c) Part de Dieu. — « La foi a été semée par le Christ, par ses miracles et ses enseignements, mais c’est par le Saint-Esprit que la foi pousse en connaissance », col. 1270 B : « la vérité, c’est le Christ, la science c’est le Saint-Esprit », col. 1104-1105 ; « c’est lui qui donne la clef des faits et gestes du Christ, » col. 11Il B ; c’est un Christ intérieur, col. 1125 D, un. Jésus caché, col. 1137 B ; cf. col. 1109 C, où il faut lire : Spiritus sanctus occultus Jésus.

d) Part de l’homme. — Devant la révélation extrinsèque, nobis quasi extra nos, l’homme ne doit pas rester passif, mais y communier par la sagesse : « Ce sera ainsi par notre génie propre, en nous et avec nous, que la théorie s’élabore : c’est l’Esprit qui est là ! » Col. 1248 AB. « Le Fils est sufficiens doctor de Pâtre ; mais c’est l’Esprit qui enseignera le Christ et toutes choses, et, par la foi, le sanctus vir possède en lui l’Esprit comme docteur. » Col. 1041 B.

La profession de foi ainsi comprise, divina intelligentia, col. 1035 D, dans l’esprit chrétien, col. 1036 B, qui exclut l’esprit sacrilège des athées, col. 1021 A, est donc le premier lieu théologique de Victorin. col. 1020.

L’Écriture.

1. Autorité divine.

Mieux qu’un écrit magistral qui fait autorité dans une école, l’Écriture est, pour Victorin, un livre divin proposé comme tel par l’Église : autant qu’on peut le voir, c’est sur la foi en l’Église, qu’il fonde, tout comme Augustin, la foi en l’Évangile ; ces Écritures, ce sont « celles que nous lisons » dans les synaxes « non comme de vains » documents à discuter, mais comme une doctrine « que toi, Candidus, tu dois recevoir », quel que soit ton savoir, col. 1019, parce que « sic se habel, ou mieux sic lectum est ». Col. 1097 C. L’Évangile est une. lectio, plutôt qu’une scriplura, et une leclio sacra, divina, deifica, parce que l’Église, société des hommes qui croient aux Écritures, propose celles-ci comme la parole de Dieu, et que « quiconque se dit chrétien de nom et de conviction, doit de toute nécessité vénérer les Écritures, …accepter et croire ce qu’elles disent, et de la manière dont elles le disent ». Col. 1019 D. Il lui sera loisible ensuite de voir que « le fondement de l’Église a été posé sur Pierre, comme il est dit dans l’Évangile », col. 1155 A, et de considérer que l’Église a eu raison d’y voir la vraie parole de Dieu parce que il y eut des « saints qui passi sunt Deum aut viderunt aliquo modo : ou bien ils dirent des choses divines par l’Esprit qui habitait en eux, ou bien ils le virent présent » en Jésus-Christ, « vel per spiritum, comme saint Paul, vel per carnem et per spiritum, comme les autres apôtres ». Col. 1260 D.

Ces deux modes de révélation expliquent le progrès et l’harmonie foncière des Écritures : dans l’Ancien Testament, « le prophète qui disait le mystère, ne le connut pas lui-même, parce qu’il lui fut révélé dans l’Esprit », au contraire, « il y a concordance complète entre la révélation faite à saint Paul et ce 902

que le Christ a confié de son vivant aux apôtres ». Col. 1263 D. « Une fois reçu le dépôt, non point raisonné, mais révélé, il y a place pour la prudence : l’auteur sacré y apporte sa mémoire, sa science et son intelligence ». Col. 1263 B. De là quelque progrès dans la révélation, jusque dans le Nouveau Testament. Col. 1223 B. Distinction entre la révélation et l’enseignement humain et l’exposition faite par l’Apôtre de la révélation divine. Col. 1151 D-1152 A.

2. Initiation scripturuire de Yictorin.

File fut progressive et méthodique.

a) Dans le De generatione. — Il a déjà en mains tous les instruments d’une solide argumentation scriptr.raire : sa compétence personnelle de grammairien, les textes originaux avec plusieurs versions. Il connaît l’Ancien Testament « d’après Aquila et d’après le texte des Juifs », col. 1035 B, et le Nouveau d’après la version africaine, qui porte circa Deum, Joa., i, 1, et d’après la version romaine qui traduit Itpoç tôv 0eôv par apud Deum : il y a là une notation d’intériorité totale… Col. 1030 C. Mais il connaît encore mal l’ensemble de la Bible : du moins ne citet-il que Gen., i, 1 ; Joa., i, 1 ; Ps., ii, 7 ; Joa., x, 30 ; xiv, 9-11 ; Rom., viii, 32 ; Eph., i, 3, et les textes qu’opposaient les ariens, Act., ii, 36 ; Gal., iv, 4 ; Frov., viii, 22.

b) Dans V Adversus Arium. — Il a désormais pris connaissance de la Bible tout entière. Col. 1060 B, 1H70 D, 1088 C, 1097 C, 1108 D. Mais, pour sa discussion trinitaire, il se contente du Nouveau Testament, qu’il parcourt page par page, énumérant au moins 120 textes, en omettant ceux qui font double emploi. Col. 1049 B. On ne trouve rien de comparable en aucun ouvrage de la polémique antiarienne. Il commente ses textes comme il ferait d’une phrase de Cicéron : Disons l’Fcriture », col. 1041 B, à l’aide d’une courte rubrique soulignant l’idée principale, souvent dans un sens métaphysique qui dépasse l’aflirmation de l’Évangéliste, Adv. Arium, c. mxxviii, col. 1041-1061. Malgré ce défaut dans l’interprétation, le début de V Adversus Arium est unique dans la littérature chrétienne du IVe siècle ; et l’auteur pouvait conclure « que l’on n’avait rien à dire de son enseignement magistral, meum dogma, puisque tout est tiré de l’Ecriture, ou même s’y trouve énoncé », col. ID76 C, du moins en tout ce début.

c) Dans les Commentaires. — Il restait à Yictorin un gros effort à faire : plier sa pensée à un texte suivi de la sainte Écriture. Là encore, le progrès de l’exégète est sensible de l’épître aux Galates à celle aux Philippiens. Il analyse la « matière » à expliquer, distingue les « divisions générales de l’épître, col. 1233 A. 1147 A, montre l’ordre de la pensée, col. 1272 F. et l’enchaînement nécessaire, col. 1273 B, Bans vouloir se libérer jamais de la « nécessité de l’interprétation suivie ». Loc. rit. Les seuls défauts de ces commentaires sont l’absence de toute allusion aux commentateurs précédents, qui d’ailleurs étaient fort rares en Occident, et la négligence à recourir aux textes parallèles : similia preetereo.

3. Son texte biblique. - a) Son canon scripluraire

Il est bien difficile « le l’établir avec un auteur si soucieux (le ne pas sortir de son sujet. Il cite l’Apocalypse, col. 1112 I). mais pas la II" ni la III épître de saint Jean ; de saint Pierre, la / » Pétri, col. 127 1 A, mais pas la seconde. Il admet l’origine paulinieniie de l’épître aux Hébreux et sa canonicité, col. iii, s : >, ni’! i i), H38 D. qui était encore contestée a l’époque suivante pai Pelage.

b) Su version latine. — Four cela encore. ietnrin prend peu a peu les habitudes de son Église. Dans

leux premiers ouvrages, il lisait le Nouveau Tes tament dans le texte grec, Ail". Arium. I. II, e. VIII,

col. 1094 D, dont il faisait sur place une traduction personnelle ; comparez les leçons de Phil., ii, 5-7 et Eph., i, 4 ; ii, 12 dans VAdv. Arium, t. I, c. xxi, col. 1055 et dans les passages correspondants des Commentaires, col. 1206 C et 1238 B, etc. Il simplifia son procédé dans les Commentaires, en adoptant l’un des textes latins qui circulaient alors dans les Églises d’Italie, à charge de le reviser lui-même quand il lui semblait fautif, Phil., iii, 8-9, col. 1219 B. Même alors, quand il corrige, c’est avec le souci de trouver un sens à la version courante, Ad Phil., ii, 6 ; Ad Gal., ii, 4-5, col. 1159, et non plus avec cette suffisance qu’il montrait jadis à l’égard de ces « latins qui ne comprennent pas ». Adv. Arium, t. II, c. viii, col. 1094 C.

A mesure qu’il commente, il reproduit le texte de son manuscrit ecclésiastique ; il nous a conservé ainsi une version de trois Épîtres de saint Paul C’est un texte mixte qu’on désigne sous le nom de texte « italien ou révisé » ; il contient des leçons « africaines » déjà données par saint Cyprien, et il marque assez bien la transition entre les vieux textes africains et la Vulgate. Cf. dom De Bruyne, Fragments de Freising, Rome, 1921.

4. Son exégèse.

Le De verbis Scripturæ, P. L., t. viii, col. 1009, qui n’est ni de Yictorin ni du ive siècle, mais d’un lointain disciple, émet une protestation contre « la disputatio philonienne, le sermon syllogistique et le délayage » : on ne saurait mieux caractériser qu’en ces trois points la méthode exégétique du maître : elle est littérale à rencontre de celle de Philon ; elle est historique et prétend n’ajouter aucune superfétation à la doctrine de l’Apôtre ; elle est analytique et ne cherche pas, par des rapprochements intempestifs, à construire un système de doctrine.

a) Exégèse littérale. Comme il le remarque, son commentaire est « simple ; c’est une exposition T_du sens littéral) des mots ». Ad Gal., iv, 19, col. 1184 ; Ad Ephes., proœm., col. 1273. Pour expliquer saint Paul, il reprend ses habitudes de scoliaste : les mots, puis la phrase, mais d’abord, en ses préfaces, le sens général de l’épître. Pour éclairer la signification des mots latins, il cite fréquemment les termes grecs correspondants, ainsi Ad Gal., i, 10, col. 1150 C ; et il sait suffisamment le grec pour avoir raison parfois contre saint Jérôme. Ad Gal., iv, 3, 9, col. 1175 et ll.so ;.t</ Ephes., iv, 14, col. 1276 C. Après les mots, la phrase de saint Paul est suivie en ses méandres, a l’occasion même rétablie en son ordre logique : Ordo : mihi illi præcipui viri Pelrus et Joannes…, Ad Gai.. il, 7, col. 1160 B. Le passage brusque d’une idée à une autre est expliqué de main de maître.

Le contexte prochain et surtout le contexte éloigné, est rappelé autant de fois que c’est nécessaire : TotllS hic sensus jungendus est. Ad Ephes., ii, 1, col. 1252 D. Quand, malgré tout cet appareil de grammairien, il n’est pas certain du sens d’un mot ou d’une enclave, il donne son idée » sans plus, loc. cit., ii, 19. col. 1260 I) ; ou bien il avoue son embarras : iv, 14, col. 1182 A. Il propose parfois une explication allégorique, mais comme Origène en ses meilleurs moments, par mode de suggestion et sans exclusion du sens littéral, Ad Gai.. IV, I. col. 1176 C ; Ad Fphes.. i. 21, col. 1250 H ; c’est un grand progrès sur certaines subtilités de VAdv. Arium, t. I, c. i.xii, col. 1087 H. Où il fail montre de subtilité, c’est quand il annonce un fortior sensus. Ad PMI., m. 11, col. 1222 H, ou bien une expression paulinienne i nette et frappante Ad GaL, 1, 8, col. 1 160 A ; Ad Ephes., m. 5. col. 1263 I) : c’est pour lui l’occasion de développer ses llièmes

favoris sur le Christ, l’Fsprit. in toi Justifiante, etc.

b) Exigète historique. Si on lui avait dit qu’il

faisait alors des digressions philosophiques, Victorin 2 « )o ; î

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s’en serait défendu, car i] pensait bien expliquer le sens historique des épîtres, « raconter les choses comme elles se sont passées, c’est utile, c’est nécessaire ». Ad Gal., col. 1153, 1157, 1162. Souvent, il arrête un développement historique pour rester iidèle à la pensée de l’Apôtre hic et nunc. Ad Gal., iv, 4, col. 1177 D. Seulement, sa perspective est justement trop courte : saint Paul, qui est l’objet de sa leçon, est aussi son seul guide. Il connaît mal le milieu historique, assimilant sans plus les judaïsants de l'épître aux Éphésiens à ceux des Églises de Galatie. Enfin et surtout, il n’a aucun souci du développement de la discipline ecclésiastique : l'Église dont il parle n’a pas d'évêques, mais des apôtres élus par le peuple. Col. 1215 B, 1293 C.

La règle de foi.

On a voulu faire de Victorin

tantôt un illuminé, qui en appelle à l’Esprit de sagesse et de révélation, col. 1036, 1048 A, tantôt un partisan du libre examen, à cause de ses définitions péremptoires. Col. 1076 A, 1242 B. Mais c’est la discussion même qui l’amène aux positions catholiques sur la nécessité, l’autorité et l’organisation de la règle de foi.

1. Sa nécessité.

Dans un passage récapitulatif, col. 1076 B, parce que précisément Victorin affecte d’y mettre en conflit le sens privé du lecteur semiarien avec son orthodoxie personnelle, il recourt d’abord à l'Écriture, « qui a tout dit sur Dieu et le Christ », mais « d’où ont pullulé cependant de multiples hérésies », col. 1076 B ; ayant alors fait appel à ce qu’on pourrait appeler ses « articles fondamentaux », « au mystère du salut », qui devrait faire l’unanimité, il finit par réciter son Credo : « Nous croyons donc Dieu Père tout-puissant. » C’est donc la tradition de l'Église qui se présente comme la seule issue de cette enquête sur les sources de la doctrine.

L’auteur est bien catholique, au moins d’intention, quand il affirme que « nous sommes enseignés par l'Évangile », col. 1094 B, et dans le même sens par la prière de l’oblation liturgique », l’anaphore d’Hippolyte en grec, « tout cela faisant partie des lectures » (oflicielles). Loc. cit., col. 1094 D. Il enseigne que les termes du Symbole, « il faut les admettre de toute nécessité, pour durs qu’ils nous paraissent », col. 1097 C, bien plus, qu’ils sont, tout comme les Écritures, « paroles de Dieu », loc. cit. Col. 1097 A.

2. Son autorité.

Sauf certaines exagérations oratoires de ce genre, Victorin est loin d’accorder aux enseignements de l'Église la valeur que leur donneront les grands docteurs qui le suivent. Et d’abord, le Credo de l'Église, les multiples Credo d’alors, n’ont pas par eux-mêmes une autorité décisive : c’est plutôt une expression heureuse de la croyance générale, col. 1097 B, le terme « nécessaire » d’un raisonnement, qu’il faut « prouver par l'Écriture ». Col. 1097 C. On dira que Victorin s’adresse ici aux ariens ; mais dans les Commentaires, il ne fait pas état du tout des définitions de l'Église.

3. Sa formule.

Il ne s’astreint jamais — et ceci est plus significatif — à citer le Symbole textuellement, comme il le ferait pour un texte magistral. Sa formule de Credo, Adv. Arium, t. I, c. lxvii, col. 1076 D, ne se réfère à aucune version latine du Credo de Nicée, qui portent toutes : unum Deum visibilium… conditorem, justement parce qu’il ne trouve pas que « creator convienne à Dieu le Père ». Col. 1266 A. Sa formule est plus longue même que la formule « macrostiche » de 345. Elle contient cependant le mot consubslantialum, comme le vieux Credo romain de la fin du iiie siècle. Cf. A. d’Alès, Le dogme de Nicée, p. 116. Elle rassemble tout le dogme sur les trois personnes : Et in Spiritum Sanctum, et donne un résumé trinitairc, avant de réciter les articles sur le

Christ « incarné, crucifié…, assis à la droite du Père et juge à venir des vivants et des morts. Amen ». Col. 1077 C. Elle n’est pas complète, et ne contient ni la naissance ex Maria virgine, col. 1176 C, ni la rémission des péchés, col. 1294 D, ni la résurrection de la chair, col. 1088 B, que l’auteur admet par ailleurs, et qui avaient déjà leur place dans le Credo romain. Par contre, il farcit son formulaire de multiples considérations métaphysiques. Y a-t-il là mépris pour l'Église ou orgueil personnel ? Non, cela tient simplement à une théorie particulière à Victorin, sur la distribution des dons dans l'Église : les formules d’un docteur privé sont homogènes aux formules officielles, sans pourtant pouvoir les bousculer, In Ephes., i, 8, col. 1244 A.

4. Les organes de l’enseignement.

Il’a la conception mystique de tous les Pères latins du iv c siècle. « La tête de l'Église, c’est le Christ ; et l'Église même, c’est tout fidèle, tout baptisé qui est assumé dans la foi : donc dans le Christ l'Église, et tous deux sont in unaquaque una carne. » Col. 1287 C, 1289 B. Chaque chrétien ayant en lui l'Église et le Christ qui enseigne et agit, « c’est à chacun d’annoncer l'Évangile à soimême et aux autres », et « l’unanimité s'établit dans l’Esprit ». Col. 1202 A.

Dans cette conception, l'Église est d’abord un organisme de sanctification collective ; si le pouvoir d’administration, assez vague en ses attributions, est limité au personnel dirigeant des « pasteurs », la fonction d’enseignement semble encore à l'état embryonnaire et diffus de l'âge apostolique. Col. 1275 B. « Les évêques n’ont pas à distribuer la nourriture au troupeau », col. 1275 C ; ce sont plutôt les docteurs, « les prophètes du Nouveau Testament, les évangélistes, qui peuvent même être des femmes ». Col. 1228 B.

Parmi ces pasteurs, quel peut être le privilège de l'évêque de Rome ? Victorin n’a jamais trouvé l’occasion d’en parler. Pour saint Pierre, son texte, qu’on aime à citer au sujet de « la grande autorité que le Christ lui a donnée » même sur les autres apôtres, est bien moins net pour le magistère doctrinal : non ut ab eo aliquid disceret, col. 1155 A.

Mais que penser des évêques assemblés en conciles ? et des docteurs de l'Église ?

5. Les conciles.

Les conciles — ou plutôt le concile de Nicée, qui seul jusqu’ici réalise la notion de concile universel — valent, semble-t-il, par « la science et la sainteté » des évêques qui y sont assemblées et qui y parlent par l’Esprit-Saint. Col. 1097 B. Leurs définitions dogmatiques, on l’a vii, ne sont pas néanmoins irréformables pour notre auteur ; à plus forte raison ne sont-elles pas définitives en une matière toujours susceptible d’approfondissements. Leurs décisions gagnent en autorité par l’adhésion des « Églises du monde entier », et profitent grandement de celle du pouvoir impérial, loc. cit.

6. Les docteurs dans l'Église. — Les « raisons » théologiques ne sont pas hétérogènes aux définitions dogmatiques, puisque c’est là encore « l’Esprit de sagesse inspiré par Dieu », col. 1247 D, aussi bien chez les simples évangélistes, col. 1212 C, '1228 B, que chez les prophètes du Nouveau Testament, col. 1275 B, 1273 A, « privilège qui peut se reproduire encore aujourd’hui », col. 1262 D, enfin chez les docteurs qui « établissent la doctrine à force de raisons ». Col. 1151 D. Victorin est du nombre et se prévaut de l’assistance de l’Esprit. Col. 1036 B, 1040 C, 1076 B, 1088 A, 1102 D. « Les vrais maîtres du troupeau sont les docteurs ». Col. 1275 C.

7. L’erreur doctrinale.

L’hérésie, blasphemia, col. 1055 B, 1061 C, sacrilegium, 1032 C, « l’erreur agitée, rebelle et toujours en guerre avec elle-même, est imprudence et ignorance », col. 1106 A ; elle a pourÎ

tant ses magistri, ses condoctores, ses discipuli, col. 1061 B, ses disciplines et ses misères morales. Col. 1276 D. « Quoique multiples, elles sont toutes contre le Christ crucifié ». Col. 1224 CD.

L’auteur connaît Valentin, col. 1050 A ; Paul de Samosate, col. 1061 C, les patripassiens en général, col. 1051 D, 1072 A, 1074 B, 1140 C, les ariens surtout, col. 1021 A, 1039 C, 1073 C, 1075 B, 1089 C, Ursace et Valens, « ariens de la dernière heure », col. 1061 C, et les semi-ariens, « rejetons dvrius », col. 1139 B ; Photin et Basile d’Ancyre, col. 1045 C, 1055-1056, 1061 C, 1062 B, 1073 D, 1075 B, 10951096, les symmachiens, col. 1155 B, etc.

Contre eux, il procède lui aussi par l’argument de prescription longée possessionis, col. 1061 A, par l’argument de la perpétuité, col. 1061 B ; il souligne des contradictions internes, loc. cit., et 1073 C, et des variations de l’hérésie. Col. 1061 C. Au contraire la doctrine nicéenne est eadem fuies, una cum sil, et ab Uno incipiens, et operala usque nunc. Loc. cit. Car tout l’efficace du christianisme, son droit aussi à nous enseigner, se montre dans l’unité qu’il fait régner dans les esprits, à l’instar de Dieu qui est un… ». Col. 1205 A.